Les deux thématiques du temps et de l’éthique ont suscité depuis longtemps l’intérêt des chercheurs. Il suffit pour s’en persuader de parcourir le long état de la recherche proposé par Olivia Luisa Rahmsdorf. En ce qui concerne la temporalité, on aurait pu même penser que tout était dit avec les travaux de Frey et des chercheurs de Tübingen. Loin s’en faut. Mais, précisément, ce qui intéresse l’A. n’est pas une étude thématique, mais « dynamique » de l’éthique johannique. Ses devanciers ont déjà étudié l’impact de la narration et de l’herméneutique sur le lecteur, mais elle cherche surtout à théoriser l’interaction du temps, de l’éthique et du récit, particulièrement à travers la question des relations. Ceci est particulièrement pertinent quand on sait l’importance de la rencontre dans le 4e évangile.

Consciente de la nouveauté de son approche, l’A. a le souci de bien préciser sa démarche. Ainsi, après l’état de la recherche, elle consacre un 2e chapitre à une théorisation philosophique du temps et de l’éthique, avant d’établir sa propre méthode. Nous nous permettons de traduire le paragraphe qui résume « le but de ce travail » : « Il s’agit de développer à travers la confrontation avec le texte de l’évangile de Jean et les interactions de ses personnages, de développer une compétence temporelle éthique (ethische Zeitcompetenz), c’est-à-dire la capacité de reconnaître des normes temporelles gouvernant l’action et les relations, les pénétrer et les évaluer réflexivement pour pouvoir les intégrer à long terme. De même que le filtre éthique promet d’approfondir le regard sur le temps dans l’évangile de Jean, ainsi, inversement, le filtre temporel doit aiguiser le regard sur l’éthique dans l’évangile de Jean » (p. 123).

Ce n’est qu’après avoir déployé et justifié sa méthode sur près de la moitié de son travail que l’A. va se confronter au texte évangélique. Elle choisit d’étudier le signe de Cana sous l’angle de « l’heure du bon vin » ; l’appel du Christ à l’adoration véritable comme « Vivre par-delà le temps et le lieu » (Jn 4,43-54) ; la résurrection de Lazare et l’onction de Béthanie comme « vie malgré la mort ». Elle applique à chaque péricope sa méthodologie : l’analyse des personnages et de leurs relations, la « mise en scène » de la temporalité et sa perception.

L’A. montre l’intérêt des conflits entre le temps de ceux qui demandent l’action de Jésus (Marie, l’officier royal, Marthe) ou en sont les bénéficiaires (l’infirme de Bethsatha ou l’aveugle-né) et celui de Jésus qui brise par ses retards ou ses anticipations la linéarité du temps humain. Les différents récits étudiés mettent en lumière une forme d’antinomie entre celui qui est et les créatures qui deviennent. La résolution de ces conflits temporels se trouve dans la mise en lumière de l’heure de la Croix : dans l’événement même de la Croix est manifestée la gloire de Dieu. Le mystère pascal constitue donc l’horizon eschatologique principal de l’évangile de Jean et sa norme éthique : celle de l’amour eis telos.

L’A. offre un travail extrêmement technique et argumenté qui exige une lecture patiente. Elle met en lumière une dimension centrale de l’évangile de Jean, tout en laissant ouvertes beaucoup d’autres questions. On notera avec amusement qu’elle considère à peine la thèse de Bennema sur la mimesis. — G. de Longcamp c.s.j.

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80