Deuxièmement, M. Douglas découvre, sous-jacente à toutes les lois, une triple analogie entre le mont Sinaï, le tabernacle du désert et le corps démembré des animaux sacrifiés: le sommet de la montagne correspond au saint des saints et aux parties les plus intérieures de l'animal offert; son flanc renvoie au saint et à la graisse, le pied de la montagne est parallèle à la cour extérieure du sanctuaire et aux morceaux de viande consommables par les prêtres et les laïcs.
Troisièmement, le livre lui-même est organisé selon le plan et les proportions du tabernacle: les deux sections narratives (Lv 8-10 & 24,10-22) font office de rideau entre les différentes pièces dans lesquelles le lecteur effectue son pèlerinage et les chapitres 19 et 26 (la justice de Dieu et sa fidélité aux alliances) constituent deux pierres angulaires de l'édifice. Signalons en passant que M. Masson, dans son ouvrage Élie ou l'appel du silence (Paris, Cerf, 1992, 99-177) avait déjà émis le même genre d'idée - un texte construit sur le modèle d'un sanctuaire - pour le cycle d'Élie. Enfin, la classification entre animaux purs et impurs, consommables ou «abominables» (traduction inadéquate selon l'auteur), sacrifiables ou non, ne doit pas être comprise comme une mesure d'exclusion ou l'expression d'un dégoût vis-à-vis de certains êtres vivants, mais au contraire se révèle, à l'aune de l'alliance et de la bénédiction de Dieu pour toutes ses créatures, comme un signe de compassion et de miséricorde pour les plus vulnérables et comme une mesure de sauvegarde contre l'exploitation humaine.
Cette dernière hypothèse, même si elle projette sur le texte une sensibilité occidentale moderne, a le mérite de rendre le Lévitique à la Bible et à l'actualité. Ce n'est pas un livre bizarre dont l'enseignement ritualiste et formel s'opposerait à celui, spirituel, des prophètes ou des Psaumes; ce n'est pas non plus un témoin archaïque de ce dont la parole du Christ nous aurait enfin libérés. C'est tout simplement le coeur de la Torah, avec son souci de justice et sa proposition d'alliance. En ouverture (XII), M. Douglas reconnaît sa dette et remercie tous ceux qui l'ont aidée à suffisamment s'approcher du Lévitique pour l'aimer. Quels que soient les débats que son ouvrage suscitera - et ils ne manqueront pas -, nul doute que beaucoup de ses lecteurs contracteront, à son égard, une pareille dette. - D. Luciani.