En 1893, Loisy est écarté de l'Institut catholique de Paris; il
exerce, à Neuilly, la fonction d'aumônier d'un pensionnat de jeunes
filles, ministère qui lui laisse tout loisir de poursuivre ses
recherches exégétiques. Le 1er janvier 1898, il achève une première
version d'un ouvrage qu'il intitule La crise de la foi dans le
temps présent. Essais d'histoire et de philosophie religieuses.
Toutefois, il estime son écrit «très insuffisant», et le
retravaille entre le 8 août 1898 et le 4 mai 1899; ensuite, il
supprime la première partie du titre; il utilise des passages, tels
quels ou remaniés, dans diverses publications ultérieures. Plus
tard, la seconde version est dactylographiée par Louis Canet qui
dépose les papiers de Loisy à la Bibliothèque nationale de France,
après son décès, en dépit de ce que - manifestement - l'exégète ait
souhaité la destruction de son écrit.Outre une introduction par Fr.
Laplanche, l'ouvrage - publié ici pour la première fois - est
accompagné de trois études substantielles (du même A., Une Église
immuable, une époque en mouvement; R. Ciappa, La réforme du
régime intellectuel de l'Église catholique; Ch. Theobald,
L'apologétique historique d'Alfred Loisy. Enjeux historiques et
théologiques d'un livre inédit), qui permettent de mieux
cerner la démarche de Loisy dans le contexte de l'époque.
Considérons la table des matières. L'avant-propos est suivi de 11
grandes parties: 1. Religion et révélation; 2. La religion
d'Israël; 3. Jésus-Christ; 4. L'Évangile et l'Église; 5. L'Église
et le dogme chrétien; 6. L'Évangile et le culte catholique; 7. Le
régime intellectuel de l'Église catholique; 8. Le dogme et la
science; 9. La raison et la foi; 10. La religion de l'avenir; 11.
Le passé et l'avenir. Une telle énumération, d'apparence bien
sèche, cache beaucoup de choses. À commencer par le caractère
synthétique d'une pensée qui a un vaste acquis et qui est largement
ouverte à d'autres formes de pensée, telles celles d'un Harnack ou
d'un Newman. Une attention à la Révélation chrétienne et son
expression première qu'est l'Écriture sainte. Une intelligence qui
cherche à comprendre en particulier par le biais de la critique
historique positive, pour qui la tradition n'est pas la répétition
ne varietur de ce que l'on a toujours dit et qui tente de mettre en
lumière l'immuable par rapport au contingent. Une attention aux
requêtes d'un monde que l'on qualifie habituellement de «moderne»,
attention qui, dès lors, se veut apologétique, non par souci de
conquête agressive mais parce qu'il y va du salut du monde. Une
ouverture sur l'avenir qui n'entend pas en rester à un monde que
d'aucuns souhaitaient alors figé. Je me permettrai d'évoquer ici
l'une des dernières phrases de l'Ère postchrétienne (1994) d'Émile
Poulat, l'un des meilleurs connaisseurs de Loisy - et que je ne
veux évidemment pas assimiler à celui-ci, et tout en évitant tout
anachronisme: «Apprenez à mieux mesurer ce que signifie pour
l'appel chrétien surgi voici bientôt deux mille ans cette situation
éprouvante: une mise à nu et une mise à neuf de la 'bonne
nouvelle'. Le retour aux Écritures n'est jamais le retour au temps
des Écritures, mais la forme présente de nos rencontres». Ne
pourrait-on voir dans la démarche de Loisy ce retour aux Écritures
dans le temps présent? Et on se prend à se poser la question: qu'en
serait-il advenu si l'ouvrage avait été publié dès sa finition par
Loisy? - B. Joassart sj