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Tierra Santa, lugar de misión, D. Meyer, M. Remaud, T. Oubrou, La vocación de Tierra Santa. Un judío, un cristiano, un musulmán se interrogan, 2014

Jean Radermakers s.j.
La presente obra, redactada por iniciativa del rabino David Meyer con un sacerdote católico que enseña en Jerusalén y con el gran imán de Burdeos, toca un problema candente: ¿qué dicen las fuentes judías de la situación del Estado de Israel, de su relación con la tierra y de su manera de ejercer el poder; luego cómo cristianos y musulmanes, a partir de sus tradiciones respectivas, consideran su estatuto en este Estado? (…)

De Sion l’on dira : « Là, tout homme est né ».

(Ps 87,5)

D. Meyer, M. Remaud, T. Oubrou, La vocation de la Terre sainte. Un juif, un chrétien, un musulman s’interrogent, coll. L’Autre et les autres 15, Namur, Lessius, 2014, 14×20, 316 p., 24,50 €. ISBN 978-2-87299-263-8

Le présent ouvrage, rédigé à l’initiative du rabbin David Meyer avec un prêtre catholique enseignant à Jérusalem et avec le grand imam de Bordeaux, touche un problème brûlant : que disent les sources juives de la situation de l’État d’Israël, de son rapport à la terre et de sa manière d’exercer le pouvoir, puis comment chrétiens et musulmans, à partir de leur tradition propre, envisagent-ils leur statut dans cet État ? Rappelons que, diplômé du prestigieux séminaire rabbinique Leo Baeck de Londres, David Meyer est un juif libéral professant un dialogue ouvert et critique avec ses frères ou d’autres monothéistes de bonne volonté. Il enseigne notamment à Bruxelles (I.E.T. et Saint-Louis) et à l’Université Grégorienne de Rome. Il a publié chez Lessius quatre ouvrages : Les Versets douloureux. Bible, Évangile et Coran entre conflit et dialogue, avec Y. Simoens et S. Bencheikh (2007) ; La vie hors la loi. Est-il permis de sauver une vie ? (2008) ; Le Minimum humain. Réflexions juive et chrétienne sur les valeurs universelles et le lien social, avec le pasteur J.-M. de Bourqueney (2010) ; Croyances rebelles. Théologies juives et survie du peuple après la Shoah (2011).

La préface de Bernard Philippe, diplomate européen en poste à Jérusalem, situe le problème : est-il possible d’« inverser, si ce n’est achever, l’Histoire » ? Les auteurs affirment que la solution se trouve du côté théologique, dans une intime relation entre éthique et politique : oser penser religieusement, exercer un pardon mutuel constructif, entrer dans un corps à corps avec le réel. Il s’agit d’une volonté d’assumer les droits et les devoirs des états souverains : réguler la violence, faire de la force armée un service, susciter une aide extérieure. Bref, passer de la violence au droit avec la justice comme horizon et décider d’établir les conditions de la paix, bien commun par excellence. Faudrait-il, comme l’évoquait Abba Eban, ancien ministre des Affaires étrangères d’Israël, attendre l’épuisement radical pour que les peuples agissent avec sagesse et accèdent à la miséricorde ?

La perspective juive

David Meyer prend d’abord la parole pour présenter la perspective juive. Son introduction invoque la raison religieuse dans la réalité démographique d’un Israël en croissance. Cette raison se déploie sur deux domaines : rapport à la terre et exercice du pouvoir. Le rapport à la terre exige une réflexion radicale amorcée courageusement par l’auteur qui se réfère à sa tradition spirituelle : le don de la création, le danger idolâtre d’une fusion entre l’homme et sa terre. Israël est né hors de sa terre et sa possession est un don à ne pas usurper : la vocation de la terre est de devenir vitrine de la fraternité ; elle peut elle-même se limiter librement et se donner en partage. Et le rabbin de faire appel à la « charte lévitique » en proposant « un exil partiel de la souveraineté » afin de constituer l’union généreuse Israël-Palestine avec deux points concrets : Jérusalem n’est ni capitale d’Israël ni de Palestine et Hébron, elle est appelée à la modestie et au renoncement à l’obsession mortifère des origines.

Dans un deuxième chapitre, D. Meyer poursuit en affrontant le problème capital du pouvoir et surtout du modèle préconisé pour l’État hébreu. En effet, Israël n’en a pas eu l’expérience, n’ayant plus jamais exercé de souveraineté sur une terre depuis l’échec de la royauté autrefois fondée par David et Salomon. Quelles solutions la Torah suggère-t-elle, et est-elle à même de proposer un modèle concret pour organiser le pouvoir comme un service collectif et non comme une domination autoritaire ? Tel est le problème développé par notre rabbin en trois points : comment la réalité du pouvoir se profile-t-elle dans la conception classique du judaïsme ? ; quelles qualités sont requises pour son exercice ? ; la sagesse des nations pourrait-elle inspirer un paradigme de gouvernement qui satisfasse à la fois Israël et les Palestiniens partageant un même territoire ? Argumentation serrée, à la fois subtile, voire astucieuse, en tout cas courageuse. Serait-elle utopique ? Telle est la question. Et je vous engage à lire in extenso les pages émouvantes (p. 119s) de D. Meyer cherchant dans sa tradition juive des témoins d’une pensée ouverte et généreuse à la hauteur de la sienne et convoquant à la barre E. Levinas, I. Maybaum ou Y. Leibowitz, après avoir interrogé Jéthro, beau-père de Moïse, et surtout Cyrus, roi de Perse, qu’Isaïe (45,1) appelle « messie de Dieu », puis les sages des nations, afin de découvrir un modèle gouvernemental adapté à l’État d’Israël…

Éternel combat de Jacob contre sa peur d’affronter son frère ennemi Ésaü, combat dont on ne sort, il est vrai, qu’en emportant une douloureuse sciatique, tandis qu’à l’est, au Moyen-Orient, le pouvoir devient l’idole majeure. En ce cas, les instincts belliqueux et destructeurs des humains deviennent insatiables ; aucune institution, intelligence ou éthique ne parvient à les maîtriser. Cela se passe aujourd’hui dans le déferlement de Daésh, cet « État islamique » en expansion. Et au nom du même « grand Dieu » devenu idole absolue ! Ces pages révèlent que la quête d’un modèle cohérent n’aboutira que lorsque Dieu, le vrai, sera reconnu comme la réalité vitale. Une conclusion rejoint nos perspectives d’évangélisation : construire la parole de Dieu dans la réalité politique d’Israël. « Proposer des solutions théologiques face à la réalité politique de l’État d’Israël, c’est précisément prendre conscience que toute pensée religieuse se doit de “minimiser le tort que l’on cause aux autres” tout en restant fidèle aux principes et aux enseignements de sa propre tradition » (p. 156).

La perspective chrétienne

Intervient ici le père Michel Remaud, lauréat du prix de l’Association judéo-chrétienne de France en 2010, prêtre et théologien, enseignant à l’Institut Albert Decourtray de Jérusalem qui a pour mission d’initier les chrétiens à l’étude des sources juives et à la littérature hébraïque. Il fait état de l’extrême complexité des relations de l’Église avec Israël en raison du long et pénible contentieux théologique et politique qui a opposé pendant près de vingt siècles christianisme et judaïsme. Mais il démontre par les faits récents comment la doctrine de Vatican ii concernant ces relations avec le judaïsme a fait passer l’Église de l’enseignement du mépris à celui de l’estime. Il rappelle que le christianisme naissant, relisant la thèse biblique des prophètes expliquant la dispersion du peuple juif comme le châtiment de son infidélité à l’Alliance, l’a transposée au refus de Jésus comme Messie. Il commente ensuite la position des diverses Églises chrétiennes établies dans le pays depuis de nombreuses années, les premiers chrétiens de Terre sainte ayant d’ailleurs été des Juifs, progressivement arabisés, et ayant échappé à l’emprise de l’islam. Mais pour la majorité des gens, l’État d’Israël apparaît comme un État semblable à celui des autres nations.

Il n’y a pourtant aucun consensus ecclésial pour reconnaître le lien privilégié que le peuple juif entretient avec sa terre, malgré une reconnaissance de l’État hébreu par le Saint-Siège, ni pour évaluer la gestion de son pouvoir politique. La longue habitude de la théorie de la substitution d’Israël par l’Église n’a pas fini d’exercer ses ravages, bien que le rapprochement et la réconciliation aient fait de grands pas. Le problème demeure tant que l’État palestinien n’est pas officiellement reconnu et que subsiste la politique d’implantation sans frein. Les efforts des derniers papes ont pourtant renforcé les liens des chrétiens avec le peuple juif fermement désireux de jouir en paix de la terre qui lui a été donnée par l’Alliance divine irrévocable. Sur ce point, la théologie peut progresser, tant du côté chrétien que du côté juif, puisque le judaïsme n’est pas religion d’État, et la liberté de pratiquer sa religion devrait y être laissée à chacun. L’auteur ajoute :

le judaïsme rabbinique a toujours su composer avec une réalité complexe et il peut trouver aujourd’hui encore dans ses propres sources l’inspiration d’un réalisme qui ne soit pas une infidélité à sa vocation. Inversement, une grande partie de la terre d’Israël biblique se trouve hors des frontières de l’État, et c’est là évidemment que se trouve la cause principale des situations conflictuelles.

(p. 196s)

Au fait, pouvons-nous appeler Israël « un État comme les autres » ? Oui, au regard du droit international. Mais la judéité comporte une référence religieuse qu’on ne peut ni ignorer, ni majorer. Et le p. Michel Remaud relève la communauté de vocation fondée « sur le dessein du Dieu de l’Alliance », qui lie pour toujours l’Église à Israël (p. 203).

Ainsi, le souhait du chrétien est que, sur la terre d’Israël, la liberté religieuse soit partout assurée dans la discrétion et le respect, compte tenu des « lieux saints » chrétiens qui demandent à être sauvegardés et protégés, tout en proscrivant le prosélytisme.

La perspective musulmane

Il revient à un penseur musulman, Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux et président d’honneur des « Imams de France », de développer les perspectives musulmanes. Ce n’est pas chose aisée. Il introduit son propos en notant la « consubstantialité » reconnue par l’islam des origines entre la religion et l’État, puis il mentionne le statut de dhimmi accordé au Moyen Âge en pays musulman aux Juifs et aux chrétiens, protégeant leur liberté de culte, mais moyennant un impôt particulier qui leur conférait une condition de minorité. Ainsi émet-il l’idée d’une « dhimmitude inversée » qui serait accordée aux musulmans et aux chrétiens résidant en terre d’Israël. Puis il se propose d’aborder la question au plan religieux : « Comment lire le Coran après l’État d’Israël ? » (p. 212). L’islam étant une révélation des signes de Dieu dans l’histoire humaine, il y a un discernement à opérer par rapport aux prescriptions du Coran. Il plaide donc pour une lecture coranique tenant compte des réalités de l’histoire et pour une interprétation de la révélation du Coran et de la tradition ou Sunna dans une herméneutique ouverte sur la raison et la culture.

Après cette importante introduction, il traite du pouvoir et de la souveraineté en partant de la sécularisation. Retournant à ses sources religieuses, il montre comment fonctionne l’interprétation coranique, non sans relever les affinités de l’islam avec le judaïsme, puis il marque fortement l’Absolu du Dieu créateur et évoque l’histoire de la prophétie depuis Abraham jusqu’à Jésus. Il rappelle le comportement de Mohammed envers les tribus juives de son temps et conclut à la nécessité d’un exercice du pouvoir juste et capable de pardonner. Il traite ensuite du califat, l’autorité qui gouverne dans la succession du Prophète, comme expérience théologique dans la réalité politique de l’histoire. Il discerne toutefois un déclin dans la conduite de l’islam et un questionnement du droit musulman suscité par le droit étatique d’Occident.

Le problème actuel vient de la collusion entre le droit musulman et des régimes politiques et juridiques différents. Le monde islamique en effervescence doit faire face à l’intrusion d’un État juif atypique : il se déclare laïque, mais ne peut faire l’économie de la dimension religieuse ; il confond religion et ethnie, citoyenneté et nationalité. Mais il est surtout un État militaire où seuls les juifs font le service à l’armée ; il surprotège ses citoyens et est soutenu par les pays occidentaux qui croient payer ainsi leur dette de la Shoah. En outre, l’unité du peuple juif est créée en opposition à l’ennemi arabe et musulman. Ainsi l’auteur met-il en évidence les menaces qu’entraînerait une habitation du pays sous autorité juive. Tel apparaît l’État d’Israël au regard des musulmans.

Ayant parcouru les avantages, et surtout les inconvénients d’une telle résidence sous souveraineté juive, l’auteur passe à la question de la terre. Le principe de l’islam est que la terre appartient à Dieu, de qui l’homme a tout reçu. L’imam explique ici les présupposés de la tradition islamique. Il traite d’abord du rapport de l’homme avec la terre en général, comprise comme un héritage éphémère, puis du destin de l’homme qui dépendra des mérites de son existence. Habité par le souffle céleste, il a besoin d’un territoire pour marquer ce service sacré de reconnaissance au Créateur et pour communiquer avec le divin. Reprenant l’histoire de la civilisation, il discute cette notion de terre sacrée comme mode de protection contre le polythéisme tout en remarquant que le concept de « Terre sainte » existe dans les écrits islamiques. Selon le droit musulman classique, le territoire est classé selon une sorte de géo-théologie : le monde de l’islam, le monde non-musulman hostile et le monde non-musulman pacifique. La terre est le lieu de la révélation de Dieu au Prophète pour une mission de défense des opprimés sur un territoire conçu suivant une logique d’empire. Cette conception apparaît cependant bien abstraite à force d’idéalisation.

Quel est dès lors le statut du musulman vivant en Israël ? Là encore, notre auteur distingue trois registres : le religieux (islam), l’ethnique (arabe, palestinien), le politique (Israël). Le religieux, dans un pays en guerre ou dans une paix précaire, demande une garantie de sécurité et de protection ; l’ethnique attend d’être respecté dans sa réalité de personne, et non comme citoyen de seconde zone ; le politique souhaiterait un statut particulier pour les minorités arabes vivant sur le territoire israélien. Ici, Tareq Oubrou revient avec sa proposition de « dhimmitude inversée », tout en notant l’incongruité de ce système de citoyenneté inférieure. Refusant un « État-gruyère » palestinien non viable, et persuadé qu’Israël entretient le flou grâce à son absence de constitution, l’imam déclare son souci « de trouver un moyen de mettre la religion à l’abri de la tyrannie du communautarisme ethno-politique d’une part, et de la logique de l’État d’autre part » (p. 311).

Conclusion

Revenons à la préface, écrite évidemment à la fin ; elle devient lumineuse et indique une déontologie. Si l’on souhaite la paix au Proche-Orient, il faut la vouloir, et la vouloir ensemble, les théologiens aidant les politiciens à partager leurs points de vue en s’inspirant du processus du pardon mutuel qui fait passer de la violence au droit et à la compréhension réciproque. Mais pour y arriver, il est nécessaire que les hommes et les femmes de bonne volonté cessent de s’opposer et de se combattre pour acquérir une mentalité constructive et solidaire. Affaire d’éducation patiente. Et cette entente ne se fera qu’en se parlant. La tentative amorcée par le pape François invitant Shimon Pérès et Mahmoud Abbas dans les jardins du Vatican le 8 juin 2014 en vue d’une réconciliation n’a pas encore montré ses effets, mais elle esquisse un chemin, encouragé d’ailleurs par le verset 15 du Ps 34 : « Évite le mal, fais le bien, recherche la paix et poursuis-la. »

Si la justice est condition du vivre ensemble, il faut encore qu’elle soit accompagnée et régulée par une instance supérieure qui serve de médiation. Et quelle serait cette instance sinon Dieu lui-même, créateur aimant et réparateur discret des fautes humaines moyennant le pardon mutuel et la réconciliation ? Il s’agit du Dieu réel, qui se tient au-delà de toutes les images dont nous lui faisons porter le masque. Ici, le dialogue interreligieux paraît indispensable pour que cette purification et cette communion de pensée puissent s’effectuer. Alors, Jérusalem, la Sainte (Al-Quds), réalisera-t-elle sa vocation prophétique de Ville de paix (‘ir hashalôm) pour toutes les nations ? Ce serait un témoignage inouï !

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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