Ce passionnant volume, qui a paru opportunément dans la foulée de
l'élection de l'A. à l'Académie française, recueille de façon
suggestive des textes dispersés dans différentes livraisons de la
revue Communio et dans quelques autres publications (outre un
inédit) étalées de 1979 à 2009. Rien que la note 6 aux pages 48-49
vaut le détour, par sa tranquille assurance jointe à un
rafraîchissant culot. Les textes sont enregistrés par chapitres,
organisés autour de quatre préoccupations: le rapport de la raison
à la foi (de quoi il est question), l'énonciateur de ce discours
(qui parle), celui qui se montre dans le discours (de qui on
parle), et enfin l'acte de reconnaissance à l'oeuvre dans le
discours (à qui on rend grâce). Le sous-titre se veut polémique:
«Réflexions diverses sur la rationalité de la révélation et
l'irrationalité de quelques croyants». Mais il s'agit en réalité
d'une oeuvre de sagesse qui vise à renouer les liens entre des
approches trop souvent divagantes, à savoir celle d'une raison
close sur elle-même et d'une foi intuitive. Une cible de l'A. est
un certain rationalisme pratique, dont le modèle est celui du
procéduralisme de la raison communicationnelle. En contraignant la
foi au «devoir d'argumenter» pour vivre en commun, celle-ci force
heureusement au déroulé plénier de ses constituants rationnels,
mais la raison procédurale néglige en même temps de prendre au
sérieux les fondements eux-mêmes de la raison (car la raison reste
sans pourquoi). Car c'est dans l'invisible que se fonde le visible,
et réciproquement. On appréciera la façon d'interpréter Pascal qui
court à travers ces pages courtes et brillantes qui ne cherchent
pas seulement à séparer les ordres pour les distinguer, mais en
manifestent la liaison et l'échelle croissante. Marion répond ici
de manière nette à ceux de ses critiques qui prétendent que sa
pensée passerait outre la raison; bien au contraire, il manifeste
ici avec tout le sérieux requis et une singulière conviction
personnelle, le poids immense qu'il attribue à la rationalité des
choses terrestres. C'est même là, selon lui, le rôle propre du
baptisé et de l'intellectuel catholique que de rendre raison de
l'amour: «quelle raison déploie la logique de l'amour» (p. 27).On
ne saurait résumer ces pages moirées qui couvrent des
problématiques aussi diverses que la question de l'avenir du
catholicisme, le cléricalisme et le laïcat dans l'Église, la
question du miracle ou encore le sacrement. Elles s'agencent
néanmoins de manière de plus en plus profondes et de plus en plus
spirituelles, pour culminer dans la conviction, typiquement
marionnienne, de l'invisibilité du don dans la transparence du
donné. Il s'agit d'assurer la veille de l'inconnaissable en plein
coeur de la connaissance la plus étendue. Parmi les plus belles
pages, on comptera les pages 157 et suivantes qui nouent ensemble
manifestation et donation de l'invisible au sein du visible. Il
restera malgré tout au lecteur de ces pages alertes l'impression
que le paradoxe manié par Marion, du cru et du vu, pourrait être
plus serré. D'une part en effet la foi apparaît parfois trop à la
limite extrême du rationnel, en tant que domaine non-visible du
visible («à la limite de la phénoménalité»), de sorte que le
négatif affecte régulièrement le domaine de ce qui est cru. D'autre
part la rationalité décrite par Marion semble quelquefois rabattue
du côté de ce que Blondel aurait appelé la «raison pneumatique»,
sans que les lois, concepts, objets et formes de la «raison
noétique» soient tout à fait pris en compte. Ce n'est pas un hasard
si le mode de rationalité privilégié est celui de la
phénoménologie. On peut poser la question de savoir si J.-L. Marion
parvient vraiment à faire une place complète à la raison
scientifique (ou «physique») en tant que telle, c'est-à-dire à la
vue intégrale et tenace des étants, mais aussi à comprendre le type
de transition que représente, par rapport à celle-ci, l'énoncé
proprement méta-physique qui prolonge sur le mode de l'universel
singulier l'intelligence substantielle des phénomènes. N'est-ce pas
un surcroît d'affirmation, une éminence, qui mène ce propos
métaphysique, de sorte que l'on ne peut si immédiatement lui
substituer une proposition de foi déclarée sur un mode négatif,
tout au moins de retrait et d'absence? La pensée de J.-L. Marion
n'est-elle pas menée secrètement par une dialectique du négatif, à
la façon de Hegel et de Heidegger, qui lui barre encore l'accès à
l'inclusion réciproque de l'analogie de la foi et de l'analogie de
l'être? Ne faut-il pas aussi le voir pour le croire, dans
l'affirmation toujours plus grande de Dieu? - E. Tourpe