On passera rapidement sur les contributions de R.-P. Droit, philosophe, L'identité perturbée (p. 117-128), de M. Augé, anthropologue, Des individus sans filiation (p. 143-157) et de N. Fresco, historienne, Protestations, acclimatation (p. 173-187), qui n'apportent rien de décisif sur la question controversée du clonage humain. M. Augé a le mérite de projeter quelques éclairages anthropologiques sur ces manipulations qui réveillent sans que l'on s'en rende compte des sentiments et des pulsions enfouis très profondément dans l'inconscient de l'humanité depuis la nuit des temps.
Les pages de H. Atlan, médecin et biologiste, Possibilités biologiques, impossibilités sociales (p. 17-38) méritent quelque attention. Dans une formule frappante, il voit dans la perspective du clonage dit thérapeutique «un renouvellement de pratiques antiques de sacrifice humain» (p. 31). Sur le plan biologique, l'auteur compare l'identité entre un clone et l'organisme dont il provient avec celle de jumeaux monozygotes. Il rappelle l'influence des «facteurs épigénétiques et des éléments aléatoires» (p. 25) qui différencient quelque peu les jumeaux sur le plan biologique (p. 25-26) et qui joueraient également dans le cas des clones. Mais surtout, il attire l'attention sur le fait qu'à la différence des jumeaux, l'organisme donneur et son (ou ses) clone(s) produit(s) par transfert nucléaire ne possèdent pas la même hérédité cytoplasmique. Le clone possède en effet les mitochondries de l'ovocyte et donc l'ADN mitochondrial. La remarque est pertinente. On notera toutefois que Dolly ne fut pas produite par transfert nucléaire, mais par fusion d'une cellule donneuse et d'un ovule énucléé, ce qui implique qu'elle possède de l'ADN mitochondrial provenant des deux adultes en question. Plus grave, H. Atlan ne dispose pas d'une métaphysique de l'individu qui lui permette d'analyser ces situations d'un point de vue philosophique avec pertinence.
La contribution de M. Delmas-Marty, juriste, Certitude et incertitudes du droit (p. 67-97), est quant à elle d'un niveau exceptionnel. Rarement sans doute, l'A. a exprimé de manière à la fois technique, synthétique et claire ses intuitions les plus profondes ailleurs que dans ces pages. M. Delmas-Marty situe le problème juridique du clonage dans deux ensembles de notions évolutifs: les droits de l'homme et le crime contre l'humanité, tous deux apparus dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sur le fond, son analyse repose sur une compréhension du concept de dignité humaine, selon laquelle celle-ci n'est pas seulement celle de la personne, mais également celle de l'humanité tout entière. Cette conception n'est pas sous-jacente à tous les instruments internationaux. Elle n'apparaît pas expressément dans la Déclaration universelle des droits de l'homme (10 décembre 1948) ni dans les deux Pactes de 1966. En revanche, le Préambule de la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine de 1996 affirme «la nécessité de respecter l'être humain à la fois comme individu et dans son appartenance à l'espèce humaine».
On comprend dès lors comment se structure la pensée de l'auteur. Le clonage sera envisagé sous un double point de vue, celui des droits de l'homme tout d'abord - et en ce sens, il constitue une atteinte à la dignité de la personne individuelle - et celui du crime contre l'humanité ensuite - et en ce second sens, le clonage constitue une atteinte à la dignité de l'humanité, car ce qui caractérise le crime contre l'humanité, «c'est l'identité de la victime, l'Humanité» (p. 89). Du point de vue des droits de l'homme, M. Delmas-Marty suggère de faire entrer l'interdiction du clonage dans le noyau dur des droits de l'homme: «En somme, si l'on admet qu'en protégeant l'humanité, le crime contre l'humanité tend à protéger, non pas l'espèce humaine limitée à ses caractéristiques biologiques connues, mais l'humanité telle que la notion s'est construite lors du processus d'humanisation, c'est-à-dire la singularité de chaque être humain et son égale appartenance à la communauté humaine, il serait alors nécessaire de modifier le droit français et le droit international pour définir comme crime contre l'humanité le fait de mettre en oeuvre des pratiques, 'aux larges dimensions ou systématiques', tendant à organiser 'en connaissance de cause' la reproduction d'êtres humains par clonage» (p. 93). - Ph. Caspar.

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