Au décès d'H.-I. Marrou, ses héritiers retrouvèrent cinq carnets,
numérotés de 8 à 12, qui couvrent les années 1922 à 1977. Après
mûre réflexion, il fut décidé de les publier, malgré un obstacle en
apparence insurmontable. Car à y regarder de près, on se demande de
quel genre littéraire ils relèvent: il y a «de tout» et la
«rédaction» n'est pas l'art premier qu'on y découvre; l'aphorisme
personnel voisine avec celui de tel ou tel personnage ancien ou
contemporain du célèbre historien, tout comme des notes non
rédigées - et parfois fort énigmatiques - avec de brèves
«dissertations» ou encore le plan plus ou moins détaillé d'une
future recherche. Voilà qui contraste avec l'ouvrage si
admirablement construit qu'est la Théologie de l'histoire, paru en
1968 et que les Éditions du Cerf ont reproduit à l'identique, comme
d'ailleurs avec tous les autres travaux de M. Mais si l'on va
encore plus avant dans la lecture, on reconnaît assez vite l'esprit
merveilleux que fut celui de cet authentique sage. J. Prévotat me
pardonnera certainement d'emprunter le dernier paragraphe de sa
présentation pour introduire le lecteur à ces carnets:
«Ami lecteur (pour reprendre une formule chère à Marrou), ne te
laisse pas déconcerter. Ce livre n'est pas facile: il n'est pas
fait pour être lu d'une traite, mais pour être médité, repris et
abandonné. C'est celui d'un maître de vie, affamé de Lumière, à la
fois proche et lointain, qui peut te parler et t'instruire. Des
rives magnifiques de la baie de Naples aux montagnes d'Allevard,
des cimes de Barèges au plateau de Merdaret, et dans tous ces lieux
où ce voyageur nous fait vivre, laisse-toi aller à la
contemplation: tu y chemineras aux côtés du professeur, du poète,
du croyant, d'un homme qui accepte sa condition de fils de Dieu. Ne
t'obstine pas à vouloir tout comprendre, laisse-toi saisir et
déposséder, accepte le dépaysement. N'oppose pas d'obstacle: laisse
résonner en toi l'écho de cette voix, laisse-la y trouver son
chemin. Alors le temps sera venu de confronter les expériences et
de réunir le colloque qui nous expliquera l'actualité et la
pertinence de cette pensée et nous dira pourquoi elle est encore la
nôtre» (p. XXXV).
Voilà qui ne pouvait pas mieux être dit. - B. Joassart sj