Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Pierre réconcilierait-il Luc et Jean?

Marc Rastoin s.j.
Les points de contact entre les évangiles de Luc et de Jean ont été relevés depuis longtemps et ont intrigué les biblistes. Diverses tentatives ont essayé d'en rendre compte par le biais d'hypothèses touchant à l'histoire rédactionnelle des deux textes et à leurs liens littéraires éventuels. Aucun consensus ne s'est vraiment imposé! Ceci témoigne d'un certain essoufflement de pareil angle d'approche, pourtant nécessaire. Mettre en lumière les ressemblances proprement théologiques, révélant les soucis communs des deux évangélistes, peut éclairer le moment ecclésial de leur écriture. Le traitement de la figure de Pierre le montre au premier chef.

Depuis les temps patristiques, les points de contact entre l’évangile de Luc et celui de Jean ont été relevés. Des épisodes communs comme la pêche miraculeuse (Lc 5 et Jn 21), des personnages communs (Marthe et Marie) et des façons analogues de présenter certains épisodes (Satan et Judas ; Lc 22,3 et Jn 13,27)1 tissent des liens particuliers entre l’un des synoptiques et la tradition johannique. Cette situation a suscité de nombreux travaux qui ont eu comme principal objectif de répondre à la question suivante : est-ce Jean qui a emprunté certains passages à Luc ou le contraire? Luc est-il vraiment plus ancien que Jean? Nous reviendrons brièvement sur les derniers travaux qui ont abordé la question sous l’angle généalogique en termes d’histoire des sources. La conclusion qui s’en dégagera tend à montrer qu’il semble impossible de trancher avec certitude sur la base des indices textuels.

Nous étudierons la question en trois temps. Quels sont les points effectifs de contact entre Luc et Jean? Quelles explications ont été proposées pour rendre compte de ces analogies? Que nous disent ces parallèles sur le moment théologique de la rédaction (finale) de chaque évangile ? L’histoire rédactionnelle de ces deux évangiles sera traitée plus rapidement afin de laisser place à une étude plus fouillée des analogies théologiques qui les rapprochent. Nous nous proposons en effet d’aborder cette dernière et délicate question à partir de la constitution du canon et des préoccupations théologiques que les deux évangiles traduisent. C’est alors qu’un personnage nous offre une piste intéressante : Pierre. Nos deux évangélistes ont un point commun particulièrement net : bien que tous deux se revendiquent en premier lieu (plus ou moins implicitement) d’un autre apôtre — Jean, (ou ‘le disciple que Jésus aimait’) dans le cas de l’évangéliste Jean, et Paul, dans le cas de l’évangéliste Luc — ils donnent une place éminente à Simon-Pierre : Pierre dans son rôle ecclésial de premier parmi les pasteurs. Sur cette base, on peut faire l’hypothèse que Luc et Jean témoignent d’un moment identique dans l’histoire de leur communauté ecclésiale d’origine : celui de l’intégration dans la ‘grande Église’ placée sous le patronage de Pierre et de sa tradition. Tous deux ont renforcé le poids ecclésial de Pierre de façon analogue. En valorisant un Pierre responsable de la totalité de l’Église et aussi un Pierre en mesure de reconnaître la légitimité du parcours des autres apôtres, Luc et Jean ont pu faire reconnaître la légitimité de leur tradition propre, paulinienne et johannique, toutes deux contestées alors par bien des chrétiens. Les moyens choisis sont différents. Luc est en quelque sorte plus subtil, en utilisant abondamment son deuxième livre, les Actes, pour souligner la continuité entre Pierre et Paul (cf. par exemple Ac 15,7-11 où Pierre parle de la grâce de Dieu à la façon de Paul). Jean, lui, est plus direct en composant un solennel chapitre 21 qui met en scène Pierre de façon à reconnaître dans le même temps la légitimité des communautés johanniques — « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi » (Jn 21,22) — et la primauté pétrinienne. Tous deux témoignent du moment où se constitue le canon des évangiles. Si la question de l’histoire rédactionnelle des traditions demeure pertinente, et nécessaire, elle doit aussi faire place à une étude théologique pouvant permettre de localiser les deux évangiles dans la trajectoire historique des premières communautés chrétiennes, en étant attentif à l’enjeu interecclésial que révèle leur rédaction2.

I Les analogies littéraires entre Luc et Jean

Les points de contact entre les deux évangiles sont de natures très diverses. Il y a le plus évident : les proximités impressionnantes entre la pêche miraculeuse de l’appel des disciples en Lc 5 et celle liée à l’apparition de Jésus ressuscité en Jn 21. Il y a des cas plus délicats où des personnages communs apparaissent, tels Marthe, Marie et Lazare, mais dans un contexte narratif différent : Lazare est un pauvre mendiant sans relation de parenté avec les deux sœurs d’un côté et leur frère de l’autre. C’est pourquoi certains auteurs se demandent si des traditions orales n’auraient pas circulé de façon indépendante aboutissant à des choix d’écriture très différents. D’autres parallèles portent sur des formulations à des endroits précis du récit : Satan entre en Judas au moment du dernier repas et il est fait mention explicite d’une apparition de Jésus ressuscité à Simon. Certains passages sont si proches qu’ils ont été à l’origine des théories justifiant une connaissance précise du texte de l’un par l’autre. C’est ainsi que de nombreux points communs émaillent le récit de la course au tombeau au matin de Pâques, notamment Lc 24,12 qui ressemble beaucoup à Jn 20,3-10 (« présence de Pierre, course au tombeau, usage du participe παραϰύψας, ‘ayant regardé en se penchant’, du présent historique βλέπει, ‘il voit’, contemplation des ὀθόνια, ‘des bandes’ »)3. Ces parallèles font en sorte que ce passage, tout comme celui de la pêche miraculeuse, a suscité un fort débat4. D’autres éléments sont par ailleurs plus ténus et discutés. Les deux évangélistes font mention d’une femme versant quelque chose sur le corps de Jésus (les pieds ou la tête), qu’elle essuie avec ses cheveux. Chez Luc, cependant, il s’agit d’une pécheresse anonyme (7,38), tandis que chez Jean il s’agit de Marie de Béthanie, sœur de Lazare (Jn 11,2 ; 12,3)5.

Un tableau peut aider à voir clairement les principaux parallèles67891011 :

Éléments en commun Luc Jean 1. Une ‘pêche’ miraculeuse avec Simon-Pierre 5,1-11 21,1-11 2. Les disciples ‘voient la gloire’ de Jésus 9,32 1,14 3. Deux femmes, ‘Marthe et Marie’, connaissent Jésus 10,38-42 11,1b 4. Introduction d’un personnage appelé ‘Lazare’7 16,20 11,1a 5. Lors de la Passion, ‘Satan entre en Judas’ 22,3 13,27 6. Le débat sur le ‘service’ est introduit dans la Cène, à ‘table’8 22,26-27 13,14-16 7. ‘L’oreille droite’ d’un serviteur est coupée 22,50 18,10.26 8. Le tombeau est décrit comme ‘n’ayant abrité personne’ 23,53 19,41 9. Pierre ‘court’. Au tombeau, il ‘voit les linges’ 24,12 20,4.6 10. Jésus ressuscité au milieu d’eux montre ses mains 24,36.39 20,19.20.27 11. Jésus ressuscité donne ‘la paix’ à ses disciples 24,36 20,19 12. Jésus ressuscité partage du ‘poisson’ avec ses disciples 24,42 21,13 13. ‘L’Ascension’ de Jésus est évoquée 24,51 6,629 14. L’Esprit Saint donné par Jésus est décrit comme ‘vent’ Ac 2,2 3,810 15. Les disciples témoignent de ce qu’ils ont ‘vu et entendu’ Ac 4,20 Jn 3,3211

À ces éléments-là, déjà parlants, d’autres, plus ou moins significatifs, peuvent être ajoutés :

Éléments en commun Luc Jean 1. Jésus est appelé ‘fils de Joseph’ 3,23 1,45 2. Bethléem est appelée ‘cité de David’ 2,4 7,42 3. La question des foules sur la ‘messianité’ de Jean Baptiste 3,15 1,20 4. Le ministère de Jean semble plus itinérant 3,3 1,28 5. Jésus est qualifié de ‘sauveur’ 1,69 ; Ac 5,31 4,42 6. Jésus opère ‘une’ multiplication des pains (non deux) 9,10-17 6,1-15 7. Jésus accomplit la prophétie de Dt 18,15 Ac 3,22 5,46 ; 6,14 8. L’expression ‘mon royaume’ est utilisée par Jésus 22,30 18,36 9. Une double question sur la messianité/ filiation de Jésus 22,67.70 10,24.36 10. La foule acclame Jésus comme ‘roi’ à Jérusalem 19,38 12,13 11. L’Esprit ‘enseignera’ ce qu’il faut dire lors de l’épreuve 12,12 14,26 12. Les disciples demandent qui sera le ‘traître’ 22,23 13,22 13. Le reniement de Pierre est prédit dans la ‘chambre haute’ 22,31-33 13,36-38 14. L’endroit de Gethsémani est considéré comme connu 21,37 18,2 15. Il est fait mention du prêtre Anne en lien avec Caïphe 3,2 ; Ac 4,6 18,13.24 16. Il est fait mention d’un ‘second Judas’ pas l’Iscariote. 6,16a 14,22 17. Jésus entre dans la ‘cour/maison’ du grand prêtre 22,54 18,15 18. Pilate déclare ‘par trois fois’ l’innocence de Jésus 23,4.14.22 18,38 ;19,4.6 19. Face à Pilate, la foule veut honorer ‘César’ 23,2 19,12.15 20. Jésus est mis au tombeau le ‘jour de la Préparation’ 23,54 19,14.31.42 21. ‘Deux’ hommes/anges sont mentionnés à la tombe 24,4 20,12

Outre les parallèles sémantiques parfois impressionnants (comme pour la pêche miraculeuse ou la course au tombeau) et les ajouts analogues (Satan en Judas, Marthe et Marie, etc.), il faut aussi prendre en compte les accents théologiques propres. Luc et Jean, en effet, soulignent le don de l’Esprit Saint de façon très insistante et sont attentifs à la présence positive des femmes. Si ce fait a été remarqué depuis longtemps pour Luc, qui compose souvent des diptyques homme/femme, cela peut être dit également de Jean. On constate également une forte présence de ces points de contact pour les récits qui touchent à la Passion et à la Résurrection (points 5 à 12 du premier tableau et 10 à 21 du second).

Bref, les points communs, indéniables, sont de natures très différentes : analogies théologiques, constructions similaires, même ordre de péricopes ou même absence de détails présents dans Marc12. Comment expliquer ces points communs entre les deux traditions ?

II La relation entre Jean et Luc à travers la Redaktionsgeschichte

Résumons les hypothèses émises par les études des dernières décennies. Plusieurs exégètes suggèrent que Jean aurait utilisé Luc pour composer son évangile. Cette hypothèse est souvent introduite comme celle de l’école de Louvain tant le nom de F. Neyrinck13 lui est associé. De nombreux commentateurs sont d’avis que Jean a connu le texte de Luc. D’autres, plus rares mais qui ont un certain écho dans le monde anglo-saxon, postulent le mouvement inverse : Luc aurait utilisé Jean. Cette théorie, ancienne, a été défendue à nouveau à l’époque contemporaine par F. Cribbs, B. Shellard et M. Matson14. Le fait que ces deux écoles, convaincues d’une relation littéraire directe, puissent invoquer les mêmes passages au service d’une thèse opposée a amené récemment A. Gregory à conclure que ces deux approches aboutissaient à une impasse15.

C’est pourquoi d’autres chercheurs préfèrent parler de sources communes aux deux évangélistes. Hypothèse attractive par exemple en ce qui concerne le parallèle entre Lc 5 et Jn 2116. De nombreux commentateurs, en effet, s’inscrivent dans le paradigme de l’indépendance littéraire et rédactionnelle de Jean vis-à-vis des synoptiques17. Mieux vaut, disent-ils, supposer l’existence de traditions chrétiennes anciennes, probablement orales, utilisées par Jean sans qu’il ait eu directement connaissance du texte même des autres évangiles. Les différences sont telles que, sur la seule base du texte, il apparaît difficile de prouver une dépendance directe.

Mais comment se représenter la nature du contact entre Jean et Luc ? Pour certains, Jean incarne une tradition indépendante des synoptiques. Comment entendent-ils ‘indépendant’ ? Pour eux, l’auteur de Jean n’a pas eu accès aux textes écrits des évangiles, tels du moins que nous les avons. Les liens entre Luc et Jean seraient alors dus à la tradition orale utilisée par Jean et portant les traces d’une influence lucanienne18. Pour d’autres, Jean a utilisé tous les synoptiques sous leur forme écrite19. De fait, la plupart des exégètes continuent à voir l’Évangile de Luc comme antérieur à Jean20. Enfin, certains, plus rares il est vrai, ont estimé que Luc était le dernier évangéliste et avait utilisé Jean, soit indirectement21 soit directement. Le représentant le plus célèbre de ce dernier cas de figure est L. Cribbs. Selon lui, Luc aurait eu connaissance de la tradition johannique soit oralement soit par une première version de Jean22. Plus radicale, Barbara Shellard affirme que Luc a utilisé les trois autres évangiles23. Chaque hypothèse a ses angles morts mais, pour l’école Cribbs-Shellard, un problème important surgit de suite. Dans cette hypothèse, en effet, il est étrange que Luc n’ait repris que des détails, quelques personnages et aucun des grands récits et thèmes théologiques de Jean (à rebours de ce qu’il fait avec Marc et — pour autant que nous puissions en juger — avec la source Q). Pourquoi Luc se montrerait-il si parcimonieux dans ce seul cas ? Certains épisodes johanniques ne pouvaient-ils pas être intégrés aisément dans son projet ? Ce rapide panorama illustre bien la relative impuissance de l’analyse rédactionnelle en termes de l’histoire des sources.

III Des parallèles théologiques ?

L’un des derniers auteurs à avoir fait une étude complète de la question est l’exégète finlandais M. Myllykoski24. Il penche pour l’hypothèse de l’indépendance littéraire de Jean par rapport aux synoptiques25. Son approche est quasi exclusivement historico-critique mais il relève aussi que les parallèles théologiques entre Luc et Jean sont nombreux. Il en dresse certes la liste mais affirme d’entrée de jeu que « les similarités théologiques entre Luc et Jean sont très générales et ambiguës »26 et il ne commente ces dernières que très brièvement. Si l’hypothèse de l’indépendance littéraire me paraît forte, cette dernière affirmation me semble inexacte.

En effet, s’il apparaît peu probable que l’on puisse prouver des emprunts directs de Luc à Jean ou le contraire27, tous deux montrent en revanche qu’ils ont intégré des traditions analogues. Le plus révélateur de leur proximité est la parenté théologique de leurs approches. Au plan théologique la liste est impressionnante et révèle un moment historique et ecclésial précis. Tous deux témoignent de la volonté de ne pas charger les autorités romaines dans la mort de Jésus et de blâmer davantage les autorités juives ; tous deux soulignent la reconnaissance de Jésus par Jean le Baptiste et ont manifestement les communautés baptistes en vue pour l’évangélisation28 ; tous deux nomment Satan en lien avec Judas ; tous deux insistent sur la corporéité de Jésus après la résurrection et sa capacité de prendre un repas avec ses disciples en vue de contrer l’objection qu’il s’agissait d’un pur esprit ; tous deux souhaitent manifestement valoriser fortement le don de l’Esprit Saint ; tous deux mettent fortement en valeur le rôle primatial de Simon-Pierre29. Ces ressemblances ne pointent pas d’abord vers des emprunts littéraires réciproques mais vers une commune situation ecclésiale et sociologique, celle de la fin du premier siècle. Après avoir vu les impasses d’une approche exclusivement centrée sur l’histoire de la rédaction, il apparaît judicieux de se pencher sur le traitement de Simon-Pierre comme emblématique de la façon dont les deux évangélistes traitent théologiquement dans leur récit un moment historique délicat pour leurs communautés.

IV L’éclairage des parallèles Luc-Jean par la figure de Pierre

Comment Luc et Jean traitent-ils la figure de Pierre ? Luc recourt à deux procédés principaux. À l’intérieur de son premier volume, l’évangile, il modifie deux passages-clefs. Il altère très profondément la scène de l’appel des premiers disciples30. Ensuite, il situe autrement la scène de la primauté confiée par Jésus à Pierre (en la déplaçant de la Galilée à la dernière Cène). Enfin, il construit son deuxième livre, les Actes, en valorisant la figure de Pierre tout en la cantonnant à la première partie et en la modelant, discrètement, sur celle de Paul. Jean, de son côté, évoque peu Pierre au long de son Évangile mais il centre son ultime chapitre sur le rôle ecclésial et primatial de Pierre31. Luc et Jean ont soin de montrer que ce rôle pétrinien ne sert pas à brider les autres Apôtres ou à nier leur spécificité. Les deux stratégies théologiques sont ici quelque peu différentes : Luc souligne surtout la continuité entre Pierre et Paul. Conformément à sa logique théologique de fond, il arrondit les angles et met en valeur, par petites touches, ce qui rapproche Pierre et Paul. Il procède de même pour montrer la continuité entre Jésus et Jean-Baptiste ou entre Jésus et les Apôtres32. Jean, quant à lui, choisit de mettre en valeur la tradition propre du « disciple que Jésus aimait. » Il souligne que Jésus ressuscité a explicitement voulu qu’il y ait plusieurs voies de transmission de sa grâce et de son esprit33, et ce Jésus souverain déclare : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » (Jn 21,22a). Les ultra-pétriniens ne doivent pas nier la légitimité de la tradition johannique car elle s’enracine, elle aussi, dans la parole de Jésus, dit en substance Jean. En outre, il est frappant de constater que Luc et Jean développent tous deux la relation affective interpersonnelle entre Jésus et Pierre34. Jésus prie personnellement pour Simon en Lc 22,32, tandis que nous entendons par trois fois Pierre confesser son amour du Seigneur en Jn 21.

Reprenons le cas de Luc. Une mise en parallèle de la trajectoire de Pierre chez Marc puis chez Luc vaut mieux qu’un long discours :

Simon-Pierre dans Marc Simon-Pierre dans Luc 1,16-20 // 5,10 Simon est appelé 1,29-31 // 4,38 Guérison de la belle-mère de Simon 1,35-38 Simon cherche Jésus… -- péricope anonyme (foule) -- 5,4-8 Simon et la pêche miraculeuse Mission de ‘prendre’ des hommes 5,35 // 8,40-46 Pierre, (avec J. et J.), dans la maison de Jaïre. Cf. Mc 3,16 // 6,14 Simon, qu’il nomma Pierre 8,27-30 // 9,18-21 Pierre confesse Jésus-Messie 8,31-33 Réprimande de Pierre -- péricope absente 9,2-10 // 9,28-36 Pierre témoin (avec J. et J.) à la Transfiguration 10,28 // 18,28-30 Pierre : nous qui avons tout quitté… 11,20-24 Pierre regarde le figuier -- péricope absente 13,3 Pierre : question/ Temple -- péricope anonyme (disciples) -- 22,31-32 Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés… mais moi j’ai prié pour toi, 14,27-31 // 22,34 Le reniement de Pierre prédit 14,32-42 Pierre (J. et J.) à Gethsémani -- péricope anonyme (disciples) 14,54 ; 66-72 // 22,54-62 Pierre renie
-- 24,12 Pierre partit et courut le 1er au tombeau. 16,7 L’ange dit de le dire à Pierre et aux autres 24,34 Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!

Luc a omis Pierre des épisodes suivants où il était dans Marc : Jésus le réprimandant, Jésus lui reprochant de dormir, le passage du figuier. Mais il a situé Pierre dans d’autres épisodes : la pêche miraculeuse (Lc 5,4-8), la prière de Jésus pour la foi de Simon (Lc 22,31-32) et, après la course en premier vers le tombeau, la mention de l’apparition du Christ ressuscité à Simon (Lc 24,34).

Peut-on mettre en parallèle les mentions de Pierre chez Jean et chez Luc ? C’est, bien sûr, plus délicat tant la structure de Jean est différente mais, si nous prenons les épisodes où Pierre est présent, les points communs apparaissent nettement :35

Simon-Pierre dans Luc Simon-Pierre dans Jean 5,1-10 Simon est appelé 1,40-42a Jésus appelle Simon via André… 4,38 La belle-mère de Simon -- 5,4-8 Simon et la pêche miraculeuse Mission de ‘prendre’ des hommes Cf. Jn 21 8,40-46 Pierre chez Jaïre -- 6,14 Simon, qu’il nomma Pierre 1,42b et Jésus nomme Simon Képhas 9,18-21 Pierre confesse Jésus Messie 6,68-69 Simon-Pierre confesse Jésus, comme Saint de Dieu 9,28-36 Pierre à la Transfiguration -- 18,28-30 Pierre : nous qui avons tout quitté… -- -- 13,6-12 Jésus lave les pieds de Simon-Pierre et des disciples 22,31-32 Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés… mais moi j’ai prié pour toi, 13,36 […] tu me suivras plus tard. 13,24-27 Jésus révèle à Simon-Pierre que Judas le livre via Satan
22,34 Le reniement de Pierre prédit 13,37-38 Le reniement de Pierre prédit -- péricope anonyme (disciple) 18,10-11 Pierre tire l’épée à Gethsémani 22,54-62 Pierre renie Jésus 19,15-27 Pierre renie Jésus 24,12 Pierre partit et courut le premier au tombeau. 20,2-10 Simon-Pierre part et entre le premier dans le tombeau 24,34 Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon! -- 35 -- 21,1-20 Simon et la pêche miraculeuse. Jésus lui confie son troupeau

Les lieux stratégiques de tout récit, le début et la fin, sont investis par Luc et Jean de façon analogue. Luc met Pierre en valeur de façon radicale au moment où Jésus appelle ses premiers disciples. Jésus s’adresse à un ‘tu’ et non plus d’abord à un ‘vous’ : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5,10). La mission unique de Pierre remonte ainsi aux premiers temps de la vie publique de Jésus. Il met également en valeur, davantage que Marc et Matthieu, le fait que Pierre ait couru le premier au tombeau et soit le premier des Douze Apôtres à voir le Christ ressuscité. De son côté, Jean relève également le fait que, parmi les premiers appelés, Pierre est le seul à être nommé d’entrée de jeu de façon nouvelle, Képhas, nom qui correspondra à sa mission future (Jn 1,42). Et Jésus ressuscité confie solennellement à Pierre la charge de paître son troupeau en laissant entendre qu’il lui pardonne sa chute (par une triple demande correspondant aux trois reniements).

Par ailleurs, Luc comme Jean mettent particulièrement en valeur le rôle de Pierre pendant la Passion. Luc choisit de situer au tout début de la Passion le moment où Jésus annonce à Pierre qu’il affermira (verbe ‘technique’ anticipant le rôle de Pierre dans les Actes) ses frères après son reniement. Il enracine la primauté de Pierre dans la prière de Jésus à la Cène et non dans les paroles enthousiastes de Pierre lors de la confession en Galilée36. De façon différente mais proche, Jean souligne l’intimité de Pierre avec Jésus lors de la Cène. Pierre est le porte-parole des Apôtres lors du lavement des pieds et reçoit seul la révélation que Judas livrera Jésus. Dans les deux cas, Jésus annonce à Pierre que sa chute — son incompréhension du moment présent — n’empêchera pas qu’il le suive plus tard : « […] Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,32b) et « […] tu me suivras plus tard » (Jn 13,36b)37. Parmi les quatre grands moments de la présence de Simon-Pierre dans les évangiles, les trois mêmes bénéficient d’un traitement où Luc et Jean renforcent le rôle de Pierre :38

Moments Simon-Pierre dans Luc Simon-Pierre dans Jean A Appel et nomination de Képhas Parole adressée au seul Simon 5,10 Simon reçoit le nom de Pierre à la 1ère rencontre 1,42 B Confession de foi 9,18 6,69 C Annonce du reniement et promesse Jésus a prié pour Simon qui affermira ses frères, 22,32. Jésus annonce à Pierre qu’il le suivra plus tard 13,36 D Résurrection et mission Jésus est apparu à Simon parmi les Douze 24,34 Jésus ressuscité confirme Simon dans sa charge38 21,15

On voit apparaître le même souci de mettre Simon-Pierre en valeur, de lui accorder une prééminence spéciale dans les endroits stratégiques du récit évangélique, le début et la fin, ainsi que dans le moment le plus susceptible de porter atteinte à sa personne, celui du reniement. Le traitement littéraire et théologique accordé à Pierre correspond à l’époque où les communautés chrétiennes sont dans un processus de reconnaissance mutuelle et où, en particulier, les communautés johanniques et pauliniennes obtiennent d’être pleinement reconnues par les communautés issues de la prédication pétrinienne39. La figure ecclésiale de Pierre fait concrètement l’unité. Luc et Jean en témoignent.

Le traitement de la figure de Pierre fait système avec la façon dont sont traitées les autres questions théologiques dont Luc et Jean ont le souci. Au plan missionnaire, ils ont le même double intérêt : faire que Jean-Baptiste reconnaisse avec force la primauté de Jésus (afin que les missionnaires chrétiens puissent s’appuyer sur ces éléments dans leur prédication auprès des baptistes contemporains) et que la Samarie reçoive un traitement particulier, ce qui souligne l’intérêt des évangélistes pour cette région (Luc utilise les Actes pour ce point). Dans le même ordre d’idées, ils blâment plus les autorités du Temple que celles de Rome dans le procès de Jésus. De façon analogue, ils valorisent tous deux l’accueil que des femmes réservent à Jésus ; or les femmes ont joué un rôle majeur dans la diffusion du christianisme dans le monde gréco-latin, dès la fin du premier siècle. Au plan plus strictement théologique, ils ont les mêmes préoccupations : souligner la réception apostolique de l’Esprit Saint, nommer Satan dans la décision de Judas de livrer Jésus et, dans un souci déjà anti-docète, insister sur la réalité physique de Jésus ressuscité40.

V Conclusion

Les parallèles entre l’évangile de Luc et celui de Jean demeureront peut-être inexplicables en termes de l’histoire des traditions mais ils sont lumineux quand ils sont mis en série et étudiés sous l’angle théologique. Ils témoignent du fait que les deux évangélistes avaient un projet commun en vue de l’intégration dans la grande Église : tous deux témoignent de leur désir d’être reconnus par les communautés originaires de Judée-Galilée se revendiquant fortement de Pierre. Le parcours humain de Pierre lui permettait en effet d’être un pont entre les communautés très attachées à la tradition juive et issues de la terre d’Israël41 et les communautés d’Asie mineure vivant dans un contexte pagano-chrétien. Quoi qu’il en soit des hypothèses rédactionnelles sur la priorité de Luc vis-à-vis de Jean ou le contraire, l’analyse théologique des points communs renvoie à la même période historique42 et sociologique du christianisme naissant, celle qui vit se constituer un canon de quatre évangiles dans une reconnaissance mutuelle de plusieurs traditions. Simon-Pierre se révèle être la clef de voûte qui permet l’existence du canon des quatre évangiles et d’une Église accueillante à une diversité de traditions se reconnaissant mutuellement.

Notes de bas de page

  • 1 C’est ainsi, qu’après beaucoup d’autres, F. Schleritt, Der vorjohanneische Passionsbericht: Eine historisch-kritische und theologisch Untersuchung zu Joh 2,13-22; 11,47-14,31 und 18,1-20,29, BZNW 154, Berlin/New York, de Gruyter, 2007, p. 110-111, relève vingt points de contact entre Luc et Jean dans le récit de la Passion. Il défend par ailleurs la thèse de l’indépendance de Jean vis-à-vis des synoptiques. On peut noter que c’est la seule fois où Jean emploie ‘satan’ et non le terme ‘diable’ qu’il utilise ailleurs, à trois reprises.

  • 2 Pour reprendre le sous-titre de l’article de B. Standaert, « Jean 21 et les synoptiques. L’enjeu interecclésial de la dernière rédaction de l’évangile de Jean », dans A. Denaux (éd.), John and the Synoptics, BETL 101, Leuven, Leuven Univ. Press, 1992, p. 632-643. Ce qu’il dit du projet de la rédaction finale de Jean vaut aussi pour Luc mutatis mutandis: « Texte éminemment interecclésial, il constitue une espèce d’apologia pro vita sua. […] Du même coup ‘Jean’ crée le problème du canon ‘tétramorphe’ comme dira Irénée, des Évangiles », p. 643. Cf. aussi R.F. Collins, « The Primacy of Peter: A Lukan Perspective », dans Louvain Studies 26 (2001), p. 268-281.

  • 3 F. Bovon, L’Évangile selon Saint Luc 19,28-24,53, Genève, Labor et Fides, 2008, p. 413.

  • 4 C’est ainsi que A. dauer, « Zur Authentizität von Lk 24,12 », dans ETL 70 (1994), p. 294-318, en fait un grand argument du fait que Luc avait connu Jean.

  • 5 Un auteur récent recourt, lui aussi, à la notion d’une tradition commune: « Qu’à la fois Luc et Jean inventent par coïncidence une histoire dans laquelle une femme oigne les pieds de Jésus et les essuie avec ses cheveux ne semble pas probable. Il est plus plausible qu’ils partagent une tradition commune à propos d’une onction des pieds de Jésus », dans P. Mullen, Dining with Pharisees, Collegeville, Minn, Liturgical Press, 2004, p. 90.

  • 6 Je reprends en partie les points relevés par P.N. Anderson, « Gradations of symbolization in the Johannine Passion narrative: control measures for theologizing speculation gone awry », dans J. Frey (éd.), Imagery in the Gospel of John, Tübingen, Mohr-Siebeck, 2006, p. 157-194, p. 175. Cf. aussi P. N. Anderson, « Interfluential, Formative, and Dialectical: A Theory of John’s Relation to the Synoptics », dans P.L. Hofrichter (éd.), Für und wider die Priorität des Johannesevangeliums, Hildesheim, Georg Olms, 2002, p. 19-58, avec un relevé plus exhaustif p. 44. Il y conclut son analyse sur ce point par: « Il semble bien que Luc ait eu accès à des traditions orales johanniques », p. 45. Pour une liste récente de ces éléments, cf. P.N Anderson, The Riddles of the Fourth Gospel, Minneapolis, Fortress, 2011, p. 55.

  • 7 En lien avec la question de la résurrection.

  • 8 R.F. Collins, « The primacy of Peter… (cité supra n. 2), p. 276, fait en outre remarquer que Luc et Jean bâtissent tous deux un discours d’adieux: « Le quatrième évangile a inséré un long discours d’adieux (Jn 13-17) dans sa description de cette dernière Cène. Luc a un discours similaire quoique plus court (22,24-38). Il est sans parallèle chez Marc et Matthieu ».

  • 9 Cf. aussi Jn 20,17 où il parle de sa montée.

  • 10 Cf. aussi Jn 20,22 où Jésus « souffla sur eux » pour donner l’Esprit.

  • 11 Il s’agit ici de Jésus mais 1 Jn 1,3 dit la même chose des disciples dans la tradition johannique (en ‘nous’).

  • 12 Ce dernier point pose davantage question pour Luc dans la mesure où, pour Jean, l’hypothèse de son indépendance vis-à-vis des trois synoptiques peut toujours être défendue.

  • 13 Cf. F. Neyrinck (éd.), Jean et les synoptiques, BETL 49, Leuven, Leuven Univerity Press, 1979, et les publications qui ont suivi, consacrées à la défense de cette thèse. Sont sur la même ligne, parmi beaucoup d’autres, A. Bailey et A. Dauer.

  • 14 Cf. F.L. Cribbs, « A Study of the Contacts That Exist Between St. Luke and St. John », dans G. MacRae (éd.), dans SBL SP, 1973, Vol. 2, Cambridge, SBL, 1973, p. 1-93, B. Shellard, New Light on Luke ; Its Purpose, Sources and Literary Context, London, T & T Clark, 2004, en particulier p. 200-260, 275-288, et M.A. Matson, In Dialogue with Another Gospel?, Atlanta, SBL, 2001.

  • 15 Cf. A. Gregory, « The Third Gospel. The Relationship of John and Luke Reconsidered », dans J. lierman (éd.), Challenging Perspectives on the Gospel of John, WUNT.2 219, Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, p. 109-134, qui écrit, p.120: « Le fait que Matson et Neyrinck utilisent des méthodes similaires pour atteindre des résultats (apparemment) égaux et (certainement) opposés suggère qu’une impasse a été atteinte ».

  • 16 Cf. notamment l’analyse récente de C. Raimbault, « Les récits de la pêche miraculeuse. Lc 5,1-11 ; Jn 21,1-14 », dans Collectif (éd.), Regards croisés sur la Bible. Études sur le point de vue. Actes du iiie colloque international du Réseau de recherche en narrativité biblique, Paris, Cerf, 2007, p. 157-169. Dans sa thèse récente, A. Pesonen considère également que l’hypothèse de Neyrinck selon laquelle Jean aurait utilisé le récit de Luc est moins vraisemblable que la référence à une tradition (probablement orale) commune: « C’est une explication plus difficile pour la genèse de Jn 21,1-14 que celle qui consiste à penser que Jean et Luc aient tous les deux connu l’histoire de la pêche miraculeuse de la tradition », dans A. Pesonen, Luke, the friend of sinners, E-thesis, University of Helsinki, 2009, p. 86.

  • 17 Cf. le tableau éclairant de Anderson, The Riddles… (cité supra n. 6), p. 151. Selon lui, Luc aurait connu des traditions johanniques avant que l’évangile de Jean ne connaisse sa première édition, qu’il situe d’ailleurs légèrement (80-85) avant l’écriture de Luc (85). Dans l’autre sens, Jean n’aurait eu, selon lui, accès qu’aux traditions orales à l’origine de Marc.

  • 18 Position défendue par A. Dauer, Johannes und Lukas: Untersuchungen zu den johanneisch-lukanischen Parallelen perikopen Joh 4,46-54/Lk 7,1-10 — Joh 12,1-8/Lk 7,36-50 ; 10,38-42 — Joh 20,19-29/Lk 24,36-49, Würzburg, Echter Verlag, 1984. Les péricopes retenues contiennent une bonne part des points communs Lc-Jn.

  • 19 Cf. I. Dunderberg, Johannes und die Synoptiker: Studien zu Joh 1-9, AASFDHL 69, Helsinki, The Finnish Academy of Sciences and Letters, 1994. Voir aussi du même: « Johannine Anomalies and the Synoptics », dans J. Nissen - S. Pedersen (éd.), New Readings in John, JSNTSup 182, Sheffield, Sheffield AP, 1999, p. 108-125.

  • 20 Cf. M.E. Boismard, « Saint Luc et la rédaction du quatrième évangile », dans RB 69 (1962) 185-211 ; Bailey, The Traditions Common to the Gospels of Luke and John, 1963 ; Neyrinck, Jean et les synoptiques, 1979 ; Dauer, Johannes und Lukas, 1984.

  • 21 Cf. W. Gericke, « Zur Entstehung des Johannes-Evangeliums », dans Theologische Literaturzeitung 90 (1965), p. 807-820.

  • 22 Cf. Cribbs, « A Study of the Contacts… (cité supra n. 14), p. 1973.

  • 23 Cf. Shellard, New Light on Luke, 2004. Cf. également Matson, In Dialogue with Another Gospel?… (cité supra n. 14).

  • 24 Cf. M. Myllykoski, « The Material Common to Luke and John. A Sketch », dans P. Luomanen (éd.), Luke-Acts. Scandinavian Perspectives, SFEG 54, Göttingen, Vandenhoek and Ruprecht, 1991, p. 115-156.

  • 25 Il n’exclut pas que Jean ait eu connaissance des trois autres évangiles mais exclut qu’il ait voulu leur faire des emprunts ou suivre en quelque manière leur approche (cf. p. 119).

  • 26 Cf. Myllykoski, « The Material Common… (cité supra n. 24), p. 121.

  • 27 Le grand spécialiste de Luc, F. Bovon, L’Évangile selon Saint Luc 19,28-24,53, écrit, à propos de Lc 24 : « S’il est certain que Luc ne dépend pas de Jean, le quatrième évangile, à mon avis, ne puise pas non plus directement à Luc. […] À mon sens, les deux évangélistes partagent la connaissance d’une tradition qui a retenu, comme cela arrive souvent, différents détails significatifs concrets: le mouvement de Pierre qui penche ou avance la tête pour mieux voir et la présence des bandes funéraires », p. 413 (souligné par moi).

  • 28 Témoignage d’un moment historique analogue, tous deux soulignent le souci du mouvement chrétien pour les Samaritains, Jean en composant le chapitre de la Samaritaine et Luc en faisant passer Jésus par la Samarie et en lui réservant un rôle dans les Actes (annoncé proleptiquement par Jésus lui-même en Lc 24) : ce point est la conclusion majeure de J.A. Bailey, The Traditions Common to the Gospels of Luke and John, NT.S 7, Leiden ; Brill, 1963. À la fin du premier siècle, l’enjeu de l’évangélisation chrétienne des milieux samaritains et baptistes est ainsi attesté par ces deux auteurs.

  • 29 Cette insistance sur l’Esprit Saint à la naissance de l’Église et qui continue à aider les chrétiens est en connivence avec la mise en valeur du rôle de Simon-Pierre. Luc et Jean sont éminemment ecclésiaux.

  • 30 Rappelons que, dans l’hypothèse de la théorie des deux sources, il dispose du récit de Marc.

  • 31 Comme le dit F. Manns, « Jean 21: Contribution à l’ecclésiologie du quatrième évangile », dans R. FaBriS (éd.), La Parola di Dio cresceva, Atti 12,24, Bologna, EDB, 1998, p. 195-213, p. 200: « Jean 21 met en place le dispositif qui doit assurer la reconnaissance de l’évangile johannique par le christianisme de la fin du premier siècle. L’articulation de la relation entre Pierre et le disciple bien-aimé est la pièce maîtresse de ce dispositif ». Je pense cependant qu’il n’est pas exact de ne voir qu’en Jn 21 l’importance du rôle de Pierre. Ce souci a commencé avant.

  • 32 Sur ce point, on peut notamment renvoyer à l’ouvrage de H. Mahfouz, La fonction littéraire et théologique de Lc 3,1-20 dans Luc-Actes, Kaslik, Université Saint-Esprit de Kaslik, 2003.

  • 33 C. raimbault, « Les récits de la pêche miraculeuse », 2007, remarque à juste titre que trois épisodes clefs de la fin de Jean ont cet objectif : « On comprend mieux encore le lien entre ce récit de reconnaissance et l’épisode de la course au tombeau en Jn 20,3-10 et la deuxième partie de Jn 21 », p. 165.

  • 34 Ce que T. Wiarda, Peter in the Gospels : Pattern, Personality and Relationship, Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, dit du dialogue entre Jésus et Pierre en Lc 22, vaut aussi pour Jean (en particulier Jn 21) : « Ce qui est mis en valeur […] est la relation entre Pierre et Jésus », p. 170.

  • 35 En Jn 21, Simon est le premier sur la plage, mais il s’agit avant tout d’une apparition collective et non propre au seul Simon.

  • 36 Sur ce point, je me permets de renvoyer à M. Rastoin, « Simon-Pierre entre Jésus et Satan : la théologie lucanienne à l’œuvre en Lc 22,31-32 », dans Bib 89 (2008), p. 153-172.

  • 37 F. Manns, Jean 21… (cité supra n. 31), p. 203, remarque la proximité entre Luc et Jean en ce lieu : « La version de Jean se rapproche de Lc 22,34. Le dialogue de Jésus avec Pierre qui suivra son maître plus tard (13,36) trouve également un parallèle en Lc 22,33. »

  • 38 Cf. la remarque pertinente de J. Zumstein, L’Évangile selon Saint Jean (13-21), Genève, Labor et fides, 2007, sur l’inclusion entre la première et la dernière apparition de Pierre : « Le nom que le Ressuscité donne à Pierre, ‘Simon, fils de Jean’, renvoie à la scène d’appel (1,42). La mystérieuse déclaration faite alors prend maintenant substance et contenu », p. 301. Dans le même sens F. Manns, Jean 21… (cité supra n. 31), p. 202 : « cette inclusion est intentionnelle ».

  • 39 Sans réduire certes à la personne de Pierre les mouvements d’évangélisation nés en Judée/Galilée.

  • 40 Il serait bien sûr intéressant de prolonger l’enquête chez les autres auteurs chrétiens de la fin du premier siècle (tel Clément de Rome) pour confirmer cet ancrage dans la même situation ecclésiale.

  • 41 Ou dans une diaspora juive davantage liée à la terre d’Israël. Des chrétiens proches de Paul ou de Jean devaient se trouver dans les communautés hellénistes de Judée et de la côte (Césarée). Il faut toujours rappeler que ce n’est pas la géographie qui détermine la position théologique!

  • 42 L’hypothèse suggérée ici ne prétend pas pouvoir déterminer à quel moment précis (entre 80 et 95 selon les différents manuels d’introduction au Nouveau Testament) Luc et Jean ont été écrits. En revanche, elle tiendrait que l’écart postulé entre les deux doit être minime.

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80