L'auteur, professeur de religion politique et éthique à
l'université de Nottingham, publie Theology and Social Theory en
1990. Le livre eut un immense retentissement dans le monde
anglo-saxon à tel point qu'on peut affirmer qu'il constitue la
première pierre du mouvement Radical Orthodoxy. Milbank expose ce
qui constitue la conviction de base de ce mouvement théologique: la
sécularisation est non pas l'enfant légitime du christianisme, mais
une «hérésie» qui a réussi à enfermer la théologie dans la pensée
séculière. L'A. choisit d'étudier le champ de la «théorie sociale»
où se révèle un double mouvement. Au moment où la théologie
politique moderne a accepté la sécularisation et les postulats de
la raison séculière, la théorie sociale réintroduit la dimension
religieuse dans l'explication de la sécularisation. Pour permettre
à la théologie de se libérer de la tutelle de la raison séculière,
l'A. analyse différentes approches de la sécularisation
(libéralisme, positivisme/sociologie, tradition hégéliano-marxiste)
pour prouver que ces approches sont fondées sur des postulats
discutables et qu'elles sont en fait des théologies ou des
anti-théologies qui s'ignorent. Pour l'A., celles-ci sont des
réponses à une hypothèse de base: l'existence de la «violence
originaire» qu'il faudrait maîtriser de manière immanente en
nivelant les différences. Le problème est que la raison moderne
séculière (et son nihilisme) a déconstruit toutes les tentatives de
faire disparaître cette violence. Débarrassée de ses oripeaux
séculiers, la théologie s'avère la seule réponse à une pensée
nihiliste. En effet, face à l'hypothèse de la violence originelle,
le christianisme oppose une paix qui se situe au-delà de la raison
et qui n'est pas mise en danger par la différence. La théologie
peut donc donner aux chrétiens les moyens de développer une
«contre-éthique», une «contre-ontologie» et un «contre-royaume» qui
mettent en oeuvre des pratiques narratives, rituelles et sociales
propres, orientées vers le Royaume de Paix. L'Église est le lieu
privilégié de cette mise en oeuvre car elle est fondamentalement
constituée par une pratique sociale de l'agapè. Certains lecteurs
pourront être gênés par la manière très anglo-saxonne de l'A. de
faire feu de tout bois et de récupérer pour sa cause des
théologiens (tel H. de Lubac ou M. Blondel) en poursuivant de façon
très personnelle leurs analyses. Si la lecture du livre est
éprouvante par sa longueur, la complexité de sa langue et la
multiplicité des auteurs analysés, l'enjeu en vaut la peine car il
donne un nouveau souffle à la théologie et ouvre des perspectives
inédites. - B. Catala