L’espérance, ou la traversée de l’impossible
Corine PelluchonPhilosophie - Recenseur : François Odinet
« Parler d’une crise climatique menaçant les conditions de notre survie individuelle et collective est totalement inadéquat. Ce que nous affrontons est la possibilité d’une impossibilité : l’effondrement de notre civilisation » (p. 88). C’est sur cet horizon que l’A. déploie une pensée de l’espérance, nourrie de ressources philosophiques, de références bibliques, et d’une analyse du moment que traverse notre humanité. Après des ouvrages théoriques très remarqués, Corine Pelluchon livre ici plutôt une méditation, qui ne se contente pas de réfléchir sur l’objet qu’est l’espérance, mais montre aussi comment celle-ci requalifie notre rapport au monde.
L’ouvrage s’ouvre sur l’articulation entre la dépression et l’espérance. Celle-ci suppose « d’avoir surmonté le désespoir » (p. 33) et se caractérise par sa gratuité : « L’individu, abandonnant toute trace de volonté, tout désir de maîtrise, et ne cherchant plus à expliquer ni à comprendre ce qui lui arrive, est visité par la vie et ressent une immense douceur » (p. 39). Cette gratuité n’empêche pas, mais au contraire provoque, un engagement de la volonté ; il s’agit alors de vouloir « que le bien qui est déjà là (…) devienne un horizon. L’espérance, née en dehors de toute attente, devient puissance transformatrice » (p. 52).
À cause du renoncement que comprend sa gratuité, l’espérance n’a rien d’individualiste. C’est pourquoi elle apparaît comme l’horizon nécessaire à la vie démocratique, qui suppose de renoncer aux fausses grandeurs passées. C’est pourquoi, aussi, l’espérance qui s’ente sur la reconnaissance de notre vulnérabilité nous relie aux autres vivants, vulnérables et menacés.
Longuement décrite, l’éco-anxiété traduit le saisissement devant l’effondrement possible conjugué au ressenti d’impuissance : c’est « le travail du négatif » (p. 94). Cependant, « c’est le désir d’habiter de manière plus saine la Terre qui engendre la dépression climatique » (p. 95). L’espérance se loge ici et redéfinit la liberté, non comme arrachement de soi, mais comme un agir accordé à la vulnérabilité. Pour cela, « l’existentialisme écologique » (p. 139) promu par l’A. suppose de sortir des paradigmes de domination, en particulier, ici, la maltraitance animale et la phallocratie. — F. Odinet