Cet ouvrage, qui est la version corrigée d'une thèse de doctorat
conjointe en théologie et en philosophie des religions soutenue aux
Univ. de Neuchâtel et de Strasbourg par une femme aumônier
hospitalier à Strasbourg, aborde un thème passionnant: le regard
humain dans une perspective théologique. Partant de notre actuelle
ambivalence à l'égard du regard (être vu à tout prix et échapper à
ce voyeurisme ubiquitaire), le travail procède en trois temps. Une
1re partie analyse longuement la phénoménologie
sartrienne du regard qui se partage entre le pouvoir de celui qui
voit et l'aliénation de celui qui est vu - dialectique qui est
poussée à l'extrême dans les relations entre l'homme et le
«Dieu-regard», appréhendé comme le Voyeur par excellence (le
«regardant qui ne peut jamais être-regardé»). Mais ce regard
tout-puissant n'est-il pas conçu par Sartre comme trop immédiat,
autrement dit, ne fait-il pas fi des médiations corporelles et
langagières? La 2e partie développe en détail la
conception calvinienne du regard de Dieu, ou plutôt de la
Providence comme vie sous le regard divin: parfois menaçant, mais
aussi bienveillant, ce regard rompt avec la toute-puissance du
visible pour renvoyer à l'invisible, par la médiation du signe.
Enfin, une 3e partie applique ce propos à une
éthique du regard: se fondant sur les travaux de St Augustin,
C.S. Pierce et U. Eco, puis, plus encore, du dernier
Merleau-Ponty, et revisitant la Cène du Christ, cette éthique, qui
est aussi une symbolique, détourne le regard de l'évidence de ce
qu'il voit, pour le rendre attentif à ce qui lui échappe,
l'Invisible qui advient à travers le signe.
Passons sur les pointes simplistes contre l'histoire de l'Église
catholique (p. 285). Comment ne pas se réjouir d'une thèse
qui, dans le cadre du protestantisme calviniste, valorise les liens
entre visible et invisible à travers le signe? Le lecteur
s'étonnera toutefois de ce que soit enregistré, sans autre forme de
procès, l'acte de décès de toute métaphysique (p. 214-215) et
pourra regretter que soient ignorées les ressources de tout un
courant anglais religieux ayant finement pensé cette présence de
l'Invisible dans le visible (de S.T. Coleridge et
W. Wordsworth à C.S. Lewis, pour ne rien dire de
J.H. Newman). Surtout, il restera interloqué par l'absence
totale d'un dossier biblique, instruit pour lui-même, qui aurait
pourtant été si riche d'enseignement sur le regard aimant que Dieu
pose, en Jésus, sur l'homme (cf., p. ex.,
Mc 10,21). - P. Ide