Apprécié par saint Bernard et Pierre le Vénérable, abbé de Cluny,
Guigues de saint Romain (1083-1136), oublié pendant des siècles,
fut redécouvert par Étienne Gilson et dom Wilmart dans les années
1930. Né près de Valence en France, il entra en 1106 à la Grande
Chartreuse fondée en 1084 par saint Bruno (1035-1106) qui partit
fonder un autre couvent en Calabre. Dès 1109, Guigues fut élu
cinquième Prieur de son couvent tant son intelligence et sa piété
avaient frappé ses confrères. Entre 1110 et 1120, il rédigea ses
476 Méditations ou Pensées écrites dans un style qui fait penser à
Marc-Aurèle ou à Pascal . À partir de 1115, la Chartreuse multiplie
ses fondations dans les Alpes, le Jura et les Ardennes Françaises.
Alors seulement se fait sentir le besoin d'une Règle pour unifier
la vie religieuse. Tous les Prieurs supplient Guigues de la
rédiger. Il s'attelle à la besogne et intitule modestement son
oeuvre Coutumes. En effet, il reprend les coutumes
héritées de saint Bruno, mais les transfigure par son élévation de
vues à propos des moindres points. Outre ces deux oeuvres, Guigues
a encore publié une édition critique des Lettres de saint
Jérôme, une Vie de Hugues, l'évêque de Grenoble qui avait
accepté saint Bruno, et il nous reste 9 de ses lettres. En 1133, le
Pape approuve les Coutumes. Un an plus tôt, une avalanche avait
détruit la Chartreuse en tuant 7 religieux, aussi fut-elle
reconstruite à un endroit moins exposé de leur propriété. Guigues
mourut à 53 ans, vénéré de ceux qui l'avaient approché. C'est dans
les 476 Méditations patiemment redécouvertes par dom Wilmart que
l'on découvre le mieux la spiritualité du grand prieur. L'ouverture
du recueil en donne le ton: «La vérité doit être adorée sur la
croix, sans grandeur et sans beauté.» Jésus crucifié révèle
l'infinie bonté de Dieu. Guigues a voué sa vie au Christ crucifié,
mais sans raideur, avec bonté et douceur. La contemplation
introduit le chartreux dans le mystère de l'amour trinitaire et
dans l'imitation de l'amour du Christ. La contemplation cartusienne
est conformation au Christ, en se laissant enseigner et former par
lui dans un repos militant et dans l'amour du silence. Ce livre est
une bonne introduction à la spiritualité cartusienne. - B. Clarot,
S.J.