Le Reconnaissance du Soi selon Abhinavagupta (xe-xie siècles). Présentation et traduction annotée de l’Îśvara-pratyabhijñâ-vimarśinî, Commentaire sur la Reconnaissance du Seigneur

Colette Poggi
Religions - Recenseur : Jacques Scheuer s.j.

La tradition hindoue connue sous le nom de « Śivaïsme (non-dualiste) du Cachemire », dont l’apogée se situe approximativement du ixe au xie siècle, n’est plus guère vivante dans sa patrie d’origine et demeura longtemps méconnue en Occident. Elle représente cependant un des sommets de la spiritualité et de la pensée philosophique de l’Inde. Depuis quelques décennies, la vigueur et l’originalité de ce patrimoine se sont imposées à l’attention de quelques chercheurs et il faut se réjouir de voir se développer aujourd’hui les travaux et les publications. Il s’agit à vrai dire d’une constellation de courants et d’écoles qui, se fondant sur la volumineuse littérature des Tantra, couvrent de vastes domaines : théologie, exercices spirituels, rituels, esthétique, controverses philosophiques…

Au sein de cet ensemble, le courant de la « Reconnaissance » propose une voie spirituelle sobre et exigeante : délaissant ou corrigeant notre compréhension superficielle de la réalité, elle invite à reconnaître, en nous et en toute chose, la présence lumineuse et dynamique de la Conscience divine, du Seigneur Śiva, présence qui constitue notre « Soi », notre réalité intime et essentielle, ce qu’il y a tout à la fois de plus originel et de plus universel. Nos facultés de connaissance et d’action, toutes les opérations de notre esprit (langage, émotion esthétique, mémoire, intelligence, désir profond…), de même que le déploiement de la création entière, sont le jeu par lequel, dans sa souveraine liberté et immense générosité, le Seigneur projette et reprend en lui les produits de son inépuisable énergie.

Exégète, philosophe, théoricien de l’esthétique mais aussi méditant et yogi, Abhinavagupta est, autour de l’an mil, le penseur majeur de cette école. Sous la forme d’un commentaire sur les versets d’Utpaladeva, un de ses prédécesseurs, il déploie la portée spirituelle de cette Reconnaissance. Bien qu’aucune démarche purement intellectuelle ne puisse y donner accès, la réflexion philosophique permet à la fois de déblayer le terrain, de rectifier nos perceptions gauchies du monde et de nous-mêmes, enfin de dénoncer les erreurs ou faiblesses d’autres écoles, tant hindoues que bouddhistes. Cette ascèse dispose à une découverte émerveillée, à une prise de conscience intuitive de cette Conscience divine qui se reflète en nous. À la fois complexe, subtil et brillant, le parcours est exigeant. Il nous est cependant rendu abordable par une traduction fluide (131-527) et, en « prologue », par une étude substantielle et précise qui met en place les repères indispensables à une lecture fructueuse (21-130).

Partant de sa dissertation doctorale, Colette Poggi a mûri ce travail durant de longues années. Pour nous faire prendre patience, elle proposa naguère la traduction et le commentaire des quinze versets d’invocation à Śiva par lesquels Abhinavagupta ouvre les chapitres de son Commentaire (Le Miroir de la Conscience : Du reflet à la lumière, chemin de dévoilement selon Abhinavagupta, Les Deux Océans, 2016). Sa persévérance nous offre aujourd’hui l’accès à une œuvre intellectuelle et spirituelle majeure. — J. Scheuer s.j.

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