Ce petit livre, riche de substance théologique et de réminiscences
littéraires, est un des joyaux d'une collection consacrée à «des
essais, des ouvrages d'actualité religieuse, historique et
contemporaine à l'intention d'un large public». De l'aveu de son
auteur, professeure à la Faculté de théologie Protestante de
Bruxelles, il est né de «l'obstination d'une théologienne à
remettre en question le divorce moderne entre la raison et
l'imagination», face à ce «christianisme 'raisonnable' qui a fini
par reléguer les anges parmi les superstitions d'un autre âge».
Quant à l'indifférence, voire la réprobation protestante à l'égard
des anges, elle provient sans doute, selon l'A., de la «centralité
du message comme Parole - de plus en plus comprise comme un savoir
livresque, de surcroît - qui semble rendre superflus les
messagers». Là en effet où s'obscurcit le principe d'une
participation de sujets personnels à la manifestation de l'unique
Médiateur, les «esprits envoyés en service pour le bien des élus»
(He 1,14) sont nécessairement méconnus. Or, en Occident, nous
signale l'A., «aucune réalité spirituelle n'a été représentée aussi
souvent que les anges. Ils figurent dans la plupart des
'narrations' bibliques et postbibliques (vies de saints…). D'où ce
paradoxe: si nous devons penser que les anges n'existent pas,
jamais réalité inexistante n'aura été aussi abondamment illustrée!»
L'ange est d'ailleurs une donnée familière aux monothéismes
«abrahamiques». Jésus, en particulier, est visité par un ange, au
début (Mc 1,13) et à la fin (Lc 22,43) de sa vie publique. Et ce
sont des anges qui sont les messagers de sa résurrection. Autre
remarque pénétrante et, me semble-t-il, originale: «Les anges
remplissent une fonction littéraire aux conséquences théologiques
considérables: l'unité narrative des deux volets de la Bible
chrétienne (Premier et Second Testament) est en quelque sorte
garantie par les personnages - anges et prophètes - qui circulent
d'un livre à l'autre». Si donc, comme l'écrit plaisamment l'A.,
l'ange n'est pas «une denrée de luxe», comment définir
théologiquement sa pertinence? Nous ne pouvons que renvoyer ici le
lecteur aux développements savoureux et pénétrants d'une
théologienne poète, en nous bornant à quelques indications pour le
mettre en appétit: «les anges 'extériorisent' la nature impalpable
de Dieu, ce qui, dans une approche pédagogique de la foi, est
licite et utile»; «l'Ange du Seigneur» est quasiment synonyme de
Dieu, et sa mention constitue une sorte de respect: elle permet de
décrire «une action dont l'origine est bien la volonté divine, sans
impliquer Dieu dans un contact direct ou une manipulation»; l'ange
a également pour fonction de donner corps aux désirs primordiaux de
l'être humain: «l'attente d'une bonne nouvelle, dont les anges
seraient les avant-coureurs surprenants», ou «la soif d'une justice
qui vienne à bout de l'injustice impunie», et finalement «le désir
de beauté gratuite et surabondante». En un mot, en conclusion:
«Aujourd'hui, la figure de l'ange signale obstinément que la foi
est aussi attente de l'inespéré ». - P. Lebeau, S.J.