Mit-Mensch-Sein. Phänomenologie und Ontologie der Gabe bei Ferdinand Ulrich

St. Oster
Philosophie - Recenseur : Emmanuel Tourpe
Ils sont trois, auxquels l'Histoire a réservé le sort étrange d'une si haute supériorité de regard et de parole, que peu parmi leurs contemporains ont eu la force nécessaire pour confesser leur précellence. Qui, n'était Hans Urs von Balthasar, a reconnu ou sait encore l'extrême, l'excessive puissance visionnaire du «triumvirat de l'être» qui rassemble, à l'abouchement des pensées d'Heidegger et de saint Thomas, les noms de Gustav Siewerth, Hans André et Ferdinand Ulrich?
Bouleversant, avec une radicalité inouïe et dans une langue inédite, les codes métaphysiques en usage, ils furent au sens propre des «voyants», plus profondément pénétrants encore que le Poète rimbaldien. Capables - avec un respect meilleur de Dieu, de la raison et de l'étant, que n'en eut Heidegger - de pénétrer au plus profond du mystère «de gloire et de pauvreté» de l'être, médium de l'acte créateur divin, ils sont l'avenir et le destin de la pensée thomiste.
L'ouvrage, un peu volubile, mais sûr et enthousiaste, du P. Stefan Oster vient à son temps pour entrouvrir les portes de la reconnaissance scientifique à celui des trois qui était sans doute aussi le plus théologien. Ferdinand Ulrich, le très humble, et tout à fait fascinant auteur d'Homo Abyssus, reçoit dans ce livre volumineux l'un des premiers hommages de valeur - l'un des premiers, aussi, qui ait la portée d'un ouvrage d'initiation autant que de référence (il en existe un autre; cf. notre discussion critique: «La liberté comme don. À propos d'un ouvrage récent de M. Bieler», dans Laval philosophique et théologique 2 [1998] 411-422).
Si Siewerth, le plus spéculatif, était consacré à l'amplitude exemplaire et historiale de l'être, si André, en philosophe de la nature, fut pleinement habité par la manifestation biologique de l'être - Ulrich a, comme l'indique par son angle même le livre d'Oster, ce talent d'éclairer avec un éclat unique la détermination anthropologique de l'être. «Être homme avec» dit parfaitement, et de la manière la plus limpide, l'angle interpersonnel qui est celui de la métaphysique ulrichienne.
Le Père Oster (sdb) a choisi d'exposer ces proportions dialogiques dans le cadre d'un débat serré de la pensée d'Ulrich avec la déconstruction derridienne du «don». Un autre choix aurait pu être fait à partir de Bruaire ou de Marion, mais il n'est pas absurde d'engager Ulrich au contact du «don» que Derrida tente de révoquer à travers l'eau-forte de sa prose: c'est face à «l'impossibilité» du don alléguée par l'écrivain français (chap. III) que se montre au mieux la super-transcendantalité de la «bonté», comme «fin-sens de l'offrande de l'être» (p. 261) dans l'important chap. IV du livre de Oster. L'être «complet et simple, mais non subsistant» de s. Thomas, y est interprété à partir de sa désappropriation radicale, la donation de lui-même à l'autre que lui-même (cf. p. 247), c.-à-d. à la subsistance, et au plus haut point à l'homme qui reçoit en dotation le pouvoir propre d'être cause à son tour et de se désapproprirer lui-même. «Ulrich a une dimension en vue, qu'il appelle Bonität et qu'il comprend comme le milieu ou le coeur décisif et différenciant de tout ce qui est fini… La méditation approfondie de cette interprétation spéculative de l'être expliquera à quel point la personne humaine est la fin et la direction de toute offrande d'être - ou, mieux encore: à quel point l'homme accomplit à lui-même horizontalement la finalisation verticale de l'être» (p. 525). La co-appartenance de l'être et de l'homme dans l'amour mène Oster à développer les traits profusifs de l'ontologie dialogique (chap. V) qui court dans l'abondante bibliographie de Ulrich: les concepts traditionnels de relation et de substance sont transformés au creuset de l'être, désapproprié dans l'homme qui se donne. Une telle ontologie culmine dans une anthropologie métaphysique qui conçoit l'homme comme un «Je-Tu à soi-même» (p. 332), et dans une abyssale «ontologie du langage» (chap. VI): en tant que «physiognomie concrète de l'auto-accomplissement humain», la parole y transparaît comme expression majeure du don, consécration de l'intersubjectivité, forme manifeste de l'amour. En même temps, la fêlure de la parole humaine, le silence donc, crée l'espace nécessaire à l'apparition du toujours-plus-Éloquent - c'est en ce sens que «dans le sens silence le langage se fait action de l'être, la parole pur visage de 'l'être-là'» (p. 521).
L'enracinement de la parole humaine dans la donation de l'être explique en même temps que le langage ne puisse être «fixé» dans des formes pétrifiées, qu'il faille, au sein de la communication, préserver la liberté de l'être (p. 521). C'est pourquoi aussi l'écriture de Ulrich est elle-même «un chemin» sur le sens de ce qu'il exprime: lire Ulrich est toujours être mis en chemin vers le sens, à travers une langue rendue malléable, par ses formes renouvelées, à la profusion du don contemplé (chap. I): on ne peut se tenir «à l'extérieur» de cette pensée et adopter un point de vue unilatéralement critique et non-impliqué.
Cette métaphysique de Ulrich n'est donc pas dégagée d'une approche phénoménologique (chap. II): si vraiment, à embrayer sur la démarche du penseur allemand, l'on conçoit le don de l'être, la séparation du donateur et du don doit être expérimentée à ras le phénomène. Il ne s'agit pas de suivre une «doctrine» supplémentaire, un point de vue surnuméraire sur l'être, mais bien d'être invité au tact personnel de ce que la donation est.
Nul n'avait encore, au point du P. Oster, eu la talent nécessaire et la force du coeur pour éclairer la pensée difficile de Ferdinand Ulrich, sans en même temps la réduire à un «companion» oxonien plat et scolaire. Bravo, bravo encore et merci à l'A. pour cette oeuvre de sympathie et d'intelligence qui arrache, au bruit des modes, la voix pérenne de l'être «riche par sa pauvreté» dont Ulrich s'est fait le porteur.
Il ne manque peut-être à cet ouvrage qu'un débat plus longanime avec des pensées, peut-être moins profondément théologiques, peut-être plus spéculatives, telle celle de Siewerth: la «dialectique de gloire et de pauvreté» de l'être doit-elle en effet être considérée dans son oscillation, son balancement que tranche la parole humaine en dialogue - ou bien a-t-elle un caractère d'identité «toujours plus grande» dans, et par-delà, le paradoxe de la simplicité et de la complétude de l'être? Mais c'est là moins qu'un tourment, tout juste une invitation à ouvrir ce livre inéluctable sans plus jamais le refermer. - Emm. Tourpe.

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