La catégorie de tradition est d'usage fort courant là où il est
question (d'histoire ou d'étude) des religions. Sa signification
demeure cependant le plus souvent floue, en particulier lorsque
traditions est employé comme un synonyme commode de religions. Le
terme risque en outre de véhiculer pas mal de présupposés laissés
implicites ou d'associations non vérifiées. Dans la bouche des
acteurs religieux ou sous la plume de ceux qui les étudient,
tradition suggère des références à un état stable voire immuable
des sociétés et des cultures, à une reproduction passive et
paresseuse du passé (bref, tout le contraire de la modernité), à
quelque autorité soustraite à toute critique ou mise en question.
Ce fut notamment le cas en contexte de (dé)colonisation. Un examen
plus attentif et critique montre cependant que le recours à la
tradition apparaît plus d'une fois à ses auteurs comme la meilleure
tactique pour introduire et légitimer une nouveauté voire une
rupture. Loin d'être intemporelles, les traditions ont une
histoire. Loin d'être un pur donné qui s'impose d'évidence, elles
comportent fréquemment une part significative d'inventivité et font
l'objet de négociations. La question du rapport entre le neuf et
l'ancien, entre le construit et le reçu, se pose inévitablement,
même si l'historien et l'anthropologue hésiteront quant à eux à
prendre position dans des débats sur l'authenticité d'une tradition
ou sur son orthodoxie. On le voit, la catégorie de tradition
n'offre des significations repérables et ne se prête à des analyses
éclairantes qu'à la condition d'être mise en relation avec toute
une série d'autres: pouvoir, autorité, mémoire, continuité,
communauté, identité, innovation, modernité, rhétorique…
(358).C'est ce que la bonne vingtaine d'auteurs de ce volume
entreprennent de montrer, chacun à sa manière, dans des études où
l'histoire, l'anthropologie ou la sociologie fournissent une riche
moisson d'observations et d'analyses qui permettent de dégager
ensuite des conclusions plus réflexives et théoriques (p. ex.,
368-374, des observations originales à partir du parallèle entre
tradition et échange de dons). Il n'est pas possible d'entrer ici
dans le détail de ces contributions. Bornons-nous à énumérer les
principaux domaines abordés: contes hassidiques, fête de
l'ascension nocturne de Mohammed, image d'un âge d'or où l'harmonie
interreligieuse régnait dans l'Espagne médiévale, médecine
indienne, pensée néo-hindoue de S. Radhakrishnan, hindouisme
népalais, bouddhisme birman, bouddhisme de tradition tibétaine au
Brésil, confucianisme chinois, shintô japonais, pratiques
religieuses hawaïennes, femmes congolaises entre tradition
africaine et tradition chrétienne, thème de la prisca theologia
dans des courants ésotériques en islam et dans l'Europe médiévale
et moderne, débats entre catholiques et protestants sur Écriture et
Tradition, statut des femmes dans de Nouveaux Mouvements Religieux…
À la différence de beaucoup d'ouvrages collectifs, celui-ci est
fortement unifié autour de son thème central. Ses analyses et ses
réflexions plus théoriques ouvrent des voies nouvelles. - J.
Scheuer sj