Pas une biographie ou des mémoires. C'est pourtant personnel puisque viennent là des noms connus (de Certeau, Blondel, Duméry…) et beaucoup d'anonymes rencontrés et écoutés; puisqu'il y a là aussi ce qui a été ressenti, ce qui a touché. En même temps, M.B. ne «se raconte pas», ne ressasse pas le passé pour s'en plaindre ou s'en targuer. Ce qui lui importe n'est pas de s'épancher mais de laisser filer les mots pour qu'ils en viennent encore à rejoindre, à joindre ce point-source, quête qui parcourt toute son oeuvre. «Toute ma vie est un détour pour essayer de joindre et de rejoindre le point juste». On y entend et on y explore une déception, un manque de ce qui aurait pu être et n'a pas été. Car n'est-il pas vrai que l'humanité dans son ensemble, depuis les deux guerres mondiales, a manqué de puissance créatrice, comme si nous étions pris dans un mécanisme d'évitement? «J'appelle décidément ainsi (longue veille) ce temps de ma vie, depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui, où en somme j'ai attendu ce qui n'est pas venu».
Quoi? N'avons-nous pas fait oeuvre critique, n'avons-nous pas déconstruit, n'avons-nous pas inventé? Sans doute, mais sans descendre au point critique, à cette Krisis d'où sort aussi bien l'inhumain que l'homme neuf. Nous avons manqué une science de l'humain… Mais, dira-t-on,… l'Évangile? Qu'en avons-nous fait? Comment expliquer les dérives de l'Occident chrétien: les camps de la mort, le «Dieu pervers»? Plus fondamentalement, l'Évangile n'est-il pas devenu «le lieu perdu»?
Pour autant, le livre n'est pas un marais où stagnent les regrets et les amertumes. Bien plutôt «une vague déferlante», «un texte à vif», «à l'envolée» qui, en tous ses détours, veut le déplacement (mot-clé). Déplacement qui nous mène vers la fin du monde et en même temps sur l'autre rive. Car «nous sommes d'un autre monde»… M.B. a maintenant son cercle de lecteurs, ceux qui, avec lui, veulent chercher demeure et voie. En ce livre, ils retrouveront ici l'homme d'une pensée forte, originale, renouvelante mais aussi l'écrivain. Car Bellet l'est résolument. Par le désir de dire, de mettre en mots, de mettre des mots. Par la nécessité: ses livres sont comme des échelles pour sortir (de la maison en feu ou l'échelle du rêve de Jacob), pour aller ailleurs, au-delà. Et puis, il y a une force de frappe, une intensité ardente des formules, une fulgurance: «la force de vivre», «il n'y a pas d'homme condamné», «cette chose étrange»…
Les libraires du groupe Siloë, en primant cet ouvrage, ont désigné une oeuvre à lire, à travailler. Que Maurice Bellet trouve là non seulement un signe de gratitude mais aussi l'encouragement pour continuer à écrire… - H. Thomas, O.S.B.