On attendait beaucoup de cet ouvrage, à cause du titre, de sa
curieuse couverture (Catherine de Sienne en Crucifiée) et surtout
de son sous-titre, si proche de l'étude célèbre du Père H.
Thurston, Les phénomènes physiques du mysticisme. Mais
l'introduction nous avertit de la différence profonde avec cet
illustre prédécesseur: «sans tenir compte de la réalité ou de la
fausseté de tous ces phénomènes corporels, nous entendons
simplement analyser le symbolisme qui s'en dégage» (11), à travers
la littérature hagiographique mondiale de toutes traditions (alors
que Thurston s'est limité à l'occident), pour «saisir la nature de
chaque phénomène corporel», «dans une perspective naturellement
comparatiste» (12-13). Tout au long de l'ouvrage, on va donc
observer «que le principal souci du mystique est d'engager un
véritable combat contre sa corporéité», selon deux grandes méthodes
(la mortification et l'extase), dont le résultat doit toujours être
le même: écarter la chair, la réduire à néant (383). Faisant fi
volontairement de l'habituelle discrétion des auteurs sur «la
physiologie de l'ascèse» (245), le livre ne nous épargne rien de ce
qui arrive au «corps angélique» (odeur de sainteté, invisibilité,
luminosité, mobilité), au Moyen-âge, en Inde, au Tibet, en Chine ou
dans l'Islam. «Le corps prodigieux» et «les chemins de la négation»
suivent la même approche, qui accumule sous des formules-chocs
(l'automomification, l'anorexie divine, les sectes coprophages…)
tout un fatras d'observations croisées d'où ne peut surgir que
l'hypothèse de départ: d'un côté, le corps béatifié, de l'autre, le
corps dénutri, toujours objet de la violence imposée à la chair
(383). Devant ces fondements (comme la «fracture cosmogonique», qui
dépasse de très loin, paraît-il, l'interprétation classique du
thème de la chute originelle, 391), on veut bien avouer son
incompétence, mais aussi son sentiment de vertige: le voyage du
corporel vers l'inaudible (21) est-il si étranger à ce qu'il y a de
divin dans l'homme? - N. Hausman scm