La part faite au gouvernement français dans le processus actuel de nomination des évêques. Étude des relations juridiques entre la France et le Saint-Siège

Arnaud du Cheyron
Histoire - Recenseur : Bernard Joassart s.j.

L’ouvrage d’A. du Cheyron est tiré d’une thèse de droit canonique présentée devant l’Université grégorienne. Comme le rappelle bien l’A., le choix des évêques n’a pas, depuis les origines du christianisme, suivi des normes invariables. Par ailleurs, il ne fait pas de doute qu’il est un moment important dans la vie ecclésiale, quelles que soient les procédures suivies et que, surtout de nos jours, Rome entend bien préserver au maximum sa liberté de choix, ce qui n’exclut pas des exceptions à la règle générale et des accommodements avec les États.

On se rappelle que le concordat napoléonien de 1801 – qui par ailleurs fut comme l’archétype de tous les concordats depuis lors signés par Rome – accordait un rôle majeur au pouvoir politique dans le choix des titulaires d’évêchés. L’État nommait aux évêchés et Rome accordait les provisions ecclésiastiques. Évidemment, comme dans toute forme de contrat, les procédures peuvent certes être soigneusement précisées, mais il faut aussi toujours tenir compte de la bonne volonté des parties. Les chicaneries peuvent souvent surgir, de préférence là où on ne les attend pas nécessairement, d’autant que dans le cas français, les articles organiques, d’autre part jamais reconnus par Rome, avaient singulièrement compliqué les choses. Tant et si bien que l’application, de 1801 jusqu’à la rupture de 1905, connut bien souvent des avatars pas toujours des plus agréables, d’autant que le gallicanisme, tant de l’État que de l’épiscopat français (mais selon des modalités différentes), n’était pas bien fait pour assurer une parfaite harmonie entre les deux partenaires.

Vint la loi de 1905 qui changea radicalement la donne, du moins en théorie. Rome retrouva alors une pleine liberté dans le choix des évêques. Les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Paris, rompues à l’occasion de la loi de 1905, ne reprirent que quelques années après la Grande guerre, les « curés sac au dos » tout comme le patriotisme de la hiérarchie (comme ce fut le cas d’ailleurs dans tous les pays belligérants) ayant manifestement apaisé le climat entre les deux puissances. De concordat, il ne fut pourtant plus question, exception faite des diocèses de Metz et Strasbourg encore et toujours régis par la convention héritée du Consulat. Est-ce à dire que l’État devenait radicalement indifférent à la nomination des évêques qui occupent, qu’on le veuille ou non, une place « en vue » dans la vie de la société ? Bien au contraire. Il demanda même à Rome un aide-mémoire qui, depuis 1921, lui reconnaît un réel droit de regard sur les nominations épiscopales. Certes, Rome jouit d’une réelle latitude, mais les instances du côté de l’État français (ambassade près le Saint-Siège, nonciature, ministère des Affaires étrangères et de l’Intérieur, et même la présidence de la République), ne manquent pas, qui interviennent dans le processus de nomination. Ce qui vient d’être dit concerne la majorité des diocèses français. Pour certains diocèses, les procédures peuvent être un peu différentes, notamment dans les Tom-Dom, ou encore dans le cas du diocèse aux Armées où le ministère des Armées a aussi son mot à dire.

Ce qui est évidemment intéressant dans cet ouvrage, c’est de voir que chacune des parties a ses propres critères – et donc ses propres intérêts – quand il s’agit du choix d’un évêque : l’idonéité d’un candidat n’est pas appréciée identiquement de part et d’autre des Alpes ! Paris a des critères plus « politiques », que Rome qui se veut avant tout pastorale.

Il me paraît intéressant d’indiquer ici les conclusions principales que l’A. a tirées de son étude (indépendamment de certaines circonscriptions qui obéissent à des règles particulières). Il rappelle tout d’abord que l’Église de France est encore et toujours héritière du concordat napoléonien, en particulier du fait qu’il prévoyait la restructuration des diocèses, ce qui entraîna à la fois la démission de facto de tout l’épiscopat alors en place et la nomination conjointement par l’État et Rome de nouveaux évêques. Le chef de l’État demeure le seul qui de nos jours encore nomme des évêques. L’aide-mémoire de 1921 – rappelons-le, demandé par Paris – n’est pas en soi original ; la pratique qui reconnaît aux États un droit de regard sur les nominations d’évêque est largement répandue de par le monde, bien sûr selon des modalités variables. Enfin, l’A. estime, in fine, qu’il aurait sans doute dû formuler autrement le titre de son ouvrage : au lieu de parler de la « part faite au gouvernement français… », il eût été de meilleur aloi de parler de « la part que s’est faite le gouvernement… ». Et le dernier paragraphe est assez éloquent : « En somme la part faite au gouvernement français est plus que conséquente. Elle permet de dire qu’en France, patrie de la séparation des Églises et de l’État, Dieu et César demeurent étroitement liés par la procédure de nomination des évêques » (p. 196). Serait-ce la rançon d’être considérée comme la « fille aînée de l’Église » ? — B. Joassart s.j.

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