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La búsqueda estética de la fe : al pie de la cruz. J.-K. Huysmans, Romans et nouvelles, Pléiade (2019)

Isabelle Payen de la Garanderie o.v.

“Después de un libro como este, no queda más al autor que escoger entre la boca de una pistola o los pies de la Cruz.” La fórmula de Barbey d’Aurevilly concerniendo lo que se considera frecuentemente como la obra maestra de Huysmans (1848-1907), À rebours, es bien conocida porque el autor la retoma en su prefacio publicado veinte años después concluyendo con un neto: “está hecho”. (…)

J.-K. Huysmans, Romans et nouvelles, éd. publiée sous la dir. d’A. Guyaux et de P. Jourde, coll. Pléiade, Paris, Gallimard, 2019, 11x18, 1856 p., 73,00 €. ISBN 978-2-07-269982-5

« Après un tel livre, il ne reste plus à l’auteur qu’à choisir entre la bouche d’un pistolet ou les pieds de la Croix. » La formule de Barbey d’Aurevilly concernant ce qu’on considère souvent comme le chef d’œuvre de Huysmans (1848-1907), À rebours, est bien connue puisque l’auteur la reprend dans sa préface parue vingt ans après, en la concluant par un net : « c’est fait » (« Préface écrite vingt ans après le roman », p. 728). Or la sortie d’une édition Pléiade est toujours l’occasion de redécouvrir à nouveaux frais un auteur, surtout quand celui-ci oscille comme Huysmans entre affaire de connaisseurs ou méconnaissance teintée d’idées reçues : on sait en général qu’il serait l’auteur d’un livre unique, qu’il s’agit d’un des grands écrivains convertis au tournant du xxe siècle ou encore qu’il est apprécié parmi les auteurs contemporains par Michel Houellebecq.

L’édition, menée par Pierre Jourde et André Guyaux, professeurs de littérature française et huysmansiens de longue date – le second est président de la société Huysmans –, est dotée d’un bon appareil critique, d’une chronologie précise et notamment d’une préface retraçant l’itinéraire hors norme de cet auteur. Cependant, elle est aussi le fruit d’un vrai choix éditorial : le titre indique qu’on se limite aux « romans et nouvelles », excluant par là-même le premier ouvrage de l’auteur, Le Drageoir aux épices, qui était de la poésie en prose, ou encore ses tentatives hagiographiques telle sa Lydwine de Schiedam ou ses essais comme Les Foules de Lourdes. Le lecteur aussi bien esthète que chrétien peut le déplorer mais il regrettera encore plus un choix dans les romans face auxquels nous pouvons demeurer dubitatifs : les romans de l’après-conversion de l’auteur, La Cathédrale (1898), vaste description symbolique de la cathédrale de Chartres, et L’Oblat (1903) ne figurent pas dans ce volume. Moins grand public que les précédents et romans pleinement chrétiens, ils forment pourtant un tout avec Là-bas (1891), excursion vers le satanisme, et En route (1895), réel roman de conversion, figurant bien pour leur part dans le volume, car le personnage principal, Durtal, demeure le même et accompagne le propre cheminement de l’auteur.

Si l’on n’a donc pas tout le pendant chrétien qui aurait été pertinent, nous pouvons néanmoins, par cette édition, suivre tout le chemin aussi bien intellectuel que narratif et spirituel de l’auteur et peut-être même, par le biais de la littérature, nous interroger sur le mécanisme de cette conversion qui en accompagne tant d’autres à cette époque. En effet, une lecture attentive de sa correspondance le suggère ou encore ces mots cités par la préface, initialement écrits dans une autobiographie sous pseudonyme :

Cyprien Tibaille [dans Les Sœurs Vatard] et André [dans En Ménage], Folantin et des Esseintes ne sont, en somme, qu’une seule et même personne, transportée dans des milieux qui diffèrent. Et très évidemment cette personne est M. Huysmans, cela se sent1.

Il convient donc de lire ces œuvres comme le récit de son itinéraire, malgré tout ce que cela comporte de romanesque. Ainsi, si l’auteur a commencé sa vie en tant que naturaliste comme en témoigne le premier roman présent dans ce livre, Marthe. Histoire d’une fille, qui reprend la figure de la prostituée chère aux naturalistes, et qu’il participe aussi à l’ouvrage collectif des Soirées de Médan avec la nouvelle reproduite ici Sac au dos, on verra vite en lui un artiste prometteur en son style, comme l’écrit Zola qui en est proche à ses débuts : « Ce que personne ne veut voir, c’est que, si le romancier va à la bête dans l’homme, l’artiste est un sensitif des plus délicats et un merveilleux ouvrier de la langue2. » Pour certains, comme pour Bloy, Huysmans restera atteint d’une manière plutôt négative du « prurit de l’épithète rare3 » mais, dans tous les cas, il y a chez lui, dès ses débuts, un goût de la recherche stylistique et cela en fait déjà un auteur à découvrir pour cette raison.

Sur le plan plus spirituel, l’évolution est intéressante : l’auteur est très vite incapable de s’en tenir à la matérialité du monde et souffre de l’Ennui, mal du xixe siècle pour ceux qui en conspuent l’utilitarisme béat. Comment vivre dans ce monde ? S’ouvre alors un triptyque formé par À vau-l’eau, À rebours et En rade, marqué par le pessimisme et une forme d’humour noir qui fut goûté en son temps par André Breton. On peut s’en horrifier mais ce côté sombre n’est qu’un symptôme d’une recherche plus profonde ainsi que l’un des éditeurs le constatait :

Cette forme de négativité de Huysmans, considérons-la comme le symptôme perpétuellement inassouvi de se nourrir, intimement, d’une substance vraie, de trouver enfin le bon objet, susceptible de réjouir l’âme et le corps4.

Ainsi, dans ces trois œuvres, les personnages vont chercher dans la nature puis dans l’artifice de quoi les rassasier : ce sera la quête de la nourriture enfin parfaite pour Folantin dans À vau-l’eau, la recherche esthétique sous toutes ses formes et pour les cinq sens, allant même vers l’artifice et tous ses excès pour des Esseintes dans À rebours tandis que Jacques Marles et sa femme dans En rade fuient dans la nature avant de s’échapper dans l’imaginaire. Désir d’absolu jamais atteint mais soif inextinguible. Las, tout ceci échouera et c’est bien pour cela que le personnage tout comme son auteur se retrouveront au pied de la croix à devoir faire un choix comme l’y invitait Barbey d’Aurevilly et comme la fin d’À rebours le suggère déjà par une humble prière :

Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s’embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n’éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir5 !

La lecture de ces trois textes s’ouvre donc à la question spirituelle et fera ensuite un détour par la question d’un « naturalisme spiritualiste » dans Là-bas, roman de l’horreur sombre du satanisme, pourtant toujours en quête d’une lumière plus grande. L’expérience sensorielle de l’auteur semble donc primordiale dans sa quête spirituelle et il est assez intéressant de la rapprocher de celle de saint Augustin, quoique leurs chemins soient différents :

Par degrés, des corps je suis monté à l’âme qui sent par le corps ; et de là à sa puissance intérieure, à laquelle les sens du corps portent le message des objets extérieurs ; de là encore à la puissance rationnelle qui recueille pour le juger ce que saisissent les sens du corps. Alors, vraiment j’ai vu que ce qu’il y a d’invisible en Toi est rendu intelligible à travers ce qui a été créé ; mais je n’ai pas eu assez de force pour fixer mon regard, et quand ma faiblesse refoulée m’eut rendu à mes vues ordinaires je ne portais en moi qu’un souvenir aimant qui faisait désirer un mets dont j’avais comme perçu l’arôme et que je ne pouvais pas encore manger6.

En route, dernier ouvrage de cette édition sonne bien comme une forme d’heureux dénouement à ce chemin, puisque Durtal se met dès le début à hanter les églises pour entendre des offices et s’estime « redevenu catholique7 » quoique demeurant insatisfait et résistant, surtout, ne fréquentant pas les sacrements. Car, si comme l’abbé Gévresin – figure romanesque du très réel abbé Mugnier – le lui dit, Dieu s’y est pris par son côté faible, l’art, pour le ramener à la foi par son goût liturgique, il n’en demeure pas moins que c’est au cours d’une retraite à la Trappe d’Igny que la grâce fera vraiment irruption dans sa vie avec une confession monastique inoubliable8 qui marque l’ouverture à une vie nouvelle, marquée par le désir de la conversion.

Mais tout n’est pas aussi simple : après la fulgurance d’une conversion, il convient d’essayer de vivre celle-ci au cœur d’une fidélité éprouvée dans le monde. Et, si l’auteur ne l’exprime pas en termes théologiques, la fin du roman montre que son personnage va peiner ainsi que lui, rêvant d’extraordinaire alors que s’ouvre devant lui le chemin de la vie chrétienne dans le monde parisien et la réalité concrète des chemins mêlés, voire tourbeux, du quotidien devant lesquels il reste très critique. « Comment réintégrer cet état de grâce, sans communion et hors d’un cloître ?9 » Quel devenir pour cette âme troublée ? C’est finalement bien auprès des cloîtres qu’il trouvera la plus grande paix. S’il peut être tentant de l’accuser de fuite du monde, il reste que l’ancrage dans la prière liturgique, au-delà de sa recherche esthétique, les façonneront, auteur et personnage, peu à peu, en des âmes priantes.

Le rapprochement effectué auparavant avec saint Augustin peut d’ailleurs nous emmener plus loin. S’il ne s’agit pas de « confessions » ici au sens strict du terme avec une visée apologétique marquée mais bien d’un roman de conversion, on peut tout de même s’interroger sur ce désir de raconter sa conversion et l’analyser avec les recherches de Xavier Thévenot en la matière. Celui-ci voit dans ce genre de récit une « épreuve pour le sentiment de cohésion interne du sujet » qui « éprouve donc toujours le besoin de dire son changement et souvent de le dire aux autres10 ». Si l’ipséité du sujet est changée, il est intéressant de remarquer avec lui que celui qui raconte « sa conversion expulse de son récit, le plus souvent de façon inconsciente, tout ce qui pourrait montrer un excès de mêmeté entre l’avant et l’après11 » et a tendance à accentuer ce qui était mal avant et à décrire de manière méliorative l’après. Si ce dernier point est vrai chez Huysmans, sa difficulté d’habiter le monde et son pessimisme latent font que la continuité de son récit de vie demeure réelle. Il convient également de noter le pas de côté qu’est la forme romanesque par rapport au récit de conversion. Il permet la mise à distance et le maintien d’une pudeur certaine sur cette action de Dieu en lui qui continuera à le faire avancer malgré tout et lui fera même chercher à aider ceux qui sont, ainsi que lui, « tourmentés par la grâce12 ».

Dans tous les cas, même si l’on n’a pas dans ce volume l’achèvement plus apaisé de la fin de la vie de Huysmans durant laquelle celui-ci vit en oblat bénédictin, cet ouvrage offre la mise en évidence d’un véritable chemin esthétique et spirituel. Il est marqué par l’insurpassable Ennui, harassé par une acédie existentielle mais celle-ci est détruite finalement par la flamboyance d’une rencontre bouleversante avec le Seigneur.

Notes de bas de page

  • 1 A. Meunier (pseudonyme pris par Huysmans lui-même), « Joris Karl Huysmans », Les Hommes d’aujourd’hui 263 (1885), p. 28, cité dans la préface, p. xxi.

  • 2 É. Zola, « Céard et Huysmans », Le Figaro, 11 avr. 1881.

  • 3 L. Bloy, « J.-K. Huysmans de l’Académie Goncourt », Les Dernières Colonnes de l’Église, Paris, Mercure de France, 1903, p. 24.

  • 4 P. Jourde, « Le bon objet », Bulletin de la Société Joris-Karl Huysmans 100 (2007), p. 3.

  • 5 À rebours, p. 714.

  • 6 St Augustin, Conf., 7, 23.

  • 7 En route, p. 1182.

  • 8 Ibid., p. 1355-1357.

  • 9 Ibid., p. 1473.

  • 10 X. Thévenot, Compter sur Dieu. Études de théologie morale, coll. Recherches morales. Positions, Paris, Cerf, 1992, p. 276.

  • 11 Ibid., p. 277.

  • 12 « Préface à la deuxième édition d’En Route », 1897, p. 1476.

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