Pluralité et ambiguïté. Herméneutique, religion, espérance
David TracyThéologie - Recenseur : Paul Lebeau s.j.
Cet essai est le premier ouvrage de Tracy qui ait été traduit en français, après avoir été publié à San Francisco en 1987. Jusqu'ici, l'auteur était surtout connu à l'étranger par ses nombreux articles parus dans la revue Concilium, en particulier ceux qu'il a consacrés à étudier les conditions d'un discours sur Dieu dans la conjoncture culturelle de la seconde moitié du XXe siècle. Ce livre recueille en quelque sorte les fruits de ces longues années de recherches et de dialogues avec les textes, les penseurs et les créateurs les plus représentatifs de cette démarche herméneutique qui caractérise ce qu'on appelle aujourd'hui la «postmodernité».
L'option herméneutique de l'auteur, qui s'en explique dans le premier chapitre, consiste à considérer la lecture des textes et des événements comme une conversation». Il se reconnaît en cela redevable à l'herméneutique de Hans Georg Gadamer, tout en signalant sa dette à l'égard de Paul Ricoeur dans la mesure où il ne dissocie jamais le travail de l'interprétation de la nécessaire «argumentation» qui fait appel aux ressources des nouvelles sciences du langage, en particulier la critique littéraire et la critique historique. Il accorde d'autre part la primauté à la vérité comprise comme manifestation, ce qui le rapproche de Heidegger, et, ajouterons-nous, ce qui n'est pas sans pertinence exégétique et théologique.
Dans ce plaidoyer pour l'herméneutique comme quête permanente de la vérité, l'A. affirme la nécessité de prendre en compte les ruptures de sens qui affectent l'histoire humaine, en recourant à la notion d'«ambiguïté». C'est ce qu'il développe dans son chapitre IV «Ambiguïté radicale: la question de l'histoire». Ainsi, «si nous continuons à parler de notre histoire comme si l'Holocauste ne s'était pas produit, nous ne donnons pas un récit fidèle de notre histoire». En d'autres termes, une herméneutique soucieuse de «manifester» le sens d'un texte ou d'un événement ne saurait faire abstraction de la mémoire.
En conclusion, l'A. confesse que dans cette crise générale et cette paralysie de l'action sensée qui caractérisent la fin du second millénaire, c'est la foi au Dieu de la tradition chrétienne qui est la source de son espérance. Mais il ajoute: «Je ne crois pas qu'on puisse limiter l'interprétation des classiques religieux aux seuls croyants.» Ce dont nous ne pouvons rendre compte ici, dans les limites qui nous sont imposées, et ce qui ne manquera pas d'impressionner le lecteur, c'est l'immense culture littéraire, historique et esthétique qui sous-tend et illustre les pénétrantes analyses de l'A. Cela non plus n'est pas dépourvu de signification théologique. - P. Lebeau, S. J.