Lors de ses études d’arabe en Syrie, Patrice Jullien de Pommerol eut l’occasion de montrer à un ami soufi ce poème de Thérèse d’Avila : « Que rien ne te trouble, Que rien ne t’effraie / Tout passe, Dieu ne change pas / La patience obtient tout / Qui a Dieu ne manque de rien, Dieu seul suffit ». Cet ami fit bon accueil au poème et déclara s’y retrouver volontiers. Les deux hommes en faisaient-ils pour autant la même lecture ? Chaque mot, chaque thème du poème est ici rapproché de termes et de thèmes du Coran, ensuite de termes et de thèmes dans les écrits de Thérèse, en particulier la Vie écrite par elle-même ou Livre des miséricordes de Dieu. Dans ce double travail de mise en résonance, l’abondance des citations et références est une marque de respect ; elle exprime le souci de faire apparaître la cohérence de chaque source et de réduire la subjectivité du lecteur. Ces deux parcours aboutissent à dégager « deux structures de l’altérité », deux conceptions tantôt dissonantes tantôt complémentaires du rapport à Dieu, au monde et au prochain, à la communauté croyante.

L’exercice est éclairant. On pourra certes se demander si le contraste dégagé ne relève pas, pour une part, du choix (sur lequel l’A. s’explique clairement) de lire le poème « dans le miroir » du Coran et de la Vie plutôt qu’à la lumière du Coran et de la Bible ou encore au miroir des écrits thérésiens et de l’œuvre d’un spirituel musulman. Quoi qu’il en soit, le lecteur est ici convié à une belle (re)découverte : chaque panneau du diptyque aide à mettre l’autre en relief. — J.S.