La « kénose » du Père chez H. U. von Balthasar. Genèse et limites

Nathanaël Pujos
Théologie - Recenseur : Emmanuel Tourpe
Ce petit livre constitue une valeureuse tentative d'affronter lucidement les grandes critiques habituellement faites à la théorie balthasarienne de la kénose. L'A. reconstitue tout d'abord (chap. 1) avec justesse les éléments premiers de la pensée kénotique du théologien suisse, en pointant en particulier le rôle joué par Przywara, Barth mais surtout von Speyr («le foyer mystique») et Boulgakov. Ce serait trop dire cependant qu'il fait voir la «genèse» de la doctrine balthasarienne, car l'auteur est essentiellement préoccupé d'expliquer les déterminants de la Trilogie finale - ce qui est un raccourci ennuyeux. En règle générale, il ne faut d'ailleurs pas s'attendre à un ouvrage scientifique de référence, la bibliographie consultée et citée étant beaucoup trop sommaire. La véritable contribution de l'ouvrage est plutôt à trouver dans la manière, assez habile, avec laquelle il fait dialoguer certains textes de Balthasar avec des textes critiques.
Pujos isole tout d'abord le noyau dramatique de la kénose du Père (chap. 2), qu'il met à raison en lumière à partir des textes de F. Ulrich. Il y a cependant un problème originaire dans l'idée d'un «concept» de kénose trinitaire: cela ne correspond pas, parfois d'ailleurs à tort, à la rationalité schelligienne d'un Balthasar bien plus épris de décrire, voire de raconter, la vie intratrinitaire que de la «conceptualiser». Heureusement l'A. insiste sur le caractère d'inclôture du discours balthasarien (cf. p. 182). Il faut néanmoins tenir ce point d'épistémologie à l'oeil si l'on veut éviter de transformer les percées visionnaires de Balthasar en une doctrine bouclée et achevée dont une scolastique balthasarienne pourrait faire son bien à l'avenir. Pujos n'apporte rien d'essentiellement neuf sur la question de l'amour dans la théologie de Balthasar, mais sa courte synthèse à partir de la kénose n'en est pas moins correcte et solide. L'A. fait ensuite valoir plusieurs éléments de contradiction à la pensée kénotique de Balthasar, tout particulièrement ceux soulevés par R. Lafontaine (chap. 3). Opposant toutefois la critique «dogmatique», d'inspiration thomiste, qui lui paraît «réduire l'expression théologique de Balthasar à une grammaire indispensable mais qui n'est pas fondamentalement la sienne» (p. 184), à une critique «fondamentale», Pujos reconnaît qu'il existe une «possibilité» que Balthasar introduise dans le discours théologique une négativité en Dieu même. Ce faisant, l'A. aurait pu, et dû, mettre en garde le lecteur contre les innombrables vices qui entachent la traduction française de Theodramatik 3, laquelle accroît encore le danger souligné de manière presque insupportable. Pujos conclut en proposant une manière de comprendre Balthasar qui échappe à ce risque - en soulignant que c'est la kénose du Fils qui est «ex-haussée», toute «inquiétude étant déjà par avance englobée dans un Amour « toujours plus grand »» (p. 181). Le débat n'est certainement pas terminé avec cette interprétation, qui reste d'une grande intelligence et qui a sa place dans les études balthasariennes. - E. Tourpe

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