Le paradoxe infini. Pour une science de l'humain

M. Bellet
Philosophie - Recenseur : Hubert Thomas
Comment dire? Voici un livre surprenant. De quel domaine relève-t-il? Philosophie? «Théologie express» postmoderne? Psychanalyse appliquée à la culture?Rien de tout cela. Ce livre se veut une science de l'humain. Voilà qui a de quoi déconcerter tant le vocable est ici paradoxal. Nous avons certes des sciences humaines mais chacune cantonnée en son territoire et pas toujours au clair quant à ses présupposés. Mais, dira-t-on, n'y a-t-il pas, à plus de hauteur, la philosophie et la religion? Toutefois, les choses étant ce qu'elles sont, où trouve-t-on la philosophie ou la théologie reprenant à fond la question de l'humain et de l'inhumain?
M.B. se propose ainsi de relever le défi: aborder l'enjeu à la manière de la science. Avec l'inconditionnelle recherche de la vérité et le retour à l'expérimentation que cela suppose. Voilà qui semble inconscient mais qui, à la mise en oeuvre, produit bien des déplacements. Ainsi, l'exigence de vérité, déloge drastiquement de la rationalisation et de la position doctrinaire. Ainsi encore, subversion de l'«objet» de science. C'est plus que la non-objectivation de l'humain, c'est le sujet délogé de sa prétention à se poser par soi seul. Car, en amont du sujet, comme ce qui le commence, il y a l'inaugural, ce qui lui donne d'être humain, d'être hors des terreurs et fureurs qui le tirent dans l'inhumain.Présupposé? Non! Il ne s'agit pas là de ce qui serait posé là par une pensée doctrinaire mais ce qui advient, dans et pour l'écoute, requise par l'ouverture inconditionnelle à la vérité.
On l'aura compris, cette science de l'humain a de quoi déconcerter. Elle n'oeuvre pas dans tel ou tel domaine, dans telle discipline mais en amont. Elle veut remettre en marche l'exigence de vérité pour dépasser ce qui la fixe et la détermine en idéologies, en thèses, en pensée unique.
Hauteur métaphysique? Mais c'est oublier que l'inaugural n'est pas un principe inerte, il agit pour opérer la critique radicale de tout ce qui pourrait réduire l'humain et empêcher son écoute inconditionnelle. Il rouvre sans repos tout le possible afin que tout puisse être entendu et trouver chemin. C'est oublier aussi que la science de l'humain veut, comme toute science, la vérification, l'expérimentation. Ce qu'elle construit comme proposition du possible doit pouvoir être vérifié. Mais ici la vérification n'est pas en l'efficacité mais en la fécondité qui se donne à voir dans l'entre-nous des humains comme vivants revenus de la mort.
Mais, objectera-t-on, pourquoi ces longs circuits abstraits, alors que tout a déjà été dit? N'avons-nous pas le Christ? N'avons-nous pas la parole lumineuse du Christ? N'avons-nous pas une anthropologie chrétienne? Oui sans doute mais le risque est que tout ce langage chrétien enfermé dans «les choses de la religion» méconnaisse et cache à son insu l'enjeu même né de la situation où nous sommes présentement. L'usure des choses répétées, la méconnaissance de la déflagration de notre monde, la volonté de sauvegarder coûte que coûte peuvent se conjuguer pour empêcher ce qui est à voir et à faire. Sans parler de la corruption qui peut entrer au coeur même du meilleur («le Dieu pervers»).
M.B. esquisse ici un chemin, il construit un langage hors de la prétention à dire tout de cette science de l'humain (c'est «l'immense»!). Sans doute jugera-t-on qu'il faudrait en dire davantage sur l'inaugural. Quel est son contenu? Son statut? Quel est son rapport avec l'Être de la métaphysique? Comment relier ce qui est ici indiqué avec l'oubli de l'Être où Heidegger voit la dérive de la philosophie occidentale? Enfin quel rapport cette science de l'humain entretient-elle avec la question de Dieu?
Mais peut-être tout cela est-il encore vouloir remettre le vin nouveau dans de vieilles outres? - H. Thomas, O.S.B.

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