L'Église, des femmes avec des hommes
Anne-Marie PelletierThéologie - Recenseur : Anne-Marie Petitjean a.s.
Parce que « la vie de l’Église continue à charrier un mépris rampant à l’égard des femmes », y compris sous des « discours louangeurs », parce que « la note agressive » accompagnant la clairvoyance féministe a rendu difficile sa réception, parce que, tout simplement, bien des femmes sont déçues du discours magistériel les concernant, notre temps a besoin de paroles de femmes autorisées et crédibles (chap. 1). L’A. l’est et le sera, au moins pour bien des catholiques. En effet, elle n’entend pas demander parité, partage de pouvoir et encore moins ordination des chrétiennes, mais elle veut, afin d’en témoigner, donner corps au projet même d’un Dieu qui rejoint et sauve l’humanité qu’il a créée homme et femme (ce qui leste le titre de l’ouvrage). Une exégèse qui se veut féminine sans pour autant relever des seules femmes, offre alors au lecteur une traversée biblique susceptible d’ouvrir des horizons sans engendrer de crispations. Pour autant, Anne-Marie Pelletier ne nie pas que la Bible est un texte écrit par des hommes et pour des hommes (ce qui amena oubli, effacement ou recomposition de bien des passages), mais elle montre qu’il est possible de « lire plus loin ». À sa suite, le lecteur prend alors conscience, non seulement que des femmes vaillantes ont pu sauver Israël (ce qu’il savait peut-être), mais, et c’est le plus fondamental ici, que « l’humanité trouve dans la relation le principe de son identité » et que « le salut [dans la Bible] est suggéré comme alliance du masculin et du féminin » (chap. 2 et 3).
Le chap. 4 pose alors la question : quelle chance représente pour l’Église une telle Révélation ? Il se focalise en tout premier lieu sur « le plus central de la vocation chrétienne », « ce qui [pour l’A.] se situe à l’articulation du sacerdoce baptismal et du ministère presbytéral ». Toutefois, par la suite, la compréhension du ministère presbytéral dans le registre et le vocabulaire du sacerdoce n’aide pas suffisamment, selon nous, à situer les prêtres au sein et au service du peuple sacerdotal et honore moins la visée plus apostolique du ministère presbytéral soulignée par le dernier Concile. Cependant, ce registre sacerdotal, auquel maints lecteurs sont attachés, pourra les aider à se sentir concernés lorsqu’ils liront que le ‘sacerdoce ministériel’ ne peut plus être abordé dans « un face à face d’autorité et d’obéissance, si facilement convertibles en domination et subordination ». Il est au contraire urgent, liront-ils plus loin, que la théologie s’élabore à deux voix, qu’elle soit fondée sur « un mode d’intelligence que n’effarouche pas le consentement à l’incomplétude ». Ils pourront « se déprendre de l’idée de suppléance » entachant le service rendu par de nombreux laïcs et veiller à ce que prêtres et futurs prêtres apprennent à se laisser former aussi par des femmes. Ce qui est en jeu est la « pleine estime des unes et des autres », le « marcher ensemble » synodal des femmes et des hommes car il en va de la crédibilité de l’Église dans le monde d’aujourd’hui et donc du témoignage qu’elle doit rendre à la Révélation biblique telle qu’elle a été ressaisie plus haut.
Les femmes sont le « levier » de cette nécessaire « conversion ecclésiologique ». En effet, elles rappellent « à tous, le centre de gravité de toute vie évangélique », « l’indépassable plénitude du sacerdoce baptismal (…) par-delà les rôles, distinctions et hiérarchies » qu’elles ne connaissent pas. Ce « signe de la femme » (car chacun est signe de ce qui appartient à tous) est fait de divers « éclats de féminin ». L’A. en fait un « inventaire » en reprenant, mais en les réinterprétant, quelques clichés du féminin hérités d’un monde patriarcal (larmes, maternité, mode de connaissance…). Le lecteur craignant les lectures genrées pourra ainsi se sentir interpellé en douceur. Finalement, la figure de Marie qui « gardait toutes ces choses en son cœur », ne renvoie pas pour autant les femmes à une intériorité docile et passive, exilée de la visibilité publique qui relèverait du masculin. Tout ce qui, en Marie, fait signe, concerne l’ensemble des membres de l’Eglise, une Église d’hommes et de femmes qui serait alors une « pierre de touche majeure dans l’annonce d’un monde nouveau » (chap. 5).
Au fil du parcours, même s’il n’en partage pas tel argument ou telle vision, chacun(e) sera saisi(e) par maints « éclats » suggestifs et stimulants dont notre Eglise a plus que jamais besoin. — A.-M. Petitjean