De cet ouvrage fondamental pour le renouveau de la théologie
ecclésiologique et sacramentelle du xxe siècle, l'A. revendiquait
le côté «naïf». Il s'agissait d'examiner le déplacement sémantique
d'une formule qui n'est ni biblique ni patristique et qui, quand
elle apparaît au ixe s., n'était ni ecclésiologique, ni
christologique, mais eucharistique: au premier millénaire on
appelait volontiers le corps du Christ à l'autel corpus mysticum en
lien avec le grand corps que forme l'Église et dont le Christ est
la tête (cf. Paschase Radbert: «Il y a trois manières selon
lesquelles, dans les Écritures, on parle du Corps du Christ:
l'Église en sa totalité qui est son Corps, le Corps mystique du
Christ sur l'autel, enfin le Corps né de la Vierge Marie»); avec
l'entrée dans le deuxième millénaire, l'accent change. On appelle
de plus en plus le corps du Christ à l'autel verum corpus. Cette
évolution trouve son point de non retour à l'aube du xiiie siècle,
et l'épithète «mystique» se trouve de plus en plus reléguée à
l'Église définie comme «corps mystique». De cette minutieuse
enquête dont le point de départ est l'étude du Corpus triforme
d'Amalaire, objet de la deuxième partie de l'ouvrage, on a surtout
retenu la formule lubacienne développée plus tard dans Méditation
sur l'Église: «L'eucharistie fait l'Église, l'Église fait
l'Eucharistie», au risque de privilégier la deuxième des deux faces
de ce même mystère. À ce sujet, Mgr E. de Moulins-Beaufort fait
remarquer dans l'introduction que cette expression a un ordre:
«L'Église qui célèbre n'est pas d'abord l'assemblée concrètement
présente en un lieu et dont la liturgie, par « une pédagogie
appropriée », devrait faire une communauté. La communauté est
procurée par le sacrement qui fait de l'Église en son entièreté le
Corps du Christ» (Intr., p. XII). L'Église n'existe que dans l'acte
du Christ s'offrant au Père, ce sacrifice intégrant en sa Personne
toutes les relations qu'il engage et incorpore. Plus largement, Mgr
E. de Moulins-Beaufort relève les deux axes présents dans
l'ouvrage, typiques de toute l'oeuvre lubacienne: la reconnaissance
du Fait unique du Christ, d'une part, et, d'autre part,
«l'élimination du temps» ou le temps allongé depuis la venue du
Christ en sa chair, qui correspond à l'expansion de l'Église comme
sacrement pour le monde. H. de Lubac l'écrivait lui-même dans
l'avant-propos de l'édition allemande de CM (repris dans
l'ouvrage): «Transcendance et universalisme: les deux choses sont
solidaires, et tout ce qui risque d'y porter atteinte risque, en
pervertissant le mystère eucharistique, de ruiner l'oeuvre du
Christ» (p. 403).Comme dans les autres ouvrages de l'édition
complète, plusieurs autres textes - véritables bijoux théologiques
et spirituels - éclairent ou vulgarisent judicieusement la pensée
et la pratique pastorale de l'A.: «Vigile de Pâques», écrit en
1940; «La portée sociale de la Messe» (1942); «Communauté
chrétienne et communauté sacramentelle» (1942); «Le sens de la
Messe» (1946); «L'Eucharistie, présence du Christ. Un mystère
inépuisable» (1971). - A. Massie sj