Le point de vue qui détermine (au sens précis du verbe) l'ensemble
de ce livre est clairement formulé dans le texte figurant à la 4e
page de couverture: «À l'heure où les arguments de tradition et
d'autorité ont perdu toute crédibilité dans le domaine religieux,
où le chercheur spirituel est amené à marcher seul vers sa propre
vérité, de façon adulte, sans normes posées a priori, que peuvent
bien signifier pour lui les paroles antiques du Credo?» La quête du
sens est donc, pour l'A., incontestablement relativiste et
solipsiste. Affirmation certaine et résolue, dont, apparemment, il
ne semble pas s'être avisé qu'elle est contredite, dès la première
page, par l'épigraphe qu'il emprunte à Montaigne: «Il n'y a que les
fols certains et résolus». Nous voici loin, nonobstant le
sous-titre, de cette lecture «a-gnostique», c'est-à-dire ouverte au
doute, dont l'A. se réclame. Outre la constatation de cette
anomalie herméneutique, que nous apporte cet ouvrage? Passons sur
un certain nombre de médiocres calembours que ce «professeur agrégé
de lettres» qualifie avec solennité de «blasphèmes modernes» et de
«provocation» (p. 37). Saluons plutôt ses vastes et éclectiques
lectures. Il cite abondamment la Bible, mais aussi, pèle-mêle,
Virgile, Sénèque, Molière, Baudelaire, Musset, Kafka, Rilke,
Cocteau, Rabelais, Flaubert… (la place nous manque pour continuer
cette énumération - tant il est vrai qu'aucune lecture ne saurait
faire l'économie de références à une «tradition»). Ce que ces
citations ont en commun, dans leur diversité, c'est qu'elle sont
choisies en fonction du parti pris de l'A., tandis que les
références à la tradition théologique chrétienne et aux auteurs qui
s'en réclament sont pratiquement absentes. Cette constatation
soulève une question que le lecteur se pose quasiment à chaque
page: l'A. est-il à ce point enfermé dans sa propre perspective au
point d'ignorer que les problèmes qu'il aborde ont été, pour la
plupart, loyalement rencontrés depuis des siècles par de nombreux
théologiens et philosophes de toutes tendances, et qu'ils ont été
intériorisés dans le vécu religieux d'hommes et de femmes soucieux
de cohérence? Une cohérence qui, il est vrai, n'est pas
immédiatement évidente, et qui n'exclut pas certaines formes de
paradoxe. Ainsi saint Hilaire de Poitiers écrivant, dans son
admirable de Trinitate: «Dieu est unique, mais il n'est pas seul».
Opposer au dogme et à la théologie trinitaire «le génie du
paganisme polythéiste», n'est-ce pas un peu court? Le paradoxe - et
il en est bien d'autres exemples, dans les Évangiles, la théologie
et le vécu chrétien, voire simplement humain - n'appelle-t-il pas
l'intelligence à s'ouvrir à des profondeurs du réel que méconnaît
l'évidence immédiate? Soyons néanmoins sensibles à cette concession
de l'A.: «Sans doute est-ce moins le nombre des contradictions
logiques accumulées qui compte, que la richesse symbolique de
chaque élément, même si leur union est problématique» (p. 81). Mais
cette union n'est-elle pas elle-même révélatrice d'une richesse
méconnue par la raison logique?
Il est vrai que l'A. poursuit - et ici, nous pouvons le rejoindre:
«En général, plus il y a de symboles dans nos vies, plus
profondément nous vivons. Ce n'est pas le ricanement qui fait
battre le coeur. Il faut vivre par le symbole, ou mourir par la
chair». Au fond, la coexistence liturgique des deux Credos, celui
des Apôtres et celui de Nicée-Constantinople, qui fait l'objet de
ce livre, n'est-elle pas significative du fait qu'aucune formule ne
saurait, à elle seule, rendre compte de la plénitude du Mystère,
qui interpelle à la fois la raison et le vécu du croyant? Ceci dit,
la lecture de ce livre n'est pas dépourvue d'intérêt. L'érudition
de l'A. attire parfois l'attention sur des particularités
textuelles, bibliques ou liturgiques, qui méritent d'être prises en
compte. Du point de vue idéologique, l'ensemble reflète assez
typiquement une forme de laïcisme polémique, teinté de dérision,
qui caractérise aujourd'hui une certaine intelligentsia hexagonale.
Ajoutons qu'il y a en France assez de laïques ouverts pour qu'un
dialogue à la fois exigeant et respectueux demeure possible, même
en ce qui concerne une «lecture agnostique du Credo». - P. Lebeau,
S.J.