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La paroisse, le manque de prêtres et la participation des laïcs à la vie et à la mission de l'Église

Pierre d'Ornellas (Mgr)
Comment un diocèse peut-il s'approprier la formule de saint Paul: «forts d'une pareille espérance, nous sommes pleins d'assurance», quand il manque cruellement de prêtres? Surtout si l'on sait que la paroisse, fondée sur l'Eucharistie, demeure le lieu privilégié de la vie chrétienne, et de la mission. La «grande espérance», selon l'expression de Benoît XVI, ouvre la voie de la nouvelle évangélisation qui est la juste perspective pour organiser la vie des paroisses, et qui redonne au diocèse une vraie estime du célibat «pour le Royaume».

La paroisse, cellule vitale du diocèse

Ma réflexion s’appuie sur la situation des diocèses de France. Quel que soit le nombre de prêtres, la paroisse demeure essentielle à la vie du diocèse. Le concile Vatican II l’enseigne: «Comme l’évêque dans son Église ne peut présider en personne à tout son troupeau, ni toujours ni partout, il doit nécessairement constituer des assemblées de fidèles, parmi lesquelles les plus importantes sont les paroisses, organisées localement sous un pasteur qui tient la place de l’évêque; car, d’une certaine manière, elles représentent l’Église visible établie dans l’univers1».

La paroisse, confiée au curé, est «comme la cellule» vitale d’une Église Particulière; le concile Vatican II souligne qu’elle «offre un exemple remarquable d’apostolat communautaire, car elle rassemble dans l’unité tout ce qui se trouve en elle de diversités humaines et elle les insère dans l’universalité de l’Église»2. Jean-Paul II le rappelle dans ses deux Exhortations apostoliques post-synodales Christifideles laici3 et Ecclesia in Europa: «Aujourd’hui encore en Europe, dans les pays anciennement communistes comme en Occident, la paroisse, tout en ayant besoin d’un renouvellement constant, garde encore et continue d’exercer une mission indispensable et de grande actualité dans le domaine pastoral et ecclésial. Elle reste en mesure d’offrir aux fidèles le milieu adapté pour un exercice réel de la vie chrétienne et d’être le lieu d’une authentique humanisation et socialisation, que ce soit dans un contexte de dispersion et d’anonymat propre aux grandes villes modernes, ou dans les zones rurales peu peuplées»4.

Par ailleurs, le «centre» de la paroisse est l’Eucharistie dominicale, qui est «la source et le sommet de toute vie chrétienne»5. Dès lors, précise Jean-Paul II, «la paroisse est fondée sur une réalité théologique, car c’est une communauté eucharistique»6. La paroisse est aussi un beau lieu de gratuité. En effet, les chrétiens ne se choisissent pas entre eux, pas plus qu’ils ne choisissent leur curé et que ce dernier ne les choisit. Dans une paroisse, tout le monde apprend à se recevoir mutuellement comme des «frères» donnés par Dieu.

La paroisse est donc tout à la fois la communauté où les chrétiens grandissent dans leur foi, chacun à son rythme et selon la grâce de Dieu, et la communauté chrétienne qui annonce l’Évangile selon les impulsions de l’Esprit Saint. Cela signifie que les sacrements, et en premier lieu l’Eucharistie, sont tout autant ordonnés à la sanctification qu’à l’évangélisation. Il s’agit donc pour l’évêque de gouverner le diocèse en érigeant des paroisses (souvent, elles sont déjà érigées quand un nouvel évêque arrive dans un diocèse) de telle sorte qu’elles soient missionnaires. Comment faire?

Je voudrais évoquer avec vous deux attitudes fondamentales auxquelles nous conduit le manque de prêtres: d’une part, l’humilité, source d’espérance (1); d’autre part, l’évangélisation (2). J’ouvrirai ensuite brièvement deux pistes d’organisation pratique (3).

I L’humilité, source d’espérance

Le manque de prêtres place souvent l’évêque non seulement dans une attitude d’impuissance mais aussi et surtout dans une conscience vive que son Église Particulière est devenue «minoritaire». Autrefois, le nombre de prêtres était tel que l’évêque pouvait non seulement pourvoir à la vie de toutes les paroisses, mais aussi envoyer des prêtres en terre de mission. Aujourd’hui, dans nos diocèses de France, le manque de prêtres atteste bien souvent que l’Église est située dans une société «païenne» dont la caractéristique fondamentale est l’oubli de Dieu avec toutes les conséquences que cela entraîne. L’Église est alors appelée à vivre et à accomplir sa mission au milieu d’un «désert», pour reprendre l’expression du Saint Père dans l’homélie inaugurale de son pontificat.

Selon un mot biblique, l’Église est «petite» au milieu de ce vaste désert! Prendre conscience de cette petitesse est une grâce à vivre comme telle, c’est-à-dire dans l’action de grâce. En effet, quand Israël relit son expérience de peuple choisi par Dieu, il s’interroge sur les motifs de son élection. Nous lisons la réponse dans le Deutéronome: «Si le Seigneur s’est attaché à vous et vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples: car vous êtes le moins nombreux d’entre tous les peuples. Mais c’est par amour pour vous et pour garder le serment juré à vos pères» (Dt 7,7-8). Tel est le choix gratuit de Dieu pour son peuple! C’est pourquoi Israël apprit à mettre sa confiance en Dieu seul puisqu’Il l’avait choisi et qu’Il est resté fidèle à son choix. Malgré ses tentations qui le font «récriminer» contre Dieu, Israël apprit aussi à se nourrir de la «manne» «venue du ciel» et à boire «l’eau jaillie du rocher» (cf. Ex 16-17). Il devint alors le peuple qui offrit un sacrifice de louange (cf. Lv 12,12), vivant dans l’action de grâce d’avoir été choisi par le Dieu unique et fidèle, et d’être nourri par Lui. Pour nous, «le pain descendu du ciel» (Jn 6,58) et le «rocher» (1 Co 10,4), c’est le Christ qui rassasie; le choix de Dieu, c’est le baptême et la foi reçus gratuitement (cf. Ep 1,11); le «serment», c’est la promesse du Christ à Pierre: «je bâtirai mon Église, et les portes de la mort ne l’emporteront pas sur elle» (Mt 16,18).

Aujourd’hui, les diocèses vivent cette expérience fondamentale de l’humilité. Nos Églises ne sont plus des institutions imposantes. Elles paraissent sans forces. Elles sont situées au milieu d’une société si gorgée de technique et de raison scientifique qu’elle demeure comme tétanisée, incapable de saisir la pertinence d’une «parole de vie». Nos Églises Particulières sont ainsi appelées à trouver leur raison d’être dans le choix de Dieu, à garder l’espérance puisque Dieu est fidèle à son choix, et à se nourrir de la Parole qui vient de Dieu, «le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16,16; cf. Mt 14,33).

N’est-ce pas une expérience enthousiasmante de se savoir choisi gratuitement par Dieu qui est fidèle, et d’écouter sa Parole, le Christ? Se savoir ainsi choisi par Dieu fait entrer dans la vraie petitesse. Il ne s’agit pas d’une humilité qui se résigne à son manque de forces et de capacités, mais d’une humilité joyeuse et remplie d’action de grâce. Saint Paul, avec passion, en a donné de façon définitive la juste expression: «[Le Seigneur] m’a déclaré: “Ma grâce te suffit; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse”. Aussi mettrai-je mon orgueil dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. Donc je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les angoisses à cause du Christ. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort» (2 Co 12,9-10).

Au commencement de cette même Seconde Lettre aux Corinthiens, saint Paul affirme: «en lui nous avons mis notre espérance» (2 Co 1,10). L’expérience de l’humilité de nos Églises Particulières est heureuse car elle suscite l’espérance théologale puisqu’elle nous renvoie au choix de Dieu et à sa fidélité. Il est vrai cependant que dans certains diocèses français, la pénurie de prêtres est telle qu’on pourrait penser à une certaine «mort». Écoutons alors le passage entier de saint Paul: «Oui, nous avons reçu en nous-mêmes notre arrêt de mort. Ainsi, notre confiance ne pouvait plus se fonder sur nous-mêmes mais sur Dieu qui ressuscite les morts. C’est lui qui nous a arrachés à une telle mort et nous en arrachera; en lui nous avons mis notre espérance: il nous en arrachera encore» (2 Co 1,9-10). Plus loin, se sachant «ministres d’une Alliance nouvelle», et «de l’Esprit [qui] donne vie», saint Paul conclut: «Forts d’une pareille espérance, nous sommes pleins d’assurance» (2 Co 3,12).

Concluons avec le concile Vatican II: «C’est ainsi dans l’espérance qu’ont marché les Apôtres, qui ont achevé par leurs multiples tribulations et souffrances ce qui manque à la passion du Christ au profit de son Corps, l’Église (cf. Col 1,24)»7. Ce qui est vrai des Apôtres est vrai de leurs successeurs. Jean-Paul II l’a rappelé dès le début de son Exhortation apostolique post-synodale Pastores gregis: «L’Évêque est prophète, témoin et serviteur d’une telle espérance surtout là où se fait plus forte la pression d’une culture immanentiste, qui écarte toute ouverture vers la transcendance. (…) C’est seulement avec la lumière et la consolation qui viennent de l’Évangile que l’Évêque peut garder vive en lui l’espérance (cf. Rm 15,4) et l’entretenir en ceux qui sont confiés à sa sollicitude de pasteur. (…) S’appuyant sur la Parole de Dieu et se tenant fermement dans l’espérance, qui est comme une ancre sûre et solide qui pénètre les cieux (cf. He 6,18-20), l’Évêque est au milieu de son Église sentinelle vigilante, prophète courageux, témoin crédible et serviteur fidèle du Christ»8.

Discerner dans l’espérance théologale

Le manque de prêtres ne conduit donc pas d’abord à en augmenter à tout prix le nombre en en faisant venir de diocèses étrangers ou de Communautés nouvelles étrangères. Cela peut être utile dans la mesure où le diocèse est devenu, au moins en partie, une terre de mission dans laquelle il faut recréer des communautés chrétiennes vivantes. Ces prêtres venus de l’extérieur sont alors des «missionnaires» au sens fort et traditionnel du terme.

Demander de tels prêtres procède d’un juste discernement sur la situation spirituelle de son diocèse. Une telle demande ne serait pas fondée si elle provenait d’une inquiétude sur la pauvreté des moyens ou la faiblesse des forces en présence. Le passage évangélique de la tempête apaisée est éclairant: alors que la «barque» de notre Église Particulière est sans forces devant «la violence des vents» de l’indifférence et de l’athéisme silencieux, il faut, pour discerner, recevoir d’abord en vérité le Christ qui nous dit: «n’ayez pas peur, c’est moi» (cf. Mt 14,27-31). Alors nous fondons notre vie apostolique d’évêque sur «l’espérance qui ne trompe pas» (cf. Rm 5,5): notre discernement s’exerce à l’intérieur même de cette espérance.

Le manque de prêtres invite le diocèse, et l’évêque à sa tête comme «prophète» et «sentinelle», à croire au Christ: comme Lui-même a été «choisi» (cf. Mt 12,18) et «envoyé» par son Père, Il «choisit» et «envoie» son Église en lui disant: «recevez l’Esprit Saint» (cf. Jn 20,21-22; Ep 1,4.13). Telle est la foi qui, pour nous, évêques, est «la substance de [notre] espérance»9, selon l’expression de Benoît XVI qui précise: «la foi est espérance»10. Pour reprendre les expressions de son encyclique Spe salvi11, l’évêque ne peut se contenter de «petites» ou «multiples espérances», celles que nous connaissons dans des rencontres ou des succès apostoliques, mais il doit entrer dans la «grande espérance», celle qui est fondée sur la promesse de Dieu accomplie en Jésus. C’est Lui qui, par le don de l’Esprit Saint, bâtit lui-même son Église de telle sorte que «les portes de la mort ne l’emporteront pas sur elle» (cf. Mt 16,18). C’est Lui qui, par l’Église, sacrement de salut, réalise le «dessein bienveillant» de Dieu (cf. Ep 1,9) qui «veut que tous les hommes soient sauvés» (1 Tm 2,4).

Affermir les fidèles dans l’espérance

Certes, le manque de prêtres appelle une pastorale renouvelée des vocations sacerdotales. Mais celle-ci ne portera des fruits que dans la mesure où cette pastorale est précédée et accompagnée d’une nourriture abondante donnée aux fidèles pour que «se fortifie en eux l’homme intérieur» et pour qu’ils comprennent avec joie que «leur vocation les a appelés à une seule espérance» (Ep 4,4).

L’évêque a donc la mission de travailler à «affermir» la foi des fidèles (cf. Col 2,7; 1 Co 1,6.8). «Fort d’une pareille espérance», il prie et célèbre les sacrements pour eux; il les nourrit de telle sorte que, selon l’expression de Benoît XVI, «l’amitié avec le Fils de Dieu»12 grandisse et habite les cœurs et les familles. Faisant cela, l’évêque, par le sacerdoce qui est le sien, est «serviteur» du Christ ressuscité qui, dans la situation présente de l’histoire, enfante ses frères et sœurs à la vie de «disciples» par le don de l’Esprit. Alors, les chrétiens entrent dans la «vivante espérance» (cf. 1 P 1,3).

La première question de l’évêque est donc la suivante: quels moyens mettre en œuvre dans mon diocèse pour que les fidèles soient ainsi enfantés à la «grande espérance»? Comment leur permettre d’être ainsi «affermis» au milieu d’une société sécularisée? Car cette «vivante espérance» est source du véritable élan missionnaire. Des jeunes, percevant cet élan, comprendront alors pourquoi le Christ les appelle et répondront plus facilement au «suis-moi» qu’ils entendent. Ici, il revient à l’évêque de mettre en place une formation diocésaine, exigeante en temps, où des chrétiens n’apprennent pas d’abord à accomplir une tâche mais où ils entrent peu à peu dans l’intelligence du mystère du Christ et de l’Église non seulement par la lecture de l’Écriture sainte et la réception de la Tradition vivante de l’Église, mais aussi par la prière, les sacrements et la vie fraternelle.

Prêtres pour nourrir l’espérance des chrétiens

Cela nous conduit à une autre réflexion. En effet, le manque de prêtres demande que soient réfléchies les raisons pour lesquelles il est nécessaire qu’il y ait des prêtres: quelle est leur mission sacerdotale dans la condition actuelle de l’Église au sein d’une société devenue «païenne»? Souvent, dans nos diocèses d’ancienne chrétienté, nous risquons de mesurer le manque de prêtres aux besoins d’antan, par exemple au nombre de clochers ou de demandes cultuelles. Mais posons-nous un instant la question: s’il existait des critères objectifs pour affirmer qu’un diocèse manque effectivement de prêtres, quels seraient-ils?

Bien sûr, nous connaissons la pensée du Curé d’Ars: «Enlevez un prêtre d’une paroisse, et les hommes adoreront les bêtes!» Le prêtre et son ministère sont indispensables! Il participe au sacerdoce de l’évêque en étant serviteur du Christ qui choisit et enfante dans l’amour des «disciples» pour la portion de territoire dont le prêtre est le pasteur, la paroisse. C’est pourquoi, l’évêque, loin de se laisser aller à l’inquiétude ou à la récrimination face au manque de prêtres, doit plutôt se demander: que vais-je faire avec les prêtres que Dieu me donne comme «des frères et des amis»13 pour cette Église Particulière où Il m’envoie comme successeur des Apôtres? À quels besoins précis dois-je appeler mes prêtres, aujourd’hui? Pour quels ministères pastoraux vais-je proposer à des jeunes d’écouter le Christ qui leur dit: «suis-moi»?

Il ne s’agit évidemment pas de réinventer le ministère sacerdotal dont les trois fonctions d’enseignement, de gouvernement et de sanctification sont amplement développées par l’Église. Il s’agit plutôt de discerner comment ses fonctions, dans la situation présente de l’Église, pauvre et sans forces, répondent aux besoins de l’évangélisation dans la société actuelle. Des prêtres peuvent être gagnés par la dispersion ou le découragement, ne sachant plus très bien par quel côté aborder leur ministère. Il s’agit donc de revenir aux points essentiels du sacerdoce ministériel, d’en définir les priorités qui en découlent et d’encourager de façon déterminée leurs mises en œuvre.

De même que le plus petit peuple de la terre, guidé par Moïse, a trouvé sa force dans la manne qui vient du ciel et dans l’eau que Moïse a fait couler du rocher, de même l’Église Particulière dont l’évêque est le guide trouvera sa vigueur dans la nourriture «qui vient du ciel» et dont l’évêque, avec ses «coopérateurs» que sont les prêtres, sera le dispensateur. Une première priorité se dessine: le ministère de la Parole. Il est essentiel car les fidèles, vivant dans une société où Dieu est absent, ont plus que jamais besoin de nourriture pour leur foi. Si la prédication du «mystère intégral du Christ, c’est-à-dire ces vérités qu’on ne peut ignorer sans ignorer le Christ lui-même», est la mission la plus éminente de l’évêque, comme le souligne le concile Vatican II14, elle est aussi la mission la plus essentielle du curé de paroisse et des prêtres qui œuvrent avec lui. C’est pourquoi, le prêtre, en suivant en cela la réforme liturgique et selon une «herméneutique de la foi»15, est appelé à ouvrir largement les Écritures aux fidèles de sa paroisse, car «l’ignorance des Écritures, c’est l’ignorance du Christ»16.

De tout cela surgit une nouvelle question pour l’évêque d’un diocèse situé dans une terre profondément évangélisée dans un passé récent: comment aider les prêtres à ne pas se laisser submerger par la demande cultuelle des chrétiens? Ce n’est pas le lieu ici d’analyser cette demande cultuelle selon que ce sont des personnes âgées très croyantes ou des parents qui ne savent plus la signification du sacrement qu’ils demandent. Mais comment permettre aux prêtres de sortir de la seule logique de l’organisation? Comment les encourager à accomplir en priorité leur ministère sacerdotal de «prédication du mystère du Christ» de telle sorte que soit nourrie la foi des chrétiens pratiquants en général et en particulier ceux qui œuvrent dans les divers services paroissiaux, en particulier les catéchistes? Comment ensuite réfléchir avec les prêtres et ces chrétiens actifs pour trouver les moyens de nourrir la foi de ceux qui viennent demander quelque chose à l’Église?

Chrétiens et prêtre, «frères dans le Christ» au sein de la paroisse

En effet, les fidèles laïcs ne sont pas simplement appelés à rendre des services à «Monsieur le Curé», ni à s’engager simplement parce qu’ils constatent que «leur prêtre» ne peut plus tout faire tout seul. Cette attitude ne fait vivre que des «petites espérances».

Les fidèles laïcs sont non seulement appelés à se désaltérer à la source vive de leur Baptême et de leur Confirmation, à se rassasier du «Pain de vie» que sont la parole de Dieu et l’Eucharistie pour grandir dans l’amour du Christ, mais ils ont à découvrir qu’ils ont été gratuitement choisis par Dieu et intégrés au Christ en son corps qui est l’Église. Pour cela, ils doivent être nourris de telle sorte qu’ils ne soient pas fidéistes. C’est ainsi que, dans la société actuelle, ils sauront se «rendre raison» à eux-mêmes et entre eux de leur «grande espérance». Alors, vient en eux l’amour de l’Église, concrètement visible dans leur paroisse et dans leur diocèse. Selon la grâce reçue, ils se sentent conviés à participer à sa mission.

Leur sensus Ecclesiae est nourri de leur relation vivante au Christ et du choix gratuit dont ils sont l’objet. Cela les porte naturellement à porter témoignage du Christ en accomplissant leurs tâches dans les divers services paroissiaux, non pas en s’arrogeant le pouvoir mais en se plaçant sous la conduite de leur curé et en entrant dans l’attitude de service, selon le chemin proposé par Jésus lui-même. Leur curé, quant à lui, exerce sa charge pastorale non seulement en veillant à nourrir sans cesse la foi de ses fidèles afin que demeure vivant en eux le sensus Ecclesiae, mais aussi en rendant grâce pour l’œuvre du Christ qui, par son Esprit, se choisit des «disciples».

Pour le curé, il est essentiel de faire sien chaque jour l’appel «particulier» à la sainteté17, reçu le jour de son Ordination sacramentelle. Il peut alors faire entendre aux chrétiens de sa paroisse en général, et aux chrétiens qui sont acteurs dans les services paroissiaux en particulier, l’appel de Dieu: «soyez saints parce que moi, votre Dieu, je suis saint» (cf. 1 P 1,15-16). Cet appel à la sainteté correspond à «l’un des points centraux de la Constitution dogmatique sur l’Église du concile Vatican II»18.

Dans cet élan du témoignage et dans cet appel à la sainteté, prêtre et fidèles du Christ, chacun dans le respect de sa propre vocation, vivent une authentique fraternité dans le Christ. Ici se réalise l’affirmation du Seigneur: «Vous êtes tous frère» (Mt 23,8). La paroisse est, selon Jean-Paul II, «la famille de Dieu, fraternité qui n’a qu’une âme»19. Cette fraternité découle fondamentalement du fait que chacun se sait gratuitement «choisi» par Dieu pour être intégré au Christ en son Corps qui est l’Église afin d’annoncer l’Évangile aux païens20. Cette fraternité est juste quand elle se vit dans la distinction du sacerdoce ministériel et du sacerdoce baptismal; elle est équilibrée quand elle respecte l’autre distinction entre le mariage et le célibat pour le Royaume; elle procède de Dieu quand elle vivifie l’amour des plus pauvres et du monde dont le Christ est l’unique sauveur; elle s’exprime au plus haut point quand avec le Christ, par Lui et en Lui, les chrétiens et le prêtre disent ensemble le «Notre Père» au cours de l’Eucharistie dominicale. Vivre ainsi en «frères» dans l’amour de Dieu et des hommes au sein de la paroisse est un beau témoignage rendu au Christ.

Formation des ministres ordonnés et des séminaristes

Pour assurer la «prédication du mystère du Christ» dans son diocèse, l’évêque exerce ce ministère dans sa cathédrale et dans les paroisses et les aumôneries qu’il est invité à visiter longuement, mais aussi par les médias du diocèse et par sa présence dans les médias profanes. Ce faisant, il entraîne et conforte ses prêtres dans ce beau et indispensable ministère de la prédication. Il doit envisager leur formation permanente «pour qu’ils ne prêchent pas en vain». Il doit prêter attention à la formation des diacres permanents afin qu’ils sachent lire l’Écriture et en exposer le «sens spirituel» aux fidèles. Il doit être particulièrement attentif aux séminaristes, même et surtout s’ils ne sont pas nombreux, afin qu’ils bénéficient d’une solide formation qui mette en œuvre de façon précise l’enseignement du concile Vatican II dans sa constitution Dei Verbum, en particulier son n. 12 et son n. 24 où nous lisons ces propos: «La sainte Écriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger» et «que l’étude de l’Écriture soit l’âme de la théologie sacrée». Pour mieux accomplir cette formation au ministère de la Parole, l’enseignement de Benoît XVI dans l’Exhortation Verbum domini est précieux. Par cette formation, le presbyterium, avec les diacres, est conduit peu à peu à dire de concert avec l’évêque du diocèse: «forts d’une pareille espérance, nous sommes pleins d’assurance».

De fait, la formation des prêtres, des diacres et des séminaristes est une priorité. C’est là que l’évêque doit s’engager s’il veut que la foi des fidèles soit nourrie, qu’ils entrent ainsi dans la «grande espérance» et deviennent des «témoins». Dans des situations de manque de prêtres, l’évêque, en œuvrant selon cette priorité, doit avoir conscience qu’il investit dans la formation pour un fruit qu’il ne verra pas et dont bénéficiera son successeur. Il sème quand un autre récoltera.

Estimer le célibat pour le Royaume

Ajoutons un autre point qui découle de l’humilité vivante dont j’ai parlé. Israël est le peuple consacré à Dieu, le «serviteur» «mis à part». S’il semble qu’Élie soit resté vierge, prophète consacré à Dieu, c’est Israël lui-même qui a une vive conscience d’être consacré à Celui qui l’a choisi (cf. Dt 7,6; Ez 37,28). Conformément à cet héritage, l’Église a toujours tenu en grande estime le célibat pour le Christ, comme en témoignent sa Tradition vivante, appuyée sur les Évangiles (cf. Mt 19,12), et saint Paul lui-même (cf. 1 Co 7,7).

Loin d’être une discipline ecclésiastique imposée, le célibat est pour le prêtre la réponse libre qu’il donne dans l’amour à l’appel particulier et gratuit du Christ. Jean-Paul II l’a rappelé dans son Exhortation Ecclesia in Europa: «Le célibat n’est pas une simple discipline ecclésiastique imposée par l’autorité; au contraire, il est avant tout une grâce, un don inestimable de Dieu pour l’Église, valeur prophétique pour le monde actuel, don de soi dans le Christ pour son Église, source de vie spirituelle intense et de fécondité pastorale, témoignage du Royaume eschatologique, signe de l’amour de Dieu envers ce monde en même temps que signe de l’amour sans partage du prêtre envers Dieu et envers son peuple»21. Le Pape polonais précise: «le célibat sacerdotal prend un relief particulier comme signe d’une espérance fondée totalement sur le Seigneur».

Fidèle à la «grande espérance», l’évêque porte cette question: comment former les prêtres de mon diocèse pour qu’ils grandissent tous dans l’estime du célibat? Comment les aider à faire naître ou renaître cette estime dans les paroisses? Comment cela est-il enseigné dans la catéchèse? L’estime pour ce célibat découle du «sens de Dieu» et de la gratuité absolue de son Amour. C’est pourquoi, l’action pastorale pour que soit retrouvé le «sens de Dieu» est donc aussi une priorité pour l’évêque. De ce sensus Dei, naît la conviction intime et heureuse que Dieu appelle et qu’il appelle à la consécration. Heureux le diocèse qui manque de prêtres, mais dont tous les prêtres, les diacres et la plupart des chrétiens actifs sont habités par cette intime et joyeuse conviction!

Sans ce «sens de Dieu», la pastorale des vocations se heurtera toujours à d’immenses difficultés. Le souci prioritaire des vocations ne vient pas d’une inquiétude sur le manque de prêtres mais de la «grande espérance» des «disciples» qui connaissent la gratuité de l’amour de Dieu et de son appel. L’évêque, «fort d’une pareille espérance», agit pastoralement pour que l’Amour gratuit qui appelle soit entendu et reçu, et pour qu’une libre réponse lui soit donnée. Ce souci-là des vocations est, selon le cardinal Jean-Marie Lustiger, le «test» pour évaluer si le diocèse reconnaît dans la foi la gratuité du choix de Dieu dont il est l’objet22, c’est-à-dire en définitive s’il vit dans la «grande espérance».

II La perspective de l’évangélisation

Tout ce qui a été dit précédemment nous oriente vers l’évangélisation, c’est-à-dire l’annonce de la «grande espérance». C’est en effet l’évangélisation dans la société actuelle qui nous permet de trouver la vraie mesure du nombre de prêtres.

En effet, avons-nous besoin de prêtres pour assurer seulement le maillage du territoire paroissial de notre diocèse? Les prêtres sont-ils simplement là pour répondre à la demande cultuelle des chrétiens qui, pour la plupart d’entre eux, ont une foi si pauvre qu’ils ne comprennent plus le sacrement que, pourtant, ils demandent?

Ou bien avons-nous besoin de prêtres pour participer, selon leur vocation spécifique et irremplaçable, à la mission d’évangélisation de l’Église dans la société actuelle? Les prêtres ont la mission d’être serviteurs du Christ qui enfante et rassemble les chrétiens, ses «témoins». Ils accomplissent ce service en leur annonçant le mystère de Dieu et en célébrant l’Eucharistie pour eux afin que leur foi et leur espérance soient fermes, de telle sorte que, chacun selon sa vocation de baptisé et de confirmé, ils participent activement à la mission d’évangélisation de l’Église.

D’une certaine manière, deux options s’ouvrent à nous: soit nous continuons à gouverner le diocèse en nous appuyant sur le même système d’organisation pastorale et en élargissant simplement les frontières des paroisses de telle sorte qu’il y ait toujours un curé dans chaque paroisse. Soit nous inscrivons la pastorale paroissiale dans la dynamique de la «nouvelle évangélisation». La première méthode a vite montré ses limites: dans mon diocèse, l’Archevêque précédant a érigé 82 nouvelles paroisses le 1er janvier 2003. Le diocèse est donc passé de 370 à 82 paroisses. Aujourd’hui, il n’y a pas assez de prêtres pour que chaque paroisse ait un curé.

Il fallait certainement faire une réduction du nombre de paroisses. En effet, la mobilité des habitants et leur regroupement dans des bourgs ne rendent plus nécessaire que chaque clocher corresponde à une paroisse. Cependant, le motif apparent de cette réduction fut bien souvent la diminution du nombre de prêtres, qui a imposé des dimensions différentes à une organisation, laquelle demeure fondamentalement la même. La réduction du nombre de paroisses n’a-t-elle pas une autre motivation beaucoup plus profonde? Ne peut-elle pas trouver sa vraie signification en étant accompagnée, voire précédée, d’une orientation résolue vers la «nouvelle évangélisation» à laquelle le Magistère ordinaire de l’Église nous appelle? Ce n’est, me semble-t-il, que dans ce cadre qu’il apparaît possible d’envisager la vie des paroisses quand il manque de prêtres dans un diocèse.

Dans cette perspective, l’évêque et son presbyterium ne se situent plus dans une «réduction», mais dans une nouvelle manière de vivre la pastorale paroissiale et le ministère sacerdotal. Il est d’ailleurs dangereux de rester dans la perspective de la «réduction». Cela stérilise toute vocation sacerdotale car nous finissons par penser que notre Église Particulière n’existera qu’avec moins de prêtres et, sans nous en rendre compte, nous l’organisons et nous la faisons vivre en fonction de cette diminution et non en vertu de sa mission essentielle: l’évangélisation23! La «grande espérance», fondée sur le Christ et la promesse de Dieu, fait entrer avec «assurance» dans l’évangélisation. D’une part, cela appelle les prêtres à rassembler au nom du Christ leur communauté paroissiale pour que, fortifiée par l’Eucharistie dans l’amour et l’unité, elle soit elle-même missionnaire. D’autre part, cela invite les prêtres à être des pasteurs qui accompagnent les chercheurs de Dieu en nourrissant leur foi et leur espérance et en les conduisant peu à peu au Baptême et à l’Eucharistie, selon l’épisode de l’évangile des disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24,13-35). Le concile Vatican II semble l’enseigner clairement quand, après un développement sur le ministère sacerdotal, il affirme: «On voit donc alors comment l’Eucharistie est bien la source et le sommet de toute évangélisation»24.

L’Eucharistie manifeste d’une certaine manière la nature de la «nouvelle évangélisation». L’Écriture sainte y est partagée de telle sorte que le prédicateur, passant du «sens littéral» des textes scripturaires qui ont été lus au «sens spirituel»25, permet aux fidèles rassemblés d’entrer plus profondément dans «la vie dans l’Esprit» et de «rendre raison» de leur espérance en découvrant toujours mieux le visage de Dieu: le Père manifesté en Jésus. Dans le même temps, il leur est aussi «dévoilé» tout ce qui, par la grâce de Dieu, est juste et saint en eux: ils sont fils bien-aimés. L’homélie participe au grand mouvement de l’Écriture sainte: elle est une «apocalypse», c’est-à-dire un dévoilement de la grâce du salut à l’œuvre aujourd’hui. C’est dans ce dévoilement que les fidèles entendent avec joie l’appel à la conversion sur le chemin de la sainteté. Les fidèles connaissent alors qu’ils ont «accès» au Père, dans le Christ, par l’Esprit (cf. Ep 2,18). Ils connaissent aussi que par leur offrande sacerdotale, unie à celle, unique, du Christ, les hommes, leurs contemporains, ont aussi «accès» au Père des Cieux. Les chrétiens entrent ainsi dans la «grande espérance» des enfants de Dieu, eux qui, poussés par l’Esprit, crient «Abba, Père» (cf. Rm 8,15). L’Eucharistie les place sur la seule voie où la transcendance a un nom et un visage: le Père des Cieux, révélé par Jésus qui nous entraîne «vers son Père et notre Père» (cf. Jn 20,17). Or, tel est le but de la «nouvelle évangélisation»: redonner un nom et un visage à la transcendance, qui fassent entrer dans la «grande espérance».

L’homélie est le lieu emblématique de toute parole qui, annonçant le mystère de Dieu pleinement manifesté en Jésus-Christ, met en œuvre la raison humaine. Car cette parole doit «rendre raison» de la «grande espérance» (cf. 1 P 3,15). Quel que soit l’espace où cette parole est ensuite prononcée, elle sait alors rejoindre les aspirations des hommes que la communauté paroissiale a la mission d’évangéliser. Il est évident que ces aspirations s’expriment différemment selon que la paroisse est en milieu rural ou dans une grande cité urbaine. Cependant, elles jaillissent toujours du désir du vrai, du bien et du beau, inscrit dans tous les cœurs. C’est pourquoi, comme l’a souligné Jean-Paul II, il s’agit, par la raison, d’«approfondir les dimensions du vrai, du bon et du beau auxquelles donne accès la parole de Dieu»26. Cette parole est à prononcer par la communauté paroissiale et par les chrétiens en leur lieu de vie et de travail.

Dès lors, revient à l’évêque la mission suivante: comment former les prêtres et les chrétiens pour qu’ils sachent discerner les aspirations au vrai, au bon et au beau chez leurs contemporains au sein d’une culture technicienne et sans horizon? Sans ce discernement, ne courent-ils pas le risque en effet de parler en vain? Comment leur apprendre à «rendre raison» de leur espérance?

Dans un diocèse où il manque de prêtres, il s’agit donc de quitter la perspective d’une diminution du nombre de prêtres, pour choisir celle de l’évangélisation. Certes, cette perspective est réaliste et prend en compte le presbyterium tel qu’il est, mais elle s’appuie sur la foi en l’Esprit Saint, «âme» de l’Église Particulière27, pour que celle-ci accomplisse sa mission d’évangélisation: «rendre raison» de l’espérance chrétienne, la «grande espérance», aux yeux des habitants du diocèse. Dans ce monde emprisonné par la raison scientifique et par l’aveuglement sur l’homme et sur sa «condition corporelle», les chrétiens font briller la lumière de la liberté, celle des enfants bien-aimés de Dieu qui ont en vérité «accès» au Père des Cieux. Ils témoignent alors que le monde, avec les découvertes scientifiques que l’homme y fait, est habité par une sagesse et enveloppé par un amour.

III Pistes pour une organisation pratique

La «grande espérance» qui ne trompe pas fait entrer dans la perspective de l’évangélisation. Mais comment cette perspective peut-elle inspirer des décisions pratiques d’organisation dans un diocèse où il manque de prêtres?

Je voudrais ouvrir simplement deux pistes: la vie des prêtres en équipes fraternelles; le «pôle eucharistique».

La vie fraternelle selon l’Évangile est au cœur de la «nouvelle évangélisation». En effet, face à l’individualisme ambiant qui découle de l’oubli de Dieu, l’Église a la mission de susciter les liens fraternels dans le Christ. Or, le sacerdoce ministériel est en lui-même fraternel, comme le montre le rite d’imposition des mains. On parle d’une «fraternité sacramentelle». Celle-ci doit pouvoir s’exprimer dans une fraternité de vie, de prière et d’engagement pastoral. C’est pourquoi l’évêque travaille pour que les prêtres entrent dans cette vie fraternelle qui est évangélique. Plutôt que de nommer des prêtres de façon isolée dans chaque paroisse, n’est-il pas plus juste de susciter des équipes de trois prêtres qui établiront une charte de vie fraternelle précisant la manière de prier ensemble, de partager ensemble sur un texte de l’Écriture sainte ou de la Tradition vivante de l’Église, de porter ensemble la tâche pastorale? À la prière commune des prêtres peuvent se joindre des fidèles de la paroisse. Comme l’autorise le Code de droit canonique, un prêtre peut être curé de plusieurs paroisses28. Cette ouverture du Droit canon permet de réaliser ces équipes fraternelles de prêtres. Le témoignage qu’elles rendent est évident. On se souvient de l’exclamation: «voyez comme ils s’aiment!» La fraternité sacerdotale contribue à susciter la fraternité évangélique dans la paroisse qui en devient rayonnante.

La vie sociale s’organise en pôles où les habitants convergent pour leur travail, leurs activités ordinaires, ou pour leurs études. Il s’agit de repérer ces pôles, ce qui est plus ou moins facile selon que la partie du diocèse est dans le monde rural ou dans une agglomération grandissante. Le repérage étant fait, il est alors possible de mettre sur ce pôle social un «pôle eucharistique» où l’Eucharistie dominicale devient un lieu de rassemblement heureux pour les familles. Là, une équipe fraternelle de prêtres, avec le curé parmi eux, partage la charge pastorale. Certains chrétiens, après une formation adaptée et exigeante portant sur l’être chrétien et ecclésial, peuvent recevoir une mission plus particulière: animer la communauté chrétienne d’un village située sur le territoire de la paroisse liée à ce «pôle eucharistique». Un «pôle eucharistique» peut être identique à une seule paroisse ou regrouper plusieurs paroisses. Cela dépend de l’histoire des lieux et des personnes. Ne pas changer les frontières des paroisses, c’est parfois permettre aux chrétiens d’assumer leur responsabilité dans l’animation de leur communauté chrétienne paroissiale. L’avantage de penser les «pôles eucharistiques» consiste à faire reposer le témoignage rendu au Christ sur la force et la grâce reçues par le rassemblement eucharistique de la Messe dominicale.

Dans le fond, le «pôle eucharistique» est le lieu de l’«assurance» paulinienne parce que la «grande espérance» y est reçue et vécue: elle est l’espace où chacun peut grandir, selon ses questions, son histoire plus ou moins blessée, ses «petites espérances» et ses joies. La «grande espérance» est l’«assurance» pour l’amour fraternel, pour la réponse joyeuse à sa vocation dans le mariage, la vie consacrée ou le sacerdoce, et aussi pour le chemin vers la sainteté. C’est sans doute à la constitution progressive et patiente de tels «pôles eucharistiques», déterminés par le nombre de prêtres et par la sociologie de son diocèse, que l’évêque est appelé à travailler pour que l’«Évangile de Dieu» soit encore annoncé.

Notes de bas de page

  • * Conférence donnée aux nouveaux évêques à Rome, le 12 septembre 2011, à l’invitation du cardinal Ouellet, Préfet de la Congrégation pour les évêques, qui avait proposé le titre donné ci-dessus.

  • 1 Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum concilium, n. 42.

  • 2 Concile Vatican II, Décret Apostolicam actuositatem, n. 10.

  • 3 Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 26.

  • 4 Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Europa (28 juin 2003), n. 15.

  • 5 Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium, n. 11; Constitution Sacrosanctum concilium, n. 10.

  • 6 Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 26.

  • 7 Décret Ad gentes, n. 5.

  • 8 Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Pastores gregis (16 octobre 2003), n. 3.

  • 9 Benoît XVI, encyclique Spe salvi (30 novembre 2007), n. 10.

  • 10 Ibid., n. 2. Voir Charles Péguy: «la foi que j’aime, dit Dieu, c’est l’espérance».

  • 11 Cf. ibid., n. 3, 27, 30, 31: «Encore une chose: nous avons besoin des espérances — des plus petites ou des plus grandes — qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul, qui embrasse l’univers et qui peut nous proposer et nous donner ce que, seuls, nous ne pouvons atteindre».

  • 12 Benoît XVI, homélie du 24 avril 2005.

  • 13 Décret Presbyterorum ordinis, n 7.

  • 14 Décret Christus Dominus, n. 12.

  • 15 J. Ratzinger-Benoît XVI, Jésus de Nazareth. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Éditions du Rocher, 2011, p. 9.

  • 16 Constitution dogmatique Dei Verbum, n. 25. Voir à ce sujet Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini (30 septembre 2010), n. 30 et 73.

  • 17 Cf. concile Vatican II, Décret Presbyterorum ordinis, n. 12.

  • 18 Voir le rappel qu’en fait Jean-Paul II dans l’Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in America (22 janvier 1999), n. 30.

  • 19 Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici, n. 26, qui cite la Constitution Lumen gentium, n. 28.

  • 20 À ce sujet, on lira avec profit Joseph Ratzinger, Frères dans le Christ, Cerf, Paris, 2005.

  • 21 Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Europa (28 juin 2003), n. 35.

  • 22 Voir card. J.-M. Lustiger, «Le Pasteur du diocèse, premier responsable des vocations», dans Seminarium, juillet-décembre 1982, p. 613.

  • 23 Voir Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 14; Jean-Paul II, Encyclique Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 62.

  • 24 Concile Vatican II, Décret Presbyterorum ordinis, n. 5.

  • 25 Voir Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Verbum domini (30 septembre 2010), n. 33.

  • 26 Jean-Paul II, Encyclique Fides et ratio (14 septembre 1998), n. 103.

  • 27 Voir concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium, n. 7.

  • 28 Voir Code de Droit Canonique, canon n. 526.

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