Pedro Arrupe. Un réformateur dans la tourmente

Pierre Emonet
Histoire - Recenseur : Bernard Joassart s.j.

Aborder la vie d’une personnalité aussi complexe que celle du P. Arrupe n’était pas chose simple. Pierre Emonet a relevé le défi et je pense que l’on peut dire que le lecteur découvrira un portrait qui n’est pas qu’une « légende hagiographique ».

Que relever dans cet ouvrage ? Tout d’abord, il est manifeste que l’A. éprouve une vive sympathie à l’égard de son héros. On peut la résumer par le sous-titre de l’ouvrage, ou encore par l’insistance qu’il met à rappeler l’appréciation que le P. Kolvenbach, successeur du P. Arrupe, en donna, laquelle est mise en exergue du livre : « Comme témoin prophétique, le P. Arrupe a été un signe de contradiction, incompris ou mal compris dans la Compagnie et en dehors d’elle. »

La facture de l’ouvrage mérite également d’être soulignée : dans un livre de dimensions relativement restreintes, l’A. a eu l’excellente idée de citer souvent et assez longuement des textes du P. Arrupe, particulièrement bien choisis. Voilà qui permet de mieux comprendre sa pensée profonde. Homme d’une foi solide, profondément imprégnée de la spiritualité ignatienne, il résonna vivement à son époque et à tous les changements qu’elle connut durant le xxe siècle. On pourrait sans hésitation lui appliquer l’adage : rien de ce qui est humain ne lui fut étranger, ce qui en fit une figure de premier plan du catholicisme de son temps.

P.A. est principalement connu pour les années durant lesquelles il fut à la tête de la Compagnie, à partir de 1965. Ce fut certes la période la plus importante de son existence, mais le temps de sa formation et les années où il vécut au Japon ne doivent pas être négligées pour la connaissance de sa personnalité, notamment les dix années où il fut à la tête de la province nippone.

Généralement, on retient de l’histoire récente de la Compagnie, l’événement de la 32e Congrégation Générale (1974), avec son décret 4, concernant la « promotion de la foi et de la justice », avec tous les embarras que cela causa, que ce soit entre le Saint-Siège et la Compagnie ou à l’intérieur même de celle-ci. Et dès lors, vient tout naturellement la question de la manière dont il gouverna son Ordre. Là où P.E. se montre sagace, c’est qu’il s’étend longuement sur la 31e Congrégation Générale (2 sessions en 1965 et 1966) durant laquelle P.A. fut élu Préposé général. Réunie dans la foulée de Vatican ii, elle fut sans doute – certainement – le point de départ de ce qui allait suivre. Inutile de s’étendre longuement sur le contexte de cette époque : tout un chacun sait que l’Église, en dépit de la volonté d’« aggiornamento » voulue par Jean xxiii, fut alors fortement ébranlée ; la Compagnie ne le fut pas moins, tout comme d’ailleurs tous les autres ordres religieux, qui virent la remise en question aussi bien de valeurs fondamentales de la vie religieuse (et dans la Compagnie son caractère sacerdotal et le vœu spécial d’obéissance au pape furent fortement débattus) que d’habitudes et de traditions, pas nécessairement mauvaises en soi, mais qui, à tort ou à raison, ne paraissaient plus correspondre à l’esprit du temps. D’aucuns ont considéré P.A. comme un « second fondateur » de la Compagnie, d’autres comme son destructeur. Si la première appréciation comporte sans doute une part d’exagération – et on pourrait difficilement affirmer que P.A. se voulait tel –, la seconde est plutôt frappée au coin de l’ineptie. Ce qu’il me semble ressortir le plus évidemment du portrait que nous donne P.E. est que, comme on l’a dit plus haut, P.A. était un observateur très fin de son temps et des défis de celui-ci. Très intuitif, il ne manqua pas d’initiatives qui n’entraient pas toujours dans les apostolats plus traditionnels de la Compagnie, et il mit toute son énergie à stimuler ses confrères pour les mettre en œuvre. Il ne fait aucun doute que spontanément il était porté, non seulement à écouter ses confrères, mais surtout à leur faire confiance, même si parfois cela aboutit à des échecs. Faut-il y voir la marque de son optimisme foncier, voire d’une certaine naïveté ? Sans doute faudra-t-il encore du temps pour avoir la réponse à la question de savoir comment les difficultés entre le Saint-Siège et la Compagnie ont persisté tant sous Paul vi – pourtant fort sympathique à la Compagnie – et se sont même amplifiées sous Jean-Paul ii au point qu’il faut bien reconnaître que celui-ci ne le ménagea guère (encore ne faut-il point oublier que Jean-Paul ier, au règne très court, avait largement préparé le terrain à son successeur) ? À lire P.E., on éprouve le sentiment que P.A. ne fut pas assez « romain ». D’autre part, et c’est là sans doute la question qui serait la plus intéressante à creuser (mais est-ce possible à l’heure actuelle ?) : quel était l’entourage immédiat de P.A. et quelle fut l’influence de cet entourage ? P. A. ne fut-il pas en quelque sorte « submergé » par ceux qui le « conseillaient » ?

Quoi qu’il en soit, il est incontestable que P.A. fut une figure de premier plan de son temps, plus que bien d’autres généraux de la Compagnie à d’autres époques. Et qu’on permette à l’auteur de ces lignes d’apporter son propre témoignage : je n’ai rencontré P.A. que deux fois dans ma vie, et lors de grands rassemblements : que l’on fut ou non en parfait accord avec ses propos, à son contact, on était en définitive heureux d’être dans la Compagnie et de marcher sous sa conduite. — B. Joassart s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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