L'A. se fait cependant extrêmement critique de nos sociétés où l'espace langagier du sens est réduit, si pas annulé, par l'envoi d'images qui passent à toute vitesse, par un zapping aussi bien imposé que produit, voulu, choisi. L'idéal serait aujourd'hui de «ne jamais accorder son temps et sa respiration à la pensée, la dignité de la lenteur, sa gravité à la mémoire» (p. 244). Le producteur d'images tient aujourd'hui son client à sa merci. Il lui suffit d'exacerber ses émotions en réduisant les distances constitutives de la réflexion et de la parole; la pauvreté du vocabulaire de nos contemporains livrés aux jeux inconsistants de la «toile» provoque légitimement notre inquiétude. Une formule exprime fort bien la thèse de l'ouvrage: «la question du regard n'est pas une scène solitaire mais celle d'un commerce entre des sujets qui partagent la vie ou la mort d'un sens» (p. 33).
Les références bibliques ne manquent pas dans l'ouvrage, puisque le thème de l'image a reçu son site et son sens de l'Écriture. On peut penser que la distinction faite par Jean-Luc Marion et Stéphane Mosès entre l'idole et l'icône est ainsi reprise: l'idolâtre en effet, «se saisissant dans l'objet de son désir, se laisse assouvir par lui» (p. 34). Cela dit, l'A. entre en guerre contre le christianisme, interprétant le glissement que fait saint Paul de la chair (vivante, mouvante) au corps (fixé dans ses articulations précises) comme étant au principe de nos sociétés contemporaines gérées de manière hiérarchique et uniformisante, en épuisant les forces de l'esprit vivant. Les affirmations de l'A. deviennent alors cavalières, pour ne pas dire idolâtriques; l'A. se complaît dans des jugements à l'emporte pièce, par exemple quand il nous apprend que le corpus paulinien a été fixé par la «commission biblique romaine» (p. 75), ou quand il ne voit dans l'eucharistie qu'une «parole magique» (cf. p. 181). Voilà des affirmations dont la qualité n'est pas vraiment à la hauteur du travail philosophique proposé dans l'ouvrage. - P. Gilbert sj