Les moissonneurs. Au cœur de la théologie de la libération

Timothée de Rauglaudre
Théologie - Recenseur : Moïsa Leleu f.m.j.

Voici un livre qui, bien qu’il ne soit pas écrit par un théologien, mais par un journaliste, s’attaque à un gros dossier théologique du xxe siècle : la « théologie de la libération ». C’est par le biais de rencontres ou de témoignages que la question est abordée. On entend ainsi, au fil des 9 chapitres de l’ouvrage, l’écho de voix diverses : de Frei Betto à Gustavo Guttiérez et Leonardo Boff, en passant par Dom Hélder Câmara, Oscar Romero, « J’tatik Samuel », Ernesto Cardenal, Ivan Illich, Enrique Dussel, ou encore, en France, Jacques Gaillot, Pierre Castaner et, à travers lui, Jean Cardonnel, connu comme le « dominicain rouge », principal visage français de cette pensée. Autant de rencontres qui sont l’occasion de découvrir une théologie de terrain, non pas née « dans l’esprit brillant et tourmenté de quelques théologiens, enfermés entre les murs de leur université, mais plutôt comme une résistance spirituelle à la pauvreté, vécue comme une injustice en tant que chrétiens, et aux dictatures » (p. 58).

Journaliste de son état, Timothée de Rauglaudre fait donc des rencontres et des enquêtes menées sur le terrain le matériau de son analyse. Une bibliographie dispensée au fil de l’ouvrage, en notes de bas de pages, atteste du sérieux et de la consistance de ses sources. Pourtant, malgré un sous-titre prometteur – « Au cœur de la théologie de la libération » –, les apports proprement théologiques restent un peu difficiles à cerner, peut-être parce qu’ils ne sont pas traités pour eux-mêmes mais plutôt « en fonction de » telle rencontre ou tel épisode… Le lecteur théologien devra donc faire l’effort, par lui-même, de rassembler et de connecter entre eux des contenus quelque peu dispersés au fil de l’ouvrage.

On le sait, la théologie de la libération a suscité nombre de débats. Cependant, l’un des intérêts de l’ouvrage est de donner à percevoir la cohérence et la continuité d’une pensée qui, si elle a pu, et parfois durement, susciter la méfiance des autorités romaines, n’en a pas moins tracé le sillon de ce qui constitue aujourd’hui un bien commun de la doctrine sociale de l’Église : l’« option préférentielle pour les pauvres ». C’est bien là qu’aboutit la longue enquête de T. de Rauglaudre, quand, tout au bout de son livre, il revient sur une de ses intuitions de départ : la connivence de la pensée du pape François avec la théologie de la libération : « Quand le pape François parle de périphéries », explique le Général des Jésuites, Arturo Sosa, « il se réfère au message le plus fort de cette théologie, c’est-à-dire le lieu théologique depuis lequel il faut faire de la théologie : les pauvres » (p. 177). La pensée du préposé général reflète-t-elle exactement celle du pape ? Quoi qu’il en soit, l’emploi de l’expression « lieu théologique », à propos des pauvres, pourrait bien signaler un déplacement, voire une décrispation, vis-à-vis du geste central d’une théologie que, aujourd’hui, on ne pourrait plus qualifier sans reste d’interprétation marxiste de la foi. — M. Leleu f.m.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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