Le déluge et ses récits: points de vue sémiotiques

Col.
Écriture Sainte - Recenseur : Jean-Louis Ska s.j.
Le groupe ASTER (Atelier Sémiotique des Textes Religieux) est formé des chercheurs canadiens de langue française qui s'intéressent aux diverses interprétations que certaines grandes thématiques bibliques ont pu susciter au cours des âges. La lecture, en effet, «ne consiste pas à décoder un contenu figé, supposé universel ou non, elle est d'abord, en relation avec le contexte qui la détermine et l'alimente, une énonciation renouvelée et transformatrice», selon D. Bertrand cité p. 3. La méthode adoptée est celle de Greimas «nouvelle manière», c.-à-d. une sémiotique qui explore davantage les passions et les émotions alors que la première s'est surtout caractérisée par le «carré sémiotique». Le volume comprend une introduction de P. Daviau (Saint-Paul, Ottawa), huit contributions, une bibliographie, mais aucun index, ce qui ne rend pas ce volume très «convivial».
J.-Y. Thériault paraphrase le texte biblique de Gn 6-9 en utilisant, le cas échéant, les catégories de la sémiotique. En conclusion, il affirme que le déluge n'est pas l'occasion d'une nouvelle création, mais plutôt d'une régénération et d'un renouvellement de la création. C'est la nouvelle de Roger Caillois, intitulée Noé, qui retient l'attention d'A. Mercier. Dans ce récit, R. Caillois adopte un point de vue «rationaliste» et montre que le récit du déluge est traversé par l'arbitraire, entre autre celui du châtiment collectif. C'est le désarroi et la révolte du «juste Noé» qui devient le centre de réflexion plus que le tumulte des eaux. La nouvelle de Jean Supervielle, L'Arche de Noé, adopte quant à elle une tonalité bouffonne, comme le souligne F. Fortier; elle décrit le déluge «comme une parenthèse dans l'histoire du monde, sans motivation ni sanction, qui annihile les repères cognitifs au profit d'une saisie strictement sensible, où l'on voit sans comprendre, ni même s'interroger» (p. 71).
Avec A. Fortin, nous passons à la Cité de Dieu d'Augustin d'Hippone dont elle offre une lecture sémiotique du chap. 15. Il y entrevoit les linéaments d'une théorie de l'interprétation qui annonce certaines herméneutiques subjectivistes modernes. É. Pouliot nous emmène encore davantage en arrière dans le temps puisque nous relisons avec lui l'épopée de Gilgamesh. Ce vieux récit contient une critique voilée de dieux fort capricieux qui croient contrôler le monde. I. Dalcourt revient à l'époque contemporaine avec la lecture d'un texte philosophique, «Causes et raisons des îles désertes» de Gilles Deleuze. Cette lecture, assez compliquée, se termine par cette phrase caractéristique: «La figure des îles - plus précisément de leur devenir - dessine les conditions ontologiques d'une véridiction indécidable» (p. 131). Le roman de Ch. Frenette, La terre ferme, utilise le déluge comme toile de fond d'un drame familial, le suicide de deux frères et la quête d'une jeune fille (M. Poirier). Enfin, J. Pierre a choisi le roman de J.M.G. Le Clézio, Le déluge. Il montre que le vieux récit biblique sert avant tout à démonter toutes nos certitudes. Le lecteur trouvera dans ce volume du bon et du meilleur. Ce dialogue interdisciplinaire est toutefois d'un grand intérêt même s'il faut sans doute regretter un certain «solipsisme méthodologique». - J.-L. Ska sj

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