La Sage-Femme d’Auschwitz, trad. M. Beury

Anna Stuart
Spiritualité - Recenseur : Alain Mattheeuws s.j.

Un roman célèbre anglais, récemment traduit en français, nous fait entrer dans l’enfer des camps d’extermination allemands de la dernière guerre et, paradoxalement pourrait être source pour le lecteur d’un grand amour de la vie et d’une espérance à toute épreuve. Le roman est inspiré d’une incroyable histoire vraie. L’héroïne, la sage-femme appelée Ana, est polonaise et dans la réalité sa vie a revêtu une telle image de force et de bonté qu’un procès en reconnaissance de sainteté est en cours à Rome à son propos (voir notes historiques p. 368-381).

Une histoire d’amour entre deux juifs est la porte d’entrée du récit. Dans le contexte de persécution des juifs, leur mariage est marqué par la mise en ghetto à Lodz. L’amitié entre Ana la sage-femme polonais et Ester, la jeune épouse infirmière, grandit dans le soutien mutuel, la résistance aux privations et humiliations subies. Les persécutions ne sont pas un vain mot. Et puis, un jour pour sauver la maman d’Ester, elles sont prises l’une et l’autre dans un train pour Auschwitz. Comment aimer, se soutenir, survivre dans ce lieu maudit ? La phrase qui lie ces deux femmes et leur soutien mutuel s’exprime régulièrement ainsi : « Rappelle-toi, notre seule arme, c’est de rester en vie, et pour rester en vie, nous devons aimer, nous devons donner, et, malheureusement, nous devons souffrir. »

Un chemin difficile s’ouvre pour elles dans le camp : les nazis recherchent une sage-femme pour prendre soin des femmes enceintes prisonnières et leur permettre d’accoucher dans ces conditions « inhumaines ». La vie surgit ainsi, brève étincelle de joie et d’amour pour ces mamans car ces enfants sont tués presque immédiatement, ou livrés à des médecins sans scrupules, ou bien offerts en adoption à des familles allemandes s’ils ont les yeux bleus et les cheveux blonds ! Ana et Ester sont attelées à cette tâche qui demande beaucoup de soins mais surtout de courage pour lutter contre le désespoir et la colère en elles et dans les mères enceintes. Leur quotidien est un combat de chaque instant pour survivre et réaliser leur tâche : elles se soutiennent mutuellement. Elles offrent du réconfort à celles qui portent la vie. Rien que le récit de leurs efforts est une œuvre d’art pour dire ce qu’est la dignité humaine. Face aux horreurs et aux élans de mort, nous prenons conscience non pas seulement des faits repris par d’autres récits et historiens, mais nous participons de manière proche aux regards et à la sensibilité de femmes qui côtoient quotidiennement les conséquences de la haine et des principes les plus durs du nazisme. Ce regard féminin et les actes qu’elles posent nous montrent la force et la dignité de la femme au service de la vie.

Un jour, les deux femmes réalisent qu’elles peuvent faire plus. Une idée surgit, créative, au cœur de l’obscurité de la nuit. Une espérance s’élabore. Ester, secrètement, commence à tatouer les petits enfants qui naissent avec le numéro de déportés de leurs mères : « et si un jour, après l’horreur de la guerre, grâce à ce tatouage, ces enfants et leurs mères pouvaient se retrouver ? » Ce qui sous-tend cet acte, c’est l’espoir de la fin de cette guerre, c’est l’espoir de sauver des liens (maternels et filiaux), c’est l’espérance que la mort ne peut pas avoir le dernier mot. La vie est plus forte que toute mort. La dignité de la personne humaine ne peut jamais être réduite totalement. Ces affirmations sous-tendent leur vécu : elles traduisent dans la fragilité de leur corps et de leurs accompagnements une foi qui vient à la fois de l’ancien et du nouveau testament. Cet acte est une lumière, une consolation dans la noirceur et la désespérance de leur situation. Peut-être est-ce cette foi qui donne tant de paix à la lecture du récit !

Ces deux femmes survivent après la fin du camp et essaient de reprendre pied. Elles rencontrent la réalité de leurs propres liens familiaux blessés par le décès d’un proche et la recherche longue d’autres membres de leur famille. Le livre se termine non pas par un « happy end », même si certaines retrouvailles sont décrites avec une grande beauté et sobriété, mais par une décision généreuse et d’une grande moralité prise par Ester et Filip, ce jeune couple qui s’est retrouvé vivant. Laissons au lecteur la joie d’en prendre connaissance

Un livre qui, par les yeux de deux femmes, redonne foi en l’humanité. — A.Mt.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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