À la différence du livre de E. Guerriero, publié (en français avec une préface de Jean Guitton) au lendemain du décès du p. von Balthasar, mais prenant celui-ci pour point de départ, l’ouvrage se présente comme un travail scientifique dont le titre « La biographie d’un théologien du siècle » indique la prétention. Il est de fait fruit de deux décennies de recherches dans près d’une cinquantaine d’Archives et d’entrevues avec plus de vingt de ses contemporains. À l’auteur, Manfred Lochbrunner, professeur de dogmatique au séminaire « Redemptoris Mater » de Berlin, on doit du reste une thèse remarquable sur le théologien suisse, rédigée en dialogue avec lui à la fin des années 70, ainsi que plusieurs autres livres consacrés à ses rapports avec les grandes personnalités de son temps, p. ex. Romano Guardini, Karl Barth ou Karl Rahner.

L’ouvrage se compose de quinze chapitres, parcourant année après année la vie du P. von Balthasar depuis sa naissance à Lucerne jusqu’à sa mort à Bâle, et d’un dernier chapitre, trop succinct, sur sa figure et sa mission, suivi d’une postface où l’A. partage discrètement au lecteur ses convictions plus personnelles. « Balthasar a fait de sa vie un don au Dieu trinitaire. Le “suscipe” de son Père Ignace exprime bien le geste de la donation », nous dit-il, une déclaration qui prend toute sa densité si on considère les moments difficiles de sa vie, en particulier les dernières années passées dans la Compagnie de Jésus, comme aussi la longue période de désert qu’il a traversée avant sa reconnaissance, in extremis, par le Successeur de Pierre. La rédaction de ces chapitres prend le plus souvent l’allure d’un journal, que l’A. documente par une multitude de témoignages patiemment recueillis et d’extraits de correspondances inédites.

Le soin que l’A. a apporté à l’élaboration de l’énorme volume est hautement appréciable. On ne peut que louer son entreprise colossale qui constitue une mine désormais indispensable et réserve une surprise après l’autre, suscitant souvent une vraie admiration (à relire et méditer serait à cet égard la prière du jeune novice retrouvée dans la correspondance avec un ami de jeunesse : p. 132-135). L’accumulation de faits d’ordre bien différent comme le sont des événements extérieurs, des notations personnelles du théologien ou le compte-rendu de ses publications successives donne certainement une idée du caractère extraordinaire de cette vie mais risque en même temps d’offusquer la vue de sa figure unitaire. À rapporter des faits isolés, quelquefois, au moins apparemment, sans grande signification (l’enfant mesurait à sa naissance 53 cm : p. 25), les accompagnants çà et là d’une annotation critique (p. 193), l’A. parvient-il à mettre suffisamment en évidence le poids qu’ils ont au regard du Ciel ? Car telle est finalement la question de l’historien spirituel que veut être Lochbrunner (il cite en exergue un beau mot de Henri-Irénée Marrou) : « Qu’est-ce que Dieu retire de cette œuvre ? » (p. 747).

Quant à nous, nous hésiterions à affirmer qu’on est là en présence de la biographie du grand théologien. Si ce dernier estimait son œuvre absolument inséparable de celle d’Adrienne von Speyr, il aurait fallu pour en donner une image exacte mettre au centre ce qu’il considérait comme leur mission théologique commune (c’est l’objet de son « livre-testament »).

L’ouvrage n’en a pas moins de grands mérites, notamment celui d’offrir un répertoire exhaustif de la correspondance du P. von Balthasar au P. de Lubac (539 pièces allant de 1936 à 1985) et un répertoire partiel de celle de ce dernier au théologien suisse (104 pièces allant de 1940 à 1987). On notera quelques erreurs de transcription du français (entre autres, aux p. 177, 190, 203, 205, 217) et, là où l’original n’est pas repris, l’une ou l’autre traduction peu claire en allemand (ainsi, dans une lettre importante de de Lubac, citée p. 256, au sujet de l’affaire des vœux définitifs que son ami pense reporter à plus tard, quand sera résolu le « cas de Frau [Adrienne] Kaegi »).