L’imagination théologico-politique de l’Église. Vers une ecclésiologie narrative avec William T. Cavanaught

Sylvain Brison
Théologie - Recenseur : Matthieu Bernard

Cette recherche doctorale propose une lecture stimulante et convaincante de la pensée de William Cavanaugh. Deux convictions principales animent l’exposé qui en est donné. Premièrement, l’œuvre de Cavanaugh gagne à être comprise non pas comme une théologie politique mais, plus fondamentalement, comme une ecclésiologie eucharistique ; les développements « politiques » découlent de cette ecclésiologie, dont l’inspiration augustinienne est notable. Trois éléments sont mis en valeur : l’eucharistie produit un imaginaire non-violent et fait de l’Église un corps de résistance face aux mythes de la modernité ; l’eucharistie instaure une communauté qui transcende l’espace et le temps ; l’eucharistie invite à redéfinir le « temporel » par rapport au « spirituel », dans une perspective plus historique que spatiale : le « temporel » est le temps entre les deux venues du Christ.

Deuxièmement, quant à sa méthode, Cavanaugh fait un recours fréquent à la notion d’imagination, sans pourtant la définir. Il s’agit, comme le montre l’A., d’une faculté réflexive permettant de comprendre le monde en ce qu’il a d’inaccessible aux théories sociales, mais aussi de produire un autre monde possible. Notons que l’imagination est narrative : elle s’appuie sur des récits. Ainsi, le récit eucharistique ne transforme pas le monde en tant que réalité extérieure, mais change le rapport au monde : de telle sorte que le chrétien l’éprouve et le vive « à la manière du Christ » (p. 172).

L’A. procède en deux temps. Tout d’abord il présente la théologie de Cavanaugh, à partir principalement de Torture et eucharistie et Eucharistie-mondialisation. Ces chapitres permettent de confronter les récits séculiers de l’État nation et du marché – qui se présentent comme sauveurs – et les récits de l’Église. La manière ecclésiale d’être au monde implique une « réimagination » de l’espace et du temps.

En un second temps, l’A. se propose de légitimer les fondements théoriques de la théologie de Cavanaugh, puisque celui-ci n’a, jusqu’à présent, pas réellement développé la théorie de sa méthode originale. La dimension narrative est approfondie en dialogue avec Metz, Heinrich, Hauerwas et Ricœur ; la corporéité de l’Église, en dialogue avec les ecclésiologies de Afanassief et Zizioulas.

La stimulation théologique, mais aussi pastorale, que procure la lecture de l’ouvrage est indéniable. On s’étonnera toutefois d’une quasi-absence de l’Écriture sainte ; de même, le rôle de l’Esprit Saint, dans cette ecclésiologie narrative, est passé sous silence. Il ne s’agit là, au demeurant, pas de lacunes de la part de l’A., mais plutôt de « points aveugles » du projet de Cavanaugh, dont l’A. note bien qu’il n’en est qu’au stade du commencement et doit être développé pour rendre compte de la nature communautaire de l’Église dans sa relation au monde – et donc pour penser la mission de l’Église en contexte de sécularisation. — M. Bernard

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