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La vida monástica hoy: ¿del retiro a la acogida del mundo ? Danièle Hervieu-Léger, Le temps des moines. Clôture et hospitalité (2017)

Réginald-Ferdinand Poswick o.s.b.
He aquí un libro consistente : ¡volumen y densidad! La autora nos entrega la interpretación que hace de las encuestas que llevó a cabo en los monasterios benedictinos y cistercienses de la Europa francófona para intentar captar las evoluciones de estas comunidades desde su fundación o refundación a finales del siglo XIX (…)

À propos de

D. Hervieu-Léger, Le temps des moines. Clôture et hospitalité, Paris, PUF, 2017, 15x22, 712 p., 27 €. ISBN 978-2-13-078652-8.

Voici un fort livre : volume et densité ! Danièle Hervieu-Léger nous livre l’interprétation qu’elle donne aux enquêtes qu’elle a menées auprès des monastères bénédictins et cisterciens d’Europe francophone pour tenter de saisir les évolutions de ces communautés depuis leur fondation ou refondation à la fin du xixe siècle !

Restaurer, par le monachisme et la liturgie, l’unité autour de l’Église catholique romaine

Les chapitres 1 et 2 décrivent la trajectoire des principaux restaurateurs bénédictins du monachisme en France : Dom Guéranger pour Solesmes, le père Jean-Baptiste Muard pour la Pierre-qui-Vire et le père Emmanuel André pour Mesnil Saint-Loup. Trois fondateurs « sacerdotaux » et dont la visée était celle d’une restauration socio-culturelle de l’Église catholique dans son unité et en son système hiérarchique et romain, au-delà des secousses provoquées par la Révolution française. La liturgie va devenir l’outil d’une ré-unification autour du Pontife romain, gage de l’unité catholique.

La mentalité de ces restaurations, avec des nuances spécifiques diverses, tendait à faire de l’Abbé du monastère un chef unique de communauté à l’instar des évêques, comme le montre le chapitre 3.

Ces restaurations portent également la marque d’une conception très « sacrificielle » de l’ascèse à l’exemple des détachements et mortifications mis à l’honneur par l’Abbé cistercien de Rancé, le modèle trappiste et doloriste de l’ascèse devenant l’utopie eschatologique qui servira de guide au monachisme réformé (chap. 4).

L’Église, Peuple de Dieu, en quête d’unité œcuménique

Si la pureté de la liturgie latine et de son chant grégorien sont également une expression utopique de cette volonté de restaurer l’unité de l’Église catholique romaine (chap. 5), cette restauration sera assez rapidement dépassée par le « mouvement liturgique » initié par un moine du Mont-César (Dom Lambert Beauduin, Louvain) à partir de 1909 avec l’appui des monastères belges restaurés dans la tradition allemande des bénédictins de Beuron qui fondèrent l’abbaye de Maredsous dont le Mont-César était déjà une fondation ! Cette quête d’une liturgie pour tout le peuple chrétien ne serait pas limitée à la virtuosité d’une élite ; elle mènera peu à peu à des questionnements sur la vision guérangérienne et solesmienne des restaurations monastiques récentes.

Cette brèche créée par le mouvement liturgique entraîne, selon l’auteure qui suit ici le parcours biographique de Dom Lambert Beauduin, la réflexion et le mouvement qui mèneront, entre les deux guerres, à la fondation œcuménique d’Amay-Chevetogne, tandis que, parallèlement, le père Emmanuel André préfigurait aussi une ouverture œcuménique pour le Peuple de Dieu tel qu’il le formait dans son système paroissial communautaire à Mesnil-Saint-Loup (chap. 6). Sans oublier la naissance parallèle de l’aventure protestante de Taizé, fortement influencée par le charisme de l’abbé Couturier, créateur de la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens.

Selon l’auteure, ces évolutions liturgiques et œcuméniques auraient été les déclencheurs d’un changement de vision ecclésiologique dans la plupart des monastères étudiés, une évolution qui sera puissamment confirmée et accélérée par le concile Vatican ii.

Du retrait élitiste à la communauté chrétienne de base

En effet, d’un monachisme caractérisé par le « retrait du monde » (chap. 7) et par une conception rigide de la « clôture » décalquée, pour l’ensemble du monde monastique, sur les règles moyenâgeuses mises en place surtout pour les monastères féminins, on va graduellement passer à une conception plus « hospitalière » et « accueillante » de la clôture… en attendant sa mise en question directe par des évolutions comme celles des moyens actuels de télécommunication (Internet, etc.) !

Cette situation va créer des tensions internes dans l’évolution de la plupart des monastères bénédictins et cisterciens de la zone francophone européenne. Comment résoudre cette « double éthique » : être du monde et en être séparé ?

Deux expériences différentes mais contemporaines et significatives vont tenter de proposer des solutions à ce malaise entre 1950 et 1970. À savoir : les tentatives de réforme monastique d’Olivier du Roy, abbé de Maredsous de 1968 à 1972, d’une part, et la recherche d’un nouveau type de communion d’Église inspirée par le monachisme autour de Bernard Besret à Boquen, d’autre part. La réinvention du monachisme devient, à travers ces deux essais, une façon de réformer l’Église de l’intérieur. Aucune des deux tentatives n’aboutira (chap. 8). Elles laisseront même ceux qui n’auront pas quitté la vie monastique à l’occasion de ces recherches dans une situation de délabrement dont ils ne sont pas vraiment sortis à l’heure des conclusions de l’enquête présentée ici !

Cela veut-il dire que ce monachisme, restauré depuis plus d’un siècle et demi, est condamné à disparaître ? Les chiffres de la démographie monastique en Europe francophone soulignent une décroissance et un manque de recrutement généralisés (chap. 9), et cela malgré un flot de vocations en provenance de familles catholiques traditionnelles ou des mouvements de jeunesse catholiques, très faible, il est vrai !

Succès de l’élitisme ou présentation d’un style de vie chrétien?

Il faut alors s’interroger, en contre-point, sur l’« énigme des traditionalistes » : 5 monastères bénédictins qui recrutent au prix d’une stricte discipline de clôture et d’un attachement inconditionnel à la liturgie latine grégorienne et préconciliaire, et un monastère cistercien (Sept-Fons) dont le recrutement est lié à l’influence persistante d’une personnalité charismatique (le père Jérôme) et à l’influence personnelle qu’il a pu avoir sur deux générations de moines (chap. 10).

Pour l’auteure qui a longuement interrogé Abbés et moines d’une trentaine de monastères bénédictins et cisterciens masculins, la seule « utopie » monastique dans laquelle elle croit trouver une actualisation positive crédible de ce mode de vie, semble être la tradition d’hospitalité de ces lieux qui demeurent – pour combien de temps encore ? et pour combien d’entre eux ? – des hauts lieux de référence pour les catholiques et pour un large échantillon de la population (chap. 11). Des trappistines ont eu le courage d’abandonner certains sites aux traditions séculaires pour se regrouper en un seul lieu. Plus que des forteresses réservées à une élite, les monastères pourraient avoir comme vocation de révéler à leur environnement et au monde un certain « style » chrétien !

Le temps du moine : au-delà des temps !

Après avoir rappelé les propos désabusés d’un moine de la Pierre-qui-Vire interviewé : « Le risque principal que nous courons… c’est celui de l’affadissement : celui de devenir des communautés de vieux garçons pieux vivant gentiment entre eux ! » (p. 682), D. Hervieu-Léger rappelle, en guise d’épilogue, que le début de la phase active de son enquête, en 2010, a coïncidé avec la sortie du film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, dont l’écho dans presque tous les monastères visités fut unanime à reconnaître non seulement l’excellente représentation de la vie monastique, mais également, dans le sort tragique des moines de Tibhirine, une réalisation exemplaire de l’« utopie » monastique : présence fraternelle et charitable en un lieu du monde dans une solidarité soutenue par la prière et une persévérance jusqu’à la mort témoignant de l’aspect « eschatologique » de l’entreprise monastique, un aspect souvent rappelé dans l’analyse des motivations théologiques des restaurations du xixe siècle dont vivent encore les monastères !

Mais, pour revenir au titre même donné par l’auteure à sa très large enquête et réflexion sociologique, on pourrait citer le passage suivant :

Ni la description historique, ni le repérage juridique, ni l’enquête philologique, ni la construction sociologique ne permettent donc de rassembler les éléments d’une définition convaincante du monachisme chrétien, en tant que tel. Mais ce tour d’horizon permet d’étayer l’hypothèse selon laquelle le « monachisme » n’existe que dans et par le récit de la continuité qui le place hors d’atteinte des aléas de l’histoire. Le terme « monachisme » ne définit pas, par lui-même, un état religieux spécifique. Mais il atteste, dans l’immuabilité même qu’il revendique au regard de cette histoire, de l’incommensurabilité du temps chrétien au temps changeant du monde.

(p. 120)

Questions à la sociologue, questions pour les temps à venir

Pour commenter critiquement cette somme sociologique, il faudrait alléguer une compétence supérieure en histoire, philologie, droit, sociologie ou théologie. Mais je serais tenté de suggérer à l’auteure que l’accent mis sur l’« œcuménisme » pour caractériser l’ouverture progressive des monastères au « monde » pourrait faire croire à une évolution purement interne et de caractère « ecclésial », voire « ecclésiastique ». D’autres facteurs ont été, à notre avis, encore plus déterminants. Je les regrouperais volontiers sous le terme « démocratisation ». Et là, deux grands facteurs ont joué : d’abord les solutions à donner au grand malaise venant d’une prise de conscience par les cisterciens d’Amérique du Nord, de communautés soi-disant chrétiennes qui juxtaposent en leur sein des « moines de chœur » aux diplômes d’humanités gréco-latines et des « frères convers », parfois bien plus qualifiés et humainement plus mûrs mais qui n’ont pas « voix au chapitre » ; ensuite, une démocratisation générale des candidatures à la vie monastique (milieu d’origine, études, styles de vie, camaraderie des « camps » et des « scouts »), spécialement dans la vague des vocations qui ont suivi la seconde guerre mondiale. Le concile Vatican ii encouragera une « égalité » fraternelle plus chrétienne à l’intérieur des communautés monastiques et les profils plus « réalistes » et « mondains » (au meilleur sens du mot) de beaucoup de moines entrés au monastère entre 1945 et 1965 tourneront beaucoup de communautés vers une attention à leur environnement humain… en attendant que l’explosion des TIC (technologies de l’information et de la communication dont parle Danièle Hervieu-Léger aux p. 419-429) ne vienne encore bouleverser de l’intérieur l’ordre « restauré » il y a plus de 150 ans.

L’essentiel de l’enquête et de ses conclusions ne va d’ailleurs pas bien loin dans ce « temps »-là… et pour cause : ces derniers bouleversements questionnent l’humanité ! La vie monastique peut-elle l’aider à trouver des réponses ?

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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