Un ouvrage, aujourd'hui réimprimé, qui date de 1969. À travers une
sélection d'extraits tirés de l'oeuvre d'Eckhart, qu'il traduit et
commente, l'A. entend démontrer l'harmonie entre les sermons
spirituels (allemands) du Lebemeister et l'enseignement scolastique
(latin) du Lesemeister: les premiers supposent le second à tout
moment. Capitale est ici la notion d'analogie entre l'être a se et
l'être ab alio: l'A. montre comment E. l'applique à l'âme humaine
et à la vie spirituelle. Il note que, sans nier l'analogie de
proportionnalité (l'étant a un être propre), le génie mystique d'E.
recourt surtout à l'analogie d'attribution (l'étant n'a pas d'être
par lui-même). L'être du créateur est présent dans la créature pour
la faire exister, mais il ne s'y enracine pas. Il y a quelque chose
(etwaz) dans l'âme qui est assez apparenté à Dieu pour être un avec
lui. Ce quelque chose d'un avec Dieu n'a rien de commun avec la
créature. Si l'homme tout entier était cela, il serait incréé…
L'unité avec Dieu est une promesse et un but pour l'homme. Quoique
effective de toute éternité en Dieu, cette unité de l'âme avec
Dieu, qui est finalement l'identité de Dieu avec lui-même, est en
l'homme l'oeuvre de la grâce et du détachement… Il n'y a pas de
distinction entre le Fils unique et l'âme: le Fils par lequel le
Christ est Fils de Dieu n'est pas autre que celui par lequel nous
sommes appelé fils de Dieu… L'âme ne possède le Fils que
lorsqu'elle est dépouillée d'elle-même et vit, non plus par
elle-même, mais par le Fils: le Fils demeure donc seul à posséder
sa propre perfection… Il y a un au-delà de l'analogie auquel
conduit l'analogie elle-même: au stade où, tout rapport de
dépendance et même de ressemblance étant aboli, il n'y a plus ni
créature ni Dieu, mais leur pure unité. À qui accuserait E. de
monisme (certaines de ses thèses ont été condamnées), l'A. répond:
ses voies d'approche demeurent chrétiennes, son Dieu est celui de
la grâce, sa mystique est trinitaire… À lire. - P. Detienne, S.J.