Pentecôte et parousie. Ac 1,6 - 3,26. L'Église et le Mystère d'Israël entre les textes alexandrin et occidental des Actes des Apôtres
Patrick FaureÉcriture Sainte - Recenseur : Jean Radermakers s.j.
Son point de départ est théologique, tout comme sa conclusion, qui met en relief les deux lectures possibles de l'oeuvre lucanienne, selon la recension «occidentale» (TO) ou la recension «alexandrine» (TA). Il envisage en particulier les rapports entre Israël et l'Église d'une part, et entre Pentecôte et Parousie d'autre part. L'A. s'adosse aux hypothèses de ses devanciers concernant la genèse de Luc-Actes à partir d'un Proto-Luc et de trois couches rédactionnelles successives du livre des Actes.
En dialogue avec une vingtaine de spécialistes lucaniens à propos de la signification d'Israël, puis de l'ecclésiologie et de l'eschatologie, une première partie discute les positions en présence. Plutôt que de clore le débat sur l'intention des rédacteurs, pareille étude contribuera sans doute à ranimer la polémique à propos du but de la composition de Luc-Actes, grâce surtout à l'apport nouveau que représente la comparaison précise des deux versions du texte lucanien préservées par la tradition. La deuxième partie du livre analyse l'unité littéraire d'Ac 1,6 - 3,26, avec les expressions typiques de «rétablissement de tout» et de «temps de rafraîchissement», puis les séquences sur l'Ascension et la Pentecôte, et la guérison de l'infirme de la Belle Porte. Une troisième partie est consacrée à la révision du texte des Actes, avec l'évolution du TO vers le TA, sur base d'un examen rédactionnel détaillé des deux recensions pour en discerner les attributions. Enfin la quatrième partie s'efforce de présenter les «prolongements et synthèses» de l'étude comparative des deux documents en dégageant les caractéristiques thématiques de chacun d'eux; l'analyse s'étend alors au récit de l'assemblée de Jérusalem (Ac 15,1-34), puis à celui de mort d'Étienne (Ac 6,8 - 7,60), avant de conclure sur le propos de Luc-Actes à partir des éditions successives du texte (Proto-Luc, TO, TA). Une conclusion finale reprend les acquis de la thèse concernant les trois points posés au départ: ecclésiologie, eschatologie et rapport entre Église et Israël.
La démonstration au cours des analyses, souvent fastidieuse en cours de route, apparaît alors fort astucieuse et prête à susciter l'assentiment du lecteur. Devant cette (re)construction magistrale, on ne peut cependant réprimer un certain scepticisme, tant la base de l'argumentation paraît parfois ténue, et la systématisation un peu rapide, car elle s'appuie sur une lecture partielle du texte. De plus, les présupposés rédactionnels semblent bien contestables. En fait, les deux versions des Actes sont-elles finalement aussi divergentes que le laisse percevoir l'A. de la thèse? Ou bien doit-on attribuer leur «hésitation» à une volonté des ultimes rédacteurs à interpeller le lecteur, juif ou non juif? Il faut en effet permettre à celui-ci de se situer en liberté devant l'évolution des mentalités en cours, à la fin du Ier siècle de notre ère, concernant les rapports entre christianisme et judaïsme, la théologie ecclésiale et l'établissement du Royaume de Dieu: on connaît la tendance de Luc à «historiciser» l'eschatologie. C'est sans doute le mérite de la thèse d'éclairer les hésitations contemporaines à partir de celles qui existaient dès le départ. Entre autres points controversés, peut-être pourrait-on mieux utiliser le dédoublement significatif que fait Luc, à propos du discours apocalyptique des synoptiques (Mc 13 et Mt 24-25), en «venue du Fils de l'homme» pour les personnes (Lc 17) et pour les collectivités - dont le type est Jérusalem - (Lc 21)? Quelle est la position de Luc par rapport à la conversion éventuelle d'Israël dans le temps de l'histoire? Ne faudrait-il pas revoir le rôle et la fonction «missionnaire» que le rédacteur lucanien attribue à Paul comme représentant du peuple juif, accomplissant la vocation universelle dont celui-ci est porteur dès le Sinaï, comme l'évoque le récit de Pentecôte?Une qualité incontestable de cette thèse réside dans la pertinence et l'acribie des analyses de détails, mais le matériau traité est si dense et si touffu qu'il est bien difficile d'en tirer des conclusions aussi nettes que celles qu'affirme l'A. Aux spécialistes de juger! De toute manière, le lecteur aura intérêt à se reporter à la présentation que l'A. fait lui-même de sa thèse dans l'article qu'il lui consacre dans cette livraison de la revue (cf. supra, p. XXX). - J. Radermakers, S.J.