Travail et créativité. Des temps bibliques au temps présent, trad. J.-M. Degrève

André Lacocque
Écriture Sainte - Recenseur : Norbert Jorion o.praem.

Il faut savoir gré aux éditions du Cerf de traduire le livre publié aux États-Unis par André Lacocque peu avant sa mort, survenue en 2022. C’est donc une œuvre de maturité de l’éminent professeur, qui compile ici une longue réflexion et de nombreuses références bibliographiques, dont la malheureuse contrepartie est de rendre difficile la lecture. L’ouvrage est mû par une idée centrale : avant d’être un châtiment auquel l’humain serait condamné après la chute, le travail appartiendrait au propre de la condition humaine, et permettrait d’équiparer l’homme et Dieu. En témoigne la lecture de Gn 2,15 proposée par l’A., où Dieu invite Adam à « cultiver et garder » la terre. Dès lors, « le travail (…) est créatif, il est co-création avec le Créateur (…) » (p.155). Cette thèse axiale est doublée d’un exposé sur la « méthode dialectique d’interprétation », pour laquelle l’A. prend parti. Ce choix permet de faire dialoguer le discours biblique sur le travail et l’abondante production philosophique contemporaine sur la question, de laquelle l’A. a une connaissance encyclopédique. Le résultat est surprenant : « Je soutiens que l’analyse dialectique hégéliano-marxiste peut s’appliquer de manière fondée à la conception biblique (…) du travail (…) » (p. 99-100). Par ailleurs, l’A. discute de manière très serrée les thèses de Freud, et conteste la réduction au tout libidinal : puisque l’imago Dei de l’homme résiderait selon Gn 2–3 dans son activité de travailleur, « le fait d’être faber, c’est-à-dire la créativité, est ce qui pousse tant Dieu que l’humanité à entrer en communion l’un avec l’autre » (p. 149).

La lecture pose au moins quatre questions.

1) La décision de s’appuyer sur le document J fait subodorer un relent d’hypothèse documentaire, laquelle est depuis longtemps largement contestée. L’A. prétend arriver à un « compromis » (p. 18), mais peut-on vraiment affirmer que le supposé document J tient effectivement Adam pour un roi implicite et conçoit le jardin d’Éden comme un discret reflet de Jérusalem ?

2) Gn 2,15 peut-il légitimer le prétendu parallèle entre le Deus faber et l’homo faber, dans la mesure où les verbes « cultiver » et « garder », sur lesquels l’argumentation repose, ne sont pas utilisés pour désigner l’action divine en Gn 2–3 ?

3) Peut-on vraiment postuler que « le labeur du travailleur du xxie siècle est de même nature que celui d’un travailleur du Proche-Orient ancien » (p. 14) ?

4) Le chapitre 3, de facture méthodologique, veut montrer que la méthode dialectique est applicable à la Bible : elle aide à penser paradoxes et contradictions. Aucune référence n’est toutefois faite aux promoteurs de la lecture canonique de l’Écriture, dont les États-Unis constituent le berceau bien connu de l’A. La lecture canonique est probablement mieux armée que la dialectique critique, car dans cette dernière, la thèse et l’antithèse courent le risque d’une dissolution dans la synthèse.

Le sous-titre de l’œuvre originale (A Philosophical Study), hélas non repris dans la traduction, révèle finalement que l’ouvrage s’inscrit plus en philosophie qu’en exégèse. C’est pourtant dans une collection biblique que l’éditeur l’a publié, laissant passer d’innombrables coquilles et erreurs typographiques, qui gênent beaucoup la lecture. — N.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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