Soldiers of Christ in a Secular world. Catholic Theology and Twentieth-Century French Politics

Sarah Shortall
Théologie - Recenseur : Alban Massie s.j.

En se concentrant sur le rapport qu’ont entretenu les acteurs français de la théologie catholique avec leur société au xxe siècle, Sarah Shortall, professeur à l’Université Notre-Dame (USA), offre un livre inédit sur l’histoire de l’Église en France mais aussi une véritable thèse de théologie. Elle montre comment l’influence persistante de la recherche théologique dans la sphère publique ouvertement laïque a bousculé les idées dominantes sur la nature et le sens de la politique dans le monde moderne et que les débats théologiques sur le rapport entre nature et surnaturel ont eu pour conséquence une modification des relations entre Église et politique.

Les « soldats de Dieu dans le monde sécularisé » sont notamment ceux que réunit une photo de 1927 montrée sur la couverture : les deux pères et amis, anciens des tranchées de 14-18, Henri de Lubac et Gaston Fessard, mais aussi Chenu, Maritain, Metz, Congar, Rahner, Schillebeeckx, Küng, Balthasar, Mounier, Lebret, Teilhard de Chardin, etc. L’A. est en effet allée puiser aux archives françaises de la Compagnie de Jésus de nombreux inédits qui appuient sa thèse déclinée en trois périodes.

La première est celle de la « Séparation (1888-1939) » qui pousse les jeunes théologiens en exil (les lieux de formation religieux étant interdits en France jusqu’après la Première Guerre mondiale) à découvrir une société française qui n’associe plus le catholicisme au royalisme et à façonner la notion d’une Église qui se découvre à nouveaux frais « corps mystique du Christ ».

La seconde période est celle de la « Résistance (1940-1944) » où est souligné le rôle de ces religieux dans le combat contre le nazisme avec « les armes de l’Esprit ».

La troisième période, de 1945 à 1965 est intitulée « Renouveau ». On y trouve pêle-mêle l’engagement des théologiens catholiques avec la gauche française, la théologie fondamentale devant le « drame de l’humanisme athée et les politiques de l’histoire », ainsi qu’une étude historique sur « la mort et la résurrection de la nouvelle théologie ». Shortall discerne une tendance de Fessard et Lubac à « confondre le corps mystique du Christ avec le genre humain » (p. 257). L’ouvrage se termine par un examen de l’apport de la théologie française à la théologie de la libération, spécialement celle de Gustavo Guttierez, à l’épistémologie théologique de Charles Taylor et à la « radical orthodoxy » de William Cavanaugh.

Cette thèse impressionnante, qui mériterait une traduction en français, démontre que l’abandon de l’idée de « chrétienté » a permis une libération de la théologie des réalités terrestres mais aussi qu’il faut aujourd’hui réarticuler le rapport entre nature et surnaturel. La conclusion, si inspirante, mérite ainsi d’être citée en son entier : « Comment l’Église peut-elle être dans le monde et contribuer à la construction d’une société plus juste sans être réduite au rang des puissances de ce monde ? Quand le devoir paulinien d’obéir à l’autorité temporelle établie cède-t-il la place au devoir spirituel de résister à un régime injuste ? Ces questions étaient loin d’être abstraites pour ces prêtres. Leurs réponses ont été forgées dans le creuset de la guerre, de l’exil et de la condamnation, et dans le cas d’Yves de Montcheuil, elles lui ont finalement coûté la vie. Ces questions restent tout aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient dans les années 1940. À tout le moins, l’histoire des théologiens catholiques qui s’y sont attaqués peut nous aider à comprendre comment et pourquoi la religion continue à jouer un rôle aussi puissant dans la vie publique. Au mieux, elle peut nous orienter vers une forme de laïcité plus réflexive et plus inclusive, qui s’ouvre à l’auto-questionnement plutôt que de s’ériger en religion de remplacement.

Quelle que soit la position de chacun sur la laïcité et le rôle public de la religion, il est clair qu’il y a eu, et qu’il continue d’y avoir, beaucoup plus d’échanges entre la théologie et les disciplines séculières que ne le suggère l’historiographie de la pensée européenne. Il n’est pas non plus nécessaire, comme le pensait Carl Schmitt, de remonter au début de l’époque moderne pour comprendre les effets politiques et intellectuels continus de la théologie. Il existe des antécédents beaucoup plus récents au tournant théologique actuel parmi les chercheurs européens et nord-américains. Comme l’a montré l’histoire relatée dans ce livre, la théologie et la pensée séculière ont interagi et se sont engagées l’une envers l’autre pendant une grande partie du vingtième siècle, et nous ne devrions pas être surpris qu’elles continuent à le faire aujourd’hui. Si les philosophes, les historiens et les chercheurs en sciences sociales contemporains se sont tournés vers la théologie pour y puiser des idées, c’est peut-être parce que la pensée séculière et la pensée religieuse n’ont jamais été aussi distinctes qu’on pourrait le croire. Ce que la notion de “tournant” vers la théologie occulte, en d’autres termes, c’est la mesure dans laquelle elle a toujours fait partie de l’histoire de la pensée européenne » (p. 258). — A.Ms.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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