La pensée politique de Frédéric Ozanam. Une vision pour notre temps

Charles Vaugirard
Morale et droit - Recenseur : Emmanuel Tourpe

L’excellent chroniqueur du site Cahiers libres qu’est Charles Vaugirard nous offre, à travers cet ouvrage, une brillante introduction aux sources cachées de la démocratie chrétienne chez le Bx Frédéric Ozanam. Le professeur et fondateur de la Société Saint-Vincent de Paul se révèle, dans ce livre clair et bien informé, bien autre chose qu’un acteur social de la charité : ses lettres, ses articles, ses cours et ses livres nous montrent un véritable penseur politique, capable de renouveler notre vision de la démocratie et d’offrir, y compris pour notre temps, de vraies ressources théoriques. Il faut bien dire que ce résultat est assez inattendu, tant nous avons d’Ozanam une image souvent muséale, voire romantique. Le voici, grâce à cette très belle recherche de Vaugirard, désormais un penseur politique avec lequel il faut compter à côté de Maritain.

La démonstration est nette. Après un bref rappel du contexte historique assez particulier dans lequel a vécu Ozanam, à une période de crise idéologique et politique où la démocratie n’était pas le choix instinctif des catholiques, l’A. s’attaque d’emblée dans une première partie à « La République, mais dans sa définition chrétienne » (p. 33s.) : on y justifie le choix, visionnaire pour l’époque, que fait Ozanam pour la république. Ou, plus précisément, pour le choix qu’il fait entre « les deux républiques » possibles (p. 57), c.-à-d. entre démocratie païenne et démocratie chrétienne, pour une démocratie qui est l’antichambre d’une « civilisation de l’amour » (p. 71). La démocratie chrétienne y est vue comme « aboutissement de l’histoire » (p. 90).

Dans une deuxième partie (« Une pensée sociale pour une société en transformation », p. 95s.), l’A. réinvestit un aspect plus connu de la pensée ozanamienne pour en montrer le sens politique : les questions de la justice sociale, de la propriété et du travail donnent lieu chez Ozanam à une compréhension profondément chrétienne où les principes moraux, de charité, voire d’écologie et de subsidiarité donnent un fondement que l’on pourrait appeler « personnaliste » de la société humaine – ce que l’A. appelle une « vision plus large, plus anthropologique » (p. 95) qu’une vision purement économique.

La troisième et dernière partie, que le lecteur découvre avec un vrai plaisir intellectuel, tend à actualiser les postures de Ozanam (Ozanam aujourd’hui, p .161s.) Outre un passage qui prêtera à débats sur les héritiers du jeune intellectuel français (parmi lesquels on retrouve le MRP et le gaullisme selon l’A.), l’A. cherche dans un excellent chapitre à situer « La pensée de Frédéric Ozanam » par rapport aux « Chrétiens en politique de notre temps » (p. 189s.). C’est le nerf de l’ouvrage. L’A. y suggère avec finesse et force à quel point la posture d’Ozanam est inspirante pour les chrétiens du xxie s. à tous points de vue – tout particulièrement dans la manière de gérer les débats publics sans violence, ou dans un contexte de Gilets jaunes et de nouvelle question sociale. Ce n’est rien de moins qu’à « l’avènement temporel de l’Évangile » (formule délicieusement dangereuse, p. 212) que nous invite l’A. sur les pas de Ozanam. Vaugirard est vraiment très bon dans ce dernier chapitre, qui quitte les rives strictes de la science et ose, avec brio, un exercice « à la manière de Ozanam » très réussi. — E. Tourpe

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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