Le chrétien peut-il aussi être citoyen ?
Bernard BourdinPhilosophie - Recenseur : Xavier Dijon s.j.
Comment le chrétien peut-il faire vivre ensemble son appartenance ecclésiale rendue insignifiante de nos jours dans nos sociétés séculières, avec son appartenance politique à un corps démocratique qui n’a pas bonne mine non plus, soumis qu’il est aujourd’hui aux forces contraires de la revendication des droits de l’individu et de l’humanitaire mondialisé ? Bernard Bourdin, prêtre dominicain, professeur à l’Institut catholique de Paris, poursuivant sa réflexion fondamentale sur les liens du christianisme et du fait politique, propose de garder confiance en l’une et l’autre appartenance car, tout compte fait, elles vont bien ensemble, à condition d’opérer ce qu’il appelle la décoïncidence. Politique et religion ne peuvent en effet se détacher l’une de l’autre, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elles devraient coïncider : l’ère de la chrétienté a vécu, de même que l’identification du message chrétien à un parti déterminé. Mais si l’autonomie moderne du politique a été acquise après la rude épreuve des guerres de religion, elle doit éviter à son tour le péril de l’autofondation qui viserait, cette fois, la pure et simple coïncidence de la société avec elle-même. Tel est le service que peut rendre le citoyen-chrétien à la démocratie contemporaine : de lui apporter, non plus son fondement théologico-politique comme le faisait autrefois le chrétien-citoyen, mais sa justification théologique, en l’occurrence son messianisme. Déjà les Juifs avaient creusé l’écart entre la seule vraie royauté de Dieu et celle de David ; les chrétiens radicalisent la distance en reconnaissant en Jésus de Nazareth, né en notre monde, le Fils de Dieu qui inaugure en sa mort et sa résurrection un Royaume qui n’est pas de ce monde, et dont les leviers sont la foi, la charité et l’espérance. Alors que le contrat social des penseurs libéraux présuppose un état de nature où les libertés restent isolées en elles-mêmes, le chrétien invoque une référence à l’Alliance proposée par une Transcendance qui constitue le peuple – peuple d’Israël d’abord, peuple ecclésial ensuite, appelé à rassembler toutes les nations. Du même coup, alors que la démocratie libérale recherche partout, par la figure du contrat social, la coïncidence de la société avec elle-même, et donc, des gouvernés avec leurs représentants, comme aussi de la loi commune avec les désirs de chaque individu, le messianisme chrétien rappelle la nécessité d’une personnification du pouvoir qui invite la société à se mettre en recherche d’un bien réellement commun.
L’ouvrage fait évidemment référence à l’Écriture sainte (Rm 13 : il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu…), mais aussi aux philosophes politiques tels que Bodin, Spinoza, Hobbes, Locke Rousseau, Peterson, Schmitt, Gauchet, Jullien. Des rappels majeurs y sont bienvenus : l’importance de la communauté historique de la nation comme condition de la démocratie ; la distinction entre légalité et légitimité, comme entre pouvoir et autorité ; l’erreur de réduire le christianisme à des valeurs ; le nécessaire dialogue des civilisations comme accès à l’universel. Le chapitre final, consacré à la crise écologique, compare la pure éthique de conviction manifestée par le catastrophisme de Greta Thunberg dans son discours à l’ONU avec la valeur ajoutée qu’y introduit l’éthique de responsabilité exprimée par le pape François dans Laudato si’. Voici donc un ouvrage paradoxal : au moment où les chrétiens semblent n’avoir plus rien à dire sur la conduite des affaires publiques, B. Bourdin leur apprend que l’apport de leur messianisme est essentiel à la bonne marche de leur démocratie. Comme le dit la quatrième de couverture : « Un livre essentiel pour mieux comprendre les urgences d’aujourd’hui et pour construire le bien commun de demain. » – X. Dijon s.j.