Manifesté dans la chair, proclamé en images. Fonder l’art dans le Christ avec Nicée II et Balthasar

Maxime Deubergue
Théologie - Recenseur : André Haquin

Fruit d’une thèse de théologie à l’Université grégorienne de Rome (2020), récompensée par le Prix Robert Bellarmin, le présent travail se propose de revisiter le statut théologique de l’icône, défini au concile de Nicée ii (787), au terme de la crise iconoclaste. L’étude a une portée œcuménique ; elle jette des ponts entre la tradition orientale qui accorde un statut « quasi sacramentel » à l’icône, objet de culte et la conception occidentale qui traditionnellement accorde aux images une valeur pédagogique (cf. Livres carolins), bien que nombre de textes officiels formulés au cours des siècles dépassent largement cette perspective. À partir des données de foi les plus essentielles, liées à l’histoire du salut, Maxime Deubergue rapproche les deux traditions qui peuvent être désormais considérées comme complémentaires. Indirectement, il invite les théologiens occidentaux à dépasser la considération principalement pédagogique, du moins pour les images inscrites dans le culte.

Le titre de l’ouvrage cite de préférence l’hymne christologique de 1 Tm 3,16 « Il est grand le mystère de la foi (…) manifesté dans la chair, justifié par l’Esprit, contemplé par les anges, proclamé chez les païens, cru dans le monde, exalté dans la gloire » alors que, souvent, à propos de l’icône, on se réfère à l’hymne christologique de Col 1,15 « Il est l’image (eikôn) du Dieu invisible, premier-né de toute créature… ». On peut comprendre la raison de ce choix, qui déploie le mystère du salut dans toutes ses dimensions et l’inscrit dans l’histoire humaine.

Au départ, l’A. revisite les textes de l’Horos (décret conciliaire) de Nicée ii, en s’appuyant plutôt sur Maxime le Confesseur que sur Jean Damascène. La légitimité des images y est présentée comme une sorte de « seconde voix » rendue à la Révélation. Le chap. ii fait appel à la théologie de Hans Urs von Balthasar, en particulier à son œuvre monumentale La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de la révélation (Paris, 4 vol., 1965-1981). M.D. se trouve conforté dans sa conviction que la théologie des images doit s’inscrire dans les saintes Écritures et la théologie du salut. Cette dimension historique découle de l’Incarnation, mais embrasse la totalité de l’œuvre salvifique, Ancien et Nouveau Testaments compris, en particulier le Mystère pascal du Christ mort et ressuscité. Du reste, l’icône de référence de l’ouvrage, celle du Christ Pantocrator (Sinaï, vie s.), c.-à-d. ressuscité ou en gloire, invite à élargir la compréhension de l’icône qui représente la réalité « portée » par l’image. Pour Balthasar, l’Évangile inscrit dans l’histoire est le prototype de l’image cultuelle. M.D. s’inspire également de la phénoménologie de Merleau-Ponty. Celui-ci a montré que l’image ne peut être séparée de la réalité qu’elle représente, en une sorte d’« ontologie indirecte ». Ou encore que l’image est comme la « projection de l’invisibilité divine dans la visibilité de l’histoire » (p. 444). L’exégèse de P. Beauchamp est également sollicitée à juste titre dans la théologie de l’icône, chevillée à l’Écriture sainte, elle-même inscrite dans la chair de l’histoire.

Les deux derniers chapitres « La chair des images » et « La ressemblance de l’hypostase » prolongent la réflexion en insistant sur la dimension charnelle des images, leur inscription dans la chair étant comme l’« interface » entre deux chairs, celle du Christ crucifié et ressuscité et la chair des Écritures et de l’histoire. En conclusion, on trouve cette affirmation éclairante concernant la chair : elle est la « nouvelle tente de la rencontre » où Dieu a habité en vue de sa communion avec tous les hommes et la croissance du Corps total du Christ (p. 442), ce qui consonne une fois de plus avec 1 Tm 3,16.

L’importante bibliographie (p. 453-483) ainsi que l’Index des auteurs (p. 499-506) témoignent du riche dialogue entretenu, non seulement avec les théologiens et les historiens, mais avec le monde de l’art, la philosophie, notamment la phénoménologie, et l’exégèse biblique. — A.H.

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