Littérature talmudique et débat secret avec le christianisme, postf. D. Jaffé

David Brezis
Religions - Recenseur : Didier Luciani

En francophonie, David Brezis est plutôt connu par ses travaux sur Kierkegaard et par sa lecture provocante de Levinas. Mais l’homme a eu plusieurs vies. Avant sa période philosophique, il s’est d’abord spécialisé en mathématiques. Ensuite, après plusieurs années consacrées au philosophe chrétien et au penseur juif, il s’est intéressé, dans une troisième phase, à la littérature rabbinique, publiant deux livres sur le sujet, tous deux rédigés en hébreu. Le livre recensé ici est la traduction, par l’A. lui-même, de son second ouvrage publié en 2018. Il vient ajouter une pièce originale au dossier controversé de l’histoire de la séparation entre judaïsme(s) et christianisme(s), le fameux « parting of the ways » déjà évoqué par A. Cohen en 1954, puis popularisé par des auteurs comme J. Dunn (1991) et contesté par d’autres comme A.Y. Reed. S’il est hors de question de résumer ici les sept chapitres de fines et souvent roboratives analyses de Brezis, il est au moins possible d’en rappeler brièvement les principales composantes. À partir du moment où, contrairement au paradigme ancien, on accepte l’idée que judaïsme et christianisme ne se sont pas construits de façon autonome l’un par rapport à l’autre, il reste à expliquer leur processus de formation et la nature de leurs relations : dialogue plus ou moins polémique, rapport de rivalité mimétique, appartenance à un même continuum, hybridation des identités respectives à l’intérieur d’un espace symbolique et conceptuel commun, cadre herméneutique et structures homologues, gémellité constitutive des deux croyances, etc. Les propos de l’A. s’inscrivent donc clairement dans la lignée de ceux d’I. Yuval et de D. Boyarin. Analysant, en partie, les mêmes traditions que Boyarin, Brezis s’en distingue toutefois sur deux aspects. Pour lui, contrairement aux partisans d’une approche déconstructrice « dure », le cas de l’hérétique R. Éliézer ben Hyrqanos (40-120) est un cas singulier et exceptionnel qu’il ne faut pas généraliser et qui ne doit pas conduire « à minorer, voire à ignorer les marqueurs identitaires des religions rivales » (p. 16). D’autre part, sur le plan méthodologique, Brezis ne s’en tient pas à une approche strictement historico-critique et philologique, mais en ratissant dans un corpus très large, il adopte plutôt une perspective holistique et intertextuelle qui, nonobstant le risque de surinterprétation, permet par association de mettre à jour l’« inconscient » du texte. Si, comme chez Boyarin, nul n’est obligé de souscrire sans discussion à toutes ses hypothèses, il n’en reste pas moins que l’ouvrage de Brézis nuance et complexifie encore un peu plus la représentation que l’on peut se faire d’une période charnière de l’histoire. — D.L.

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80