L’islam des musées. La mise en scène de l’islam dans les politiques culturelles françaises, préf. A. Amiraux

Diletta Guidi
Religions - Recenseur : François Boespflug

Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat sur l’islam dans les musées français, soutenue en 2019 à l’École Pratique des Hautes Études de Paris, et dirigée par François Gauthier et Philippe Portier. L’impétrante enseigne à l’Université de Fribourg, à l’unité de science des religions. L’ouvrage, après une solide introduction à portée comparative sur les musées d’art islamiques de Doha, Berlin et la Chaux-de-Fonds (p. 19-53), porte pour l’essentiel sur la manière dont ont été conçues et présentées les collections d’art islamiques de deux institutions parisiennes mondialement connues, le Musée du Louvre et son Département des Arts de l’Islam (DAI) ouvert en 2012, et l’Institut du monde arable (IMA), le premier des deux, musée de l’État français, répondant à un régime d’exposition « universaliste-assimilationniste » (cf. p. 158), qui a tendance à marginaliser la portée religieuse des œuvres pour en promouvoir en priorité la valeur artistique et leur insertion dans l’art occidental voire français, et le second, qualifié d’« interculturel-inclusif » (p. 159), qui fait la part belle au religieux et aux communautés locales et caractérise la collection permanente de l’IMA, institution néo-libérale – ces deux modèles étant présentés de manière très convaincante dès l’introduction, en même temps qu’y sont soulevées un certain nombre de questions concernant le sens respectif des expressions qui par force reviennent sans arrêt (l’art musulman, ou islamique ou de l’Islam, etc.). Entreprise titanesque, souligne la préface, en raison d’abord du fait que la collection du Louvre comporte 18 000 objets dont 3000 exposés, sur une superficie de 5000 m2, et celle de l’IMA 560 pièces (cf. p. 45), mais surtout en raison de la plongée endurante et infatigable (trois années d’enquêtes… sans parler du temps de rédaction) que l’A. s’est imposée dans les archives, pour documenter soigneusement la provenance et la trajectoire de chacun des objets, sans se dispenser, dans la deuxième partie de l’ouvrage, de la manière de visiter ces deux collections, la troisième partie étant consacrée à ce qui constitue le cœur de l’enquête, à savoir une réflexion sur les diverses conceptions de « la laïcité muséale ». Un tableau à la fois audacieux et précieux affiche sur deux pages (p. 234-235) la « Synthèse des similitudes et des dissemblances des récits de visite du DAI et de l’IMA ».

La démarche transdisciplinaire de l’ouvrage comporte cinq chapitres. Le premier (p. 57-105) reconstruit l’histoire de l’art islamique, où il est établi que l’altérité islamique n’a cessé de changer, alors que sa mise en scène reste gouvernée par des exigences politiques », celles de calmer la peur de l’immigration et d’afficher l’ouverture du pays à l’altérité (p. 49). Le deuxième chapitre (p. 107-152) étudie de près les musées, leurs fonctionnements et leurs acteurs. Les chapitres trois et quatre emmènent le lecteur au Louvre (p. 161-203) puis à l’Institut du Monde Arabe (p. 205-239, pour une « visite simulée » de ces deux institutions. Le dernier chapitre (p. 243-328) reprend tous ceux qui précèdent, censément à la lumière « de trois grands récits » (dont la présentation p. 50 laisse à désirer) concernant la gestion publique de l’islam en France. Dans la conclusion (p. 329-344), l’A. tente de répondre à la question, qui ne manquera pas de venir à l’esprit du lecteur attentif, celle de savoir s’il est pensable d’imaginer une manière de présenter l’altérité islamique sans tomber dans les travers opposés présentés par les deux musées analysés… Une troisième voie, une « voie du milieu », est-elle pensable ?

Un livre monumental, assurément, à bien des égards. Un million d’espaces-signes, 350 p. dotées de plus de 300 notes infrapaginales et d’une bibliographie de 400 titres sur 21 p. (p. 345-365). Une enquête savante, très poussée, méthodique, archi-documentée, mentionnant des centaines d’acteurs officiels et dûment mandatés en vue de cette « mise en scène de l’islam » dans les politiques culturelles françaises, mais dont il est permis de se demander quel est son public. En effet : ce qu’un universitaire croyait pouvoir attendre de ce livre, à savoir un panorama sélectif des aspects de l’islam ayant une expression artistique, il ne l’a trouvé qu’au compte-gouttes, noyé dans une interminable série d’enquêtes sur quantité de « jeux de rôles », passant en revue l’action du personnel des musées concernés, avec des investigations parfois subtilissimes et microscopiques sur le comportement et les actions et les postulats des uns et des autres – mais qui cela intéresse-t-il, franchement ? Ce que l’on serait gourmand d’apprendre sur le type d’art de l’islam présenté en France est complètement englouti dans l’observation sherlockholmesque des rôles et postures assumés par les personnels des musées concernés. Et du coup, ce que l’on y apprend sur l’islam, son rapport à l’art sous ses différentes formes, qu’il s’agisse d’art tout court ou d’art religieux, est infime et englouti dans une pyramide de considérations sur les rôles et postulats des acteurs de cette mise en scène de l’islam. Un index des centaines de personnes ayant joué ou jouant un rôle dans les deux musées concernés se justifierait, c’est incontestable, et l’on s’étonne même de son absence. Quant à un autre index, sur les sujets et propriétés spécifiques de l’art de l’islam, on comprend que l’A. n’y ait pas même songé : il n’aurait pas eu lieu d’être, le sujet n’étant traité que par accident, et les figures reproduites vers la fin de ce livre dans le chapitre « promenade au Louvre » (fig. 14 à 37) ou dans celui qui concerne l’Institut du monde arabe (fig. 38 à 43) étant rares, souvent microscopiques et quasi jamais valorisées comme telles. Deux exemples : inutile de chercher, p. 166-167, le Lion de Monzón, de nouveau mentionné p. 186 et 201, que l’on entr’aperçoit, si du moins on est apte à le reconnaître, p. 187, reproduit à échelle piteuse, sans la moindre légende adéquate. Autre exemple : on ne demande qu’à croire que le Baptistère de Saint Louis, des années 1320-1340, est un chef d’œuvre de l’art du métal islamique, qualifié étrangement de « Joconde de l’islam » (p. 201), qui au xviie s. aura servi au baptême des enfants de la famille royale française, dont celui du futur Louis xiii (p. 193), et déclenchera des commentaires élogieux de François Hollande, mais il est si petit dans sa vitrine sur la photo reproduite (fig. 35 p. 192) qu’on risque de n’y voir qu’une casserole. Curieuse manière de traiter les chefs d’œuvre… Il a droit pourtant à deux pages et demie de commentaire savant. On peut parler d’un divorce complet, dans ce livre, entre l’érudition muséographique, omniprésente et presqu’accablante de précision méticuleuse, et le partage iconographique dégustatif, qu’on attendrait, mais qui fait complètement défaut.

Pour conclure, et avertir le lecteur de ce qu’il trouvera dans ce livre et de ce qu’il n’a certes pas à y chercher, je proposerais de changer son titre : Analyse méthodique et systématique, à la loupe, de la répartition des rôles et de la diversité des conceptions et des options des principaux acteurs qui ont été ou sont en poste, ayant contribué à la mise en scène de l’islam au Louvre et à l’Institut du Monde Arabe. Ce serait plus honnête… — F. Boespflug

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80