Cette traduction de Metaphysik der Kindheit (1956)
témoigne de l'attirance neuve, exercée dans le domaine francophone
par l'oeuvre philosophique de G. Siewerth. E. Tourpe évoque en des
Considérations préliminaires (p. 5-15) l'itinéraire de ce
philosophe catholique (1903-1969) exclu de facto par
Heidegger de l'Université allemande et célébré avec gratitude par
Urs von Balthasar, son ami et son admirateur. Les deux grands
ouvrages de S., Der Thomismus als Identitätssystem (1938)
et Das Schicksal der Metaphysik von Thomas zu Heidegger
(1959) sont écrits dans une langue allemande particulièrement
exigeante. La récente traduction par Tourpe et Chereau de l'ouvrage
de M. Cabada Castro, L'Être et Dieu chez Gustav Siewerth
(Paris, Vrin, 1997), offre un accès à cette pensée de l'Être comme
similitude de Dieu. «Avec la Métaphysique de l'enfance, nous
disposons, écrit E. Tourpe, d'une miniature significative d'une des
plus hautes cathédrales de pensée qui ont été édifiées au XXe
siècle, dans le monde catholique, et face aux immenses
constructions de la réflexion allemande moderne» (p. 7).
L'enracinement dans l'axe thomiste se redouble ici de la passion de
l'archè propre à Husserl. La définition et la division
aristotéliciennes y prennent le visage de la description et de la
réduction eidétique. À première lecture, l'influence de Sein und
Zeit apparaît manifeste. Certes, c'est avec et contre Heidegger,
que S. élabore une anthropologie métaphysique de l'abandon et de la
vie originaire. C'est en termes heideggériens d'être-là et
d'existentiaux que s'énonce S. Mais, pour S., l'enfant expérimente
l'être dans sa plénitude, dans ses profondeurs caritatives et
divines: l'Esse, selon S., est trop personnel pour se réduire au
es gibt, et la mémoire est chez lui communion. Son
anthropologie métaphysique est enrichie par la phénoménologie, sa
quête de l'origine et sa capacité de laisser venir à la parole le
monde de la vie. L'être est don et il est source puisqu'il est
bonté qui se diffuse en se recevant / concevant.
L'essence métaphysique de l'enfance s'atteste dans sa conception,
dans l'éveil de sa filiation. Son déploiement (plutôt que la
croissance), son expérience du mal et sa maturation manifestent la
vérité de l'existence humaine comme filiation. Ces pages reprennent
en sous-oeuvre les analyses de l'inconscient et du «pervers sexuel
polymorphe» pour reconnaître aussi dans l'enfant le paradigme
symbolique de l'être et de l'esprit.
La traduction de Th. Avalle est précise et réfléchie (cf. les
«notes», p. 21-22 et le lexique, p. 179-183). Elle réussit à ne pas
rendre plus malaisée en français la lecture d'une oeuvre si
typiquement allemande. Les choix lexicaux sont heureux, le style de
l'A. est respecté, la pensée secourue par un phrasé méditatif
toujours en haleine. - A. Chapelle, S.J.