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Vous serez fils du Très-Haut - Luc 6,20-49

Philippe Wargnies s.j.
Le «discours dans la plaine» de Luc 6,20-49, plus bref que celui «sur la montagne» de Matthieu 5-7, est moins souvent évoqué. Il se présente dans un cadre narratif différent. Sa situation, ses accents spécifiques, sa cohérence et sa vigueur méritent d'être mieux connus. L'article considère le rapport de ce discours avec ce qui le précède. Puis il en commente le déroulement au fil de quatre sections qu'on peut y distinguer. Il souligne leur articulation, ainsi que la portée décisive de l'invitation à imiter notre Père miséricordieux, dans son lien avec la «règle d'or». L'ensemble du texte aide à interpréter cette dernière dans la perspective lucanienne.

Le discours «dans la plaine» a souvent été étudié de près. Nous le parcourrons, ici, pour le non-spécialiste, attentifs à sa situation et à sa cohérence. Nous citons Luc d’après la tob, sauf remarque contraire. On gagnera à relire d’abord ces trente versets.

Le discours une fois replacé dans ses contextes large (I) puis rapproché (II), nous le suivrons au fil des quatre sections qu’on peut y distinguer, en manifestant leur agencement (III). Au passage, nous interrogerons le rapport entre «la règle d’or» et l’imitation du Père miséricordieux. Nous conclurons brièvement.

L’évangile de Jean inclut plusieurs discours, tels ceux sur le pain de vie ou après le lavement des pieds1, d’une belle ampleur théologique. Du côté synoptique, Marc, fort narratif, ne présente guère que deux discours suivis: celui en paraboles (4,1-34) et celui sur la venue du Fils de l’Homme (13,1-37). Matthieu, lui, rythme son évangile autour de cinq grands discours, en alternance avec des portions de récit subséquentes2: les discours «sur la Montagne» (ch. 5-7), d’envoi en mission (10), en paraboles (13,1-52), sur la communauté (18) et enfin celui sur la venue du Fils de l’Homme (24-25)3, énoncé «sur la Montagne des Oliviers».

Luc reprend lui aussi un abondant matériau discursif4, mais le répartit autrement: souvent Jésus, par ses propos directs ou paraboliques5, éclaire ce que relatent les contextes immédiats où il s’exprime6. Les longs ch. 11 et 12 enchaînent des paroles de Jésus, mais face à des auditoires successifs et des intervenants divers7. Ce qui touche la venue du Fils de l’Homme, notre évangéliste le traite plus brièvement que Matthieu et en deux discours distincts8, en situations différenciées. Avant cela, comme assez long discours, nous n’avons guère, chez Luc, que celui de 6,20-49. Identifions d’abord son contexte.

I Le contexte lucanien

L’évangile de l’enfance (Luc 1-2) livre un bien propre à l’évangéliste. Vient ensuite, de Luc 3,1 à 9,50, une section «galiléenne» dont la teneur rejoint assez bien Mc et Mt. On y trouve d’abord l’ensemble de Luc 3,1 à 6,19, narratif. Son matériau a largement son équivalent chez les deux autres. Mais quant à l’ordre des séquences, le parallèle soutenu, d’abord manifeste entre les trois9, ne joue plus ensuite qu’entre Luc 4,31 à 6,19 et Marc 1,21 à 3,1910.

Avec Luc 6,20-49, on passe du récit à un vigoureux discours de Jésus, sans équivalent chez Marc. La comparaison s’impose ici avec Matthieu 5-7. Chez ce dernier, le «discours sur la Montagne» intervient rapidement: après les tentations et ce qui ne sont encore que des sommaires sur les débuts de la proclamation de Jésus et de son activité. En tout cas, avant la section de récit de Mt 8-9, qui détaille cette activité. Chez Luc, par contre, avant le «discours dans la plaine», nous avons déjà vu Jésus en action. Or, ses interventions et ses comportements ont commencé à susciter étonnement, admiration, louanges mais aussi, déjà, murmures et discussions, voire de l’opposition. Avec ses disciples parfois, il a rencontré de premières manifestations de rejet ou d’hostilité11, vivement soulignées: on veut, sans plus, «le précipiter» d’un escarpement de la montagne (4,29); on le soupçonne de «blasphèmes» (5,21); on se demande ce qu’on va «lui faire» (6,11), comprenons: pour le mettre hors-jeu12. Le «signe contesté» qu’annonçait Syméon (2,34) se profile assurément.

Lorsque les disciples ont été pris à partie avec leur maître (5,30.33; 6,1), Jésus les a défendus, en justifiant leur comportement en raison de leur lien avec lui et de la nouveauté qu’il instaure comme «médecin» venu appeler les pécheurs (5,31.32), «époux» ou descendant de David dont ils sont compagnons (5,34 et 6,3.4), Fils de l’Homme «‘Seigneur’ du Sabbat» (6,5).

L’opposition naissante a été le fait de Juifs: des gens de Nazareth (4,28.29), puis des pharisiens et des scribes ou légistes, déjà mentionnés six fois13. Les contextes synagogaux et sabbatiques ont été soulignés14. Ph. Bossuyt et J. Radermakers15 voient ce discours comme terminant un ensemble qu’ils intitulent La Parole à Israël (ch. 5 et 6), avant de passer à une section inaugurant La Parole missionnaire (7,1-8,21). Nous serions donc à la jonction des deux perspectives. De fait, dans l’épisode qui suit le discours (7,1-10), un centurion apparaîtra. En présence des anciens des Juifs qu’il aura mandatés auprès de Jésus, ce dernier déclarera: «Même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi» (7,9). La formule marque un tournant, une ouverture sur l’au-dehors d’Israël16, annoncée dès les débuts à Nazareth (4,23-27).

Voilà donc un aspect de ce que nous avons en tête à ce stade du récit: des oppositions se font jour à l’égard de Jésus et de ses premiers compagnons; elles attestent la résistance que rencontre la parole à l’intérieur d’Israël. Or, à l’approche de notre passage, le narrateur insiste sur les «disciples» de Jésus en 6,13.17.20. Ce dernier va lui-même évoquer la situation du «disciple» (v. 40). Ainsi, chez Luc, le discours que Jésus s’apprête à tenir va résonner aux oreilles des siens comme déjà chargé d’une certaine expérience à ses côtés. L’invitation à l’amour des ennemis convoquera des visages concrets de scribes et de pharisiens, qui les ont mis en cause.

Quant à la situation de l’évangéliste, on se souviendra que Luc, d’origine non-juive sans doute, dut ressentir vivement l’opposition de judaïsants critiques à l’égard de pagano-chrétiens17. Pour ses lecteurs non-juifs convertis au Christ, comme pour les premiers disciples de Jésus, le discours, sans ignorer cette forme d’hostilité, va déborder le cadre d’un conflit synagogal et sabbatique. Il va traiter l’enjeu de fond pour tout homme en butte à l’inimitié, spécialement «à cause du Fils de l’Homme», et baliser le chemin de la béatitude proposée aux fils du Très-Haut.

II À l’approche du discours

En 6,12, on lit la formule de transition: «Or, il arriva en ces jours …». Même vague, elle nous relie au verset précédent (11), qui signalait la «fureur» de scribes et de pharisiens, précisément (7). Dès lors, la prière de Jésus — insistance ici propre à Luc comme déjà en 3,21 et 5,16 — inclut sans doute une note particulière: celle que nous livrera l’invitation «priez pour ceux qui vous calomnient» (28). Luc évoque alors le choix des Douze parmi les disciples, en donne la liste et, en montrant les foules attirées et guéries par Jésus dans la plaine, annonce l’ampleur de son auditoire imminent. Marc, qui ne rapportera pas de discours, présente les foules pressant Jésus avant la désignation des Douze; et chez Matthieu, leur liste n’intervient qu’au seuil du discours d’envoi en mission (Mt 10). Seul Luc, donc, rapporte un premier long discours une fois les Douze nommés et redescendus dans la plaine avec Jésus. Nous imaginons les apôtres parmi ses auditeurs. Leur désignation a resserré leur relation avec lui.

Entre le choix des Douze et leur liste, la précision «auxquels il donna le nom d’apôtres», propre à Luc18, dit plus que «désigner comme» apôtres; elle signifie donner la dénomination d’apôtres19, «envoyés». Soupesons bien ce terme. La lxx utilise plus de sept cent fois le verbe apostellô, envoyer, mais guère le substantif dérivé, apostolos20. L’usage biblique du mot est une création du Nouveau Testament: une occurrence chez Mt, Mc et Jn respectivement, mais six chez Lc, une trentaine dans ses Actes et une quarantaine ailleurs, surtout chez Paul21. «Apôtre», à la différence de «disciple», implique une dimension missionnaire, dont la source est postulée dans l’envoi constitutif de l’identité apostolique22. Si le recours à ce terme inédit traduit l’initiative de Jésus lui-même, ce dernier révèle, ce faisant, le lien qu’il entend nouer avec les Douze. Car Jésus s’est dit lui-même «envoyé»: nous l’avons entendu dans les termes d’Isaïe qu’il s’approprie dans la synagogue de Nazareth (4,18). L’insertion habile d’un passage d’Is 58,6 dans la citation d’Is 61,1.2 donnait d’y entendre le Christ dire: «Il m’a envoyé (…) pour proclamer (…) (et) pour envoyer…». Jésus, qui aura redit: «j’ai été envoyé» (4,43) et y insistera encore23, qualifie ici d’envoyés les Douze qu’il se choisit, pour leur signifier leur participation à sa mission24. L’audace de ses exigences, dans son discours, suppose une telle connivence.

Jésus, plutôt que de monter vers la montagne (Mt 5,1), en redescend, d’ailleurs «avec» les Douze. Cette préposition (meta + génitif) confirme la proximité relationnelle25. Dans une évocation débouchant sur un sommaire26, Luc souligne alors la multitude et l’attente de ceux qui viennent à Jésus pour bénéficier de sa parole et de son agir. Ceux venus «du littoral de Tyr et de Sidon» peuvent rappeler la veuve de Sarepta «au pays de Sidon», évoquée par Jésus comme annonce d’ouverture en dehors d’Israël (4,26); et à côté d’une «grande foule de ses disciples» (17), Luc rapporte la présence de «toute la foule» en général (19). L’expression n’exclut pas pour autant le rapport de Jésus avec «la multitude du peuple»; comprenons: du peuple juif, en référence aux usages antécédents du mot chez Luc27 et à son sens biblique. La présence de gens accablés de maladies ou d’esprits impurs ouvre le lecteur aux situations de détresse que vont relire les béatitudes. Quant à la puissance (‘force’, tob) de guérison sortant de Jésus, nous savons depuis 5,17 que c’est «une puissance du Seigneur».

À qui va s’adresser Jésus? Nuançons la réponse. Du peuple mentionné au v. 17, nous apprendrons en 7,1 qu’il aura entendu le discours: «Quand Jésus eut achevé tout son discours devant le peuple …». Ici, pourtant, Luc nous montre Jésus levant les yeux28 sur ses disciples, parmi lesquels les Douze, sans doute. Auditoire privilégié, certes. Mais à l’avant-plan29, et non pas exclusif, en aparté. En s’adressant «à vous qui écoutez» (27), Jésus pourra viser tout disciple potentiel. Ne va-t-il pas dire: «Tout (homme) qui vient à moi, qui écoute30 mes paroles…» (47)? Comme en écho, du reste, à la notation préliminaire sur la multitude de ceux «venus pour l’écouter et se faire guérir», y compris de territoires païens, notions-nous (17.18). Nous sommes bien à la jonction entre la Parole à Israël et cette Parole missionnaire dont Luc est soucieux pour les lecteurs qu’il vise. Plus que le Discours sur la Montagne, celui dans la plaine se voudra audible aussi pour des pagano-chrétiens. Venons-y.

III Le discours

Les éléments du discours lucanien ont leurs correspondants, globalement parlant31, dans celui de Mt 5-7 (ou, plus rarement, ailleurs chez Matthieu). Et ce, pratiquement dans le même ordre32, hormis la place de la règle d’or, au cœur du discours lucanien (6,31). Matthieu la rapporte, lui, en conclusion, comme résumant «la Loi et les prophètes» (Mt 7,12). Cela avant l’exhortation finale de son discours, par ailleurs plus long: pour des lecteurs judéo-chrétiens, il a développé dans son chapitre 5 les antithèses «vous avez appris qu’il a été dit…; or, moi, je vous dis: …». Luc, lui, ne cite pas la Loi mosaïque et ne retient de cet ensemble matthéen que l’invitation à l’amour des ennemis (cf. Mt 5,38-47). Mt 6,1-18, toujours attentif aux judéo-chrétiens, rapporte, contrairement à Luc, les invitations à pratiquer l’aumône, la prière et le jeûne dans le secret. L’enseignement du Notre Père, Luc le remet à plus tard, de même que les exhortations à ne pas s’inquiéter et à demander avec insistance33.

Bref: comparativement parlant34, Luc omet ou postpose plusieurs péricopes du discours matthéen. D’où un discours bien plus ramassé (30 versets contre 108 chez Mt!), spécifiquement centré sur la conversion de nos rapports avec autrui en Lc 6,27 à 42, et formulé en des termes accessibles à tout homme.

Dans l’ensemble de 6,20-49, quatre étapes peuvent être discernées, si l’on retient comme marqueur initial, chaque fois, l’usage du verbe dire35 que font le narrateur ou Jésus36:

  • v. 20: «Alors, levant les yeux sur ses disciples, Jésus disait: …»: introduction aux béatitudes-lamentations, en même temps qu’à tout l’ensemble, avec l’imparfait duratif «disait»;

  • v. 27: «mais je vous dis, à vous qui m’écoutez: …»: captatio benevolentiae qui passe des ‘déplorés’ aux auditeurs présents, pour l’exhortation détaillée à l’amour inconditionnel;

  • v. 39: «Or, il leur dit aussi une parabole»: passage à un registre diversement imagé37: les aveugles, la paille et la poutre, l’arbre et ses fruits, le ‘trésor’ du cœur.

  • v. 46: «Pourquoi (…) ne faites-vous pas ce que je dis?»: Jésus, renvoyant à tout son «dire» antérieur, ouvre sa conclusion sur la mise en pratique. Avec une image, encore, finale cette fois: celle de la maison bien fondée ou non.

1 Béatitudes et lamentations (v. 20b-26)

Les v. 20b-26 sont déclaratifs. Ils ont valeur de révélation, et d’appel-avertissement38 adressé à notre liberté. Béatitudes et lamentations. Non pas «bénis» / «maudits»39, mais quatre «heureux» et quatre «hélas pour…!» (ouai + datif) qui leur sont opposés à l’enseigne d’un «mais» contrastif (plèn, ‘pourtant’)40. «Malheureux», disent la tob ou Sr J. d’Arc: traduction plus juste que «Malheur à» (bj, Osty). Les contenus contrastés sont assortis de leurs justifications: «parce que…»41. Il s’agit de faire prendre conscience de la vraie nature de nos situations sous le regard de Dieu et dans son dessein de salut; et, dans les quatrièmes énoncés respectifs, de discerner notre qualité de vrais ou de faux prophètes42 (23.26), en même temps que le porte-à-faux dans lequel se mirent «leurs pères» — entendons ceux des Juifs qui s’opposent à Jésus —, par rapport à la rectitude attendue.

Luc et Matthieu égrèneront des «hélas» de Jésus plus loin encore43, sur les scribes et les pharisiens. Mais Luc, en opposant déjà des lamentations aux béatitudes, caractérise d’emblée deux voies incompatibles44. Les quatre béatitudes retenues évoquent des situations objectives de déréliction (pauvreté, faim, pleurs, rejet subi), davantage que les béatitudes de Mt 5,3-12 — neuf, chez lui, et pas de lamentations —, qui s’attachent surtout aux attitudes, aux dispositions: pauvres en esprit, doux, affamés et assoiffés de justice, prenant pitié, purs de cœur et pacifiques. Luc accentue le réalisme factuel, général dans son évangile. C’est dans la ligne, d’ailleurs, de la citation d’Is en Lc 4,18: «annoncer la bonne nouvelle à des pauvres, etc.», reçue dans son sens littéral et concret. Mais l’approfondissement du texte nous en montre l’enjeu spirituel, aussi.

L’articulation en diptyque ne doit pas nous masquer le dynamisme discursif de la péricope: la quatrième béatitude opère un passage. Elle présente un développement qui excède la simple symétrie balancée entre «heureux» et «hélas». Elle correspond d’ailleurs à la béatitude, «supplémentaire» aussi, de Mt 5,11 (huit béatitudes45 plus une); elle semble compléter le noyau peut-être initial des trois premières. Elle en donne comme une clé d’interprétation pour qui est en situation de disciple. Luc la développe autour de quatre verbes46: «Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent … rejettent … insultent … proscrivent votre nom…»; elle s’éclaire dans l’«à cause du Fils de l’Homme» et l’assurance d’une grande récompense dans le ciel. C’est donc relativement à l’accueil ou non du Fils de l’Homme en ses témoins que se joue désormais le porte-à-faux par rapport aux vrais prophètes; que l’attitude de «leurs pères» est relue comme annonçant celle des opposants contemporains de Jésus et des débuts de l’Église; qu’est révélé le chemin du disciple appelé à partager les épreuves prophétiques du Fils de l’Homme, face aux persécutions.

Les quatre «maintenant» du texte (21.25) et la précision «en ce jour-là» (23) — et non pas «après ce jour-là» — permettent à l’auditeur-lecteur de se reconnaître «heureux» ou non dans l’actualité de sa situation, déjà. Il s’en voit révéler l’aboutissement futur mais aussi le sens présent. Car le «maintenant» spécifie certes «ceux qui ont faim maintenant», etc., mais suggère aussi «heureux… maintenant». Un «heureux» déjà réel, dans l’union au Seigneur: «le Royaume de Dieu est à vous» (20), «heureux êtes-vous» (22), «votre récompense est grande dans le ciel» (23). Ce «ciel» n’évoque guère tant un «après-terre» (sans l’exclure!) que notre béatitude en tant que «fils du Très-Haut» dès ici-bas (35)47. Ces paradoxes surprenants prennent force d’interpellation: pour le lecteur de l’évangile, sollicité par Jésus, il est encore temps de se convertir, de choisir le témoignage courageux et béatifiant plutôt que la défection ‘lamentable’ à l’égard du Fils de l’Homme. Ces béatitudes peuvent parler singulièrement aux disciples du Christ, dès lors qu’elles les évoquent en tant qu’ils lui rendent un témoignage éprouvé. Du reste, on a déjà vu Jésus lui-même connaître la pauvreté (cf. la nativité), la faim (cf. au désert et Lc 6,3), la contradiction (cf. supra, note 11)48: épreuves dont il révèle le sens en raison de «la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu», pour le dire dans les termes de 4,43 et de la première béatitude.

Les versets 22, 23 et 26, où culminent les deux séries respectives, préparent la suite du discours par divers indices: ils nous situent, «à cause du Fils de l’Homme», face aux hommes49, qu’on retrouvera dans la règle d’or (31); ils évoquent une grande récompense dont reparlera le v. 35; ils dénoncent ce que leurs pères «faisaient», littéralement, aux prophètes / faux-prophètes50: la suite insistera sur la qualité et l’effectivité du «faire», en reprenant douze fois ce verbe de 6,27 à 49, notamment pour dire «faire du bien»51!

Or, dans la guérison toute récente de l’homme à la main sèche (6,6-11), Jésus a pointé cet enjeu du débat: «Est-il permis le jour de sabbat de faire le bien ou de faire le mal (agathopoiein / kakopoiein), de sauver une vie ou de la perdre?». Et le v. 11 concluait cet épisode avec les scribes et les pharisiens discutant sur ce qu’ils pourraient «faire» à Jésus, expression propre à Luc. Ceci préparait le rappel sévère de ce que leurs pères «faisaient» aux prophètes (22.23), à la charnière de nos béatitudes-lamentations. Béatitude de la vie sauvée; lamentation pour sa perte.

2 L’amour selon Dieu (v. 27-38)

Passons aux v. 27-38. «Mais je dis, à vous qui m’écoutez…». Ce «mais» adversatif se démarque de ce que déploraient les lamentations. Cet ensemble est très charpenté. On passe du déclaratif à l’exhortatif. À l’appui d’une rhétorique persuasive, deux traits stylistiques frappants: l’accumulation d’impératifs d’injonction ou de défense («ne… pas»); l’insistance selon une «loi des séries» syntaxiques quadruples ou triples, dans la foulée rythmique des béatitudes / lamentations et moyennant l’insertion habile de quelques ajouts lucaniens (cf. supra n. 31) pour renforcer ces régularités sérielles.

Les v. 27-30 alignent d’abord quatre impératifs paradoxaux (27.28), dont les deux premiers (aimez vos ennemis, faites du bien…) se retrouveront aux v. 32.33 puis encore 35. Puis quatre impératifs de dépassement (À qui te frappe…, présente aussi…, etc.); on y note le caractère concrètement imagé des exemples et l’adresse personnalisée en «tu» — qu’on retrouvera aux v. 41.42 —, dans une alternance de formulations positives et négatives («ne refuse pas aussi…»). La dernière, «ne redemande pas», prépare la question du prêt.

Au v. 31, la «règle d’or», avec sa formule d’alignement: «comme vous voulez que les hommes agissent (= fassent) envers vous»52. À la différence de Matthieu, elle est ici intérieure au développement sur l’amour des ennemis, ce qui impose de l’interpréter bien au-delà d’une bilatéralité sommaire. On va y revenir.

Les v. 32 à 34 dénoncent d’ailleurs l’incapacité à dépasser le donnant-donnant, en trois formulations parallèles, elles-mêmes triplement scandées: «Si vous aimez ceux qui vous aiment / quelle reconnaissance vous en a-t-on? / Car les pécheurs aussi…», etc. Puis le v. 35, s’ouvrant sur un même «mais» qu’au v. 2453, reprend la triade, avec une amplification sur la question du prêt sans retour, dont la mention est propre à Luc: ici se manifeste la pure gratuité. Le Très-Haut n’attend, lui, rien en retour, ni maintenant ni plus tard, de la part des ingrats et des méchants. Pour ceux qui sont appelés à être ses fils, la «récompense» joue dès lors en surcroît béatifiant, et non comme un dû. Le terme grec pour «ingrats» est a-charistous, littéralement «sans-‘rendre-grâce’», ce qui répond subtilement aux versets 32.33.34. Comment? Ce que la tob traduit trois fois par «quelle reconnaissance vous en a-t-on?»54, Sr J. d’Arc le rend judicieusement par «quelle gratitude pour vous?»: terme plus proche du grec qui dit, littéralement, par trois fois: «quelle ‘grâce’ (charis) est à vous?» La nuance de «reconnaissance» n’est pas à exclure (cf. Lc 17,9). Mais l’invitation à entrer dans la «gracieuseté», la gratuité divine semble s’imposer davantage, sous l’interrogation «quelle grâce est à vous?».

Au v. 36, une seconde formule d’alignement en «comme» vise cette fois l’adéquation à notre Père miséricordieux. Traduisant le lien entre l’amour de Dieu et celui du prochain, elle aide à bien réinterpréter la règle d’or rencontrée en position comparable, soit au terme d’une série (31).

Les versets 37.38 renouent avec le rythme quaternaire, par deux défenses (ne jugez ni ne condamnez) puis deux injonctions (pardonnez, donnez), et leurs réciproques exprimées chaque fois sous un «passif divin» («et vous ne serez pas jugés», comprenons: par Dieu). Le sous-entendu de Dieu comme agent se confirme dans l’amplification du v. 38b, analogue à celle de 35b. Les mentions de la «mesure» y encadrent la quadruple qualification «belle / tassée / secouée / débordante», qui dit une magnanimité toute divine.

Revenons encore sur les points d’orgue qu’offrent les versets 31 et 36, formulés en «comme».

La règle d’or, au moins sous sa forme négative («Ne fais pas à autrui…») est connue de l’Antiquité profane et de la Bible (cf. Tobie 4,15). La formulation positive, ici, ouvre à bien davantage: s’abstenir du mal ne recouvre pas encore tout le champ du «faire du bien» (v. 27.33.35). Il n’est pas dit: «comme les hommes agissent…», mais: «comme vous voulez que les hommes agissent…». Qu’y a-t-il à vouloir, et donc à faire à autrui, non pas dans la situation où nous nous trouvons présentement, mais dans celle où nous pourrions nous trouver… tout en sachant que nous n’y serons peut-être jamais? Tel est le décentrement requis. Par exemple, dans une situation de débiteur insolvable, ne voudrions-nous pas être déliés de l’exigence de restitution? Ou encore, n’aimerions-nous pas qu’on nous pardonne une offense irréparable (v. 37c, également propre à Luc, là55), une hostilité regrettable? Ces exemples, tirés du contexte où la règle d’or est ici reprise, imposent d’en interpréter le «comme» non dans le sens d’une simple parité, d’une sorte de donnant-donnant, à la limite d’un intérêt calculé d’avance, mais comme une requête de gratuité, d’amour «excessif»! En Matthieu, Jésus parle d’une justice qui doit surabonder par rapport à celle des scribes et des pharisiens (Mt 5,20), ou des publicains, ou des habitants des nations (5,47). Luc, lui, en scande l’exigence, on l’a vu, sous le régime de la «grâce» qu’ignorent «les pécheurs» non convertis (32-34), et à l’imitation du Père miséricordieux. Revenons à lui.

Pour le verset 36, la tob en est venue à traduire: «Soyez généreux comme votre Père est généreux». L’option, discutable, croit rendre «l’idée de toute la section» 36-42, comme expliqué en note tob. Mais compte tenu de l’usage du mot dans la lxx et aussi de ce qui précède ici le verset56, il vaut mieux garder: «Devenez miséricordieux…»57. Matthieu, davantage référé au Lévitique et à la Loi, dit: «Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait» (Mt 5,48; cf. Lv 19,2). «Miséricordieux» rend l’adjectif oiktirmôn, qu’on ne rencontre dans le NT qu’ici en Lc58 et en Jc 5,11: «le Seigneur est compatissant (‘plein d’entrailles’) et miséricordieux»59. Dans la lxx, le mot intervient treize fois; il désigne un attribut spécifique de Dieu60, tel qu’il se manifeste par exemple pour le renouvellement de l’Alliance après l’offense du veau d’or61. Pour devenir miséricordieux comme notre Père, pour vivre la règle d’or dans la radicalité de son acception chrétienne, nous avons à suivre l’attitude de Jésus: Gabriel n’a-t-il pas annoncé «fils du Très-Haut» Jésus lui-même (1,32)? Ce dernier nous invite ici à l’être à notre tour (35). N’est-ce pas tout filialement que Jésus a passé la nuit «dans la prière de Dieu» (v.12, litt.)?

Des versets 39 à 45 puis 46 à 49, Jésus passe à un style imagé, parabolique (cf. supra, n. 37). Luc rassemble et organise ici à sa façon des propos répartis ailleurs chez Matthieu62. Il ponctue l’ensemble d’interrogations didactiques63: «Un aveugle peut-il…?», «Ne tomberont-ils pas…?» (39); «Qu’as-tu à regarder…?» (41); «Comment peux-tu dire…?» (42); «Et pourquoi m’appelez-vous…?» (46).

3 Il leur dit aussi une parabole (v. 39-45)

Les versets 39 à 42. Cette illustration démarre sur des sortes de dictons (39b.40). Elle prolonge l’invitation à ne pas juger ni condamner (37). Elle s’exprime sur un registre «visuel» cohérent (aveugle, paille/poutre dans l’œil, regarder), où semble détonner, au v. 40, la question du disciple par rapport à son maître. Jésus voudrait y dire ceci: commence par te laisser former par ton maître, guérir de tes aveuglements (39), avant de prétendre corriger les autres (paille/poutre…) et te présenter comme maître pour les guider. L’insistance triple sur «ton frère» et la mise en scène a contrario: «Frère, attends…» (42) s’accordent avec l’affirmation «vous serez fils du Très-Haut». Conformément à la règle d’or revisitée, il s’agit d’être frères comme fils d’un même Père miséricordieux pour tous; d’aller dans le sens de la correction fraternelle et non de prétendre reprendre le prochain sans s’amender soi-même.

Jésus vient d’inviter, pourrait-on dire, à une disparité de sur croît, miséricordieuse bonté en réponse au mal (27-36). Ici, il dénonce la disparité pécheresse «paille-poutre». Pour nous convertir, il maintient dans son juste sens la distinction «disciple maître», formatrice en ce qu’elle vise une adéquation: «tout (disciple) bien formé sera comme64 son maître».

Des versets 43 à 45, une autre image implique une autre adéquation: celle entre l’arbre et ses fruits. Ici résonne la prédication de Jean: «Faites donc des fruits dignes de la conversion» (3,8.9), qui suscitait la triple demande: «que nous faut-il faire?» (3,10.12.14). Tel est le point.

Les versets 43-44 rappellent une évidence agricole, tout comme la question sur l’aveugle repartait du sens commun. Un «car» initial (43)65 marque le lien avec l’appel à se départir de l’hypocrisie (42)66 par laquelle, bien qu’aveugle, on veut corriger l’autre: prétention à porter un bon fruit alors qu’on a le cœur mauvais, montrera le v. 45.

Le v. 43 réfute ce qui n’est pas: la distorsion entre la qualité de l’arbre et celle du fruit; le contraste bon/malade s’exprime dans les deux sens, vice-versa. Au v. 44b, de nouveau ce qui n’est pas, en deux vagues parallèles («ce n’est pas…, ni…»): l’argument par l’absurde envisage l’impossible correspondance, cette fois, entre ce qui n’est même pas un arbre à fruit (buisson d’épines, ronces) et la production surréaliste d’un fruit (figues, raisin). Au centre (44a), la formulation positive et généralisante «chaque arbre en effet se reconnaît au fruit qui lui est propre». Elle prépare l’application des images au niveau éthique et spirituel: «L’homme bon…». Subtilement, le texte, après avoir fait remonter du fruit à l’arbre (l’arbre connu d’après son fruit), cristallise son corollaire inverse dans la formule finale, d’amont en aval: «d’après l’abondance d’un cœur parle sa bouche», littéralement.

Ceci se lit au v. 45. Ce dernier applique le rapport arbre-fruit au lien entre l’intériorité du cœur (début et fin du verset) et la «production» extérieure. Nous avons déjà rencontré huit fois le «cœur» en Luc67: il désigne — bien bibliquement — le siège des pensées et dispositions intimes, tantôt «bonnes»68, tantôt indéniablement «mauvaises»69, pour le dire avec les adjectifs ici répétés.

«D’après l’abondance d’un cœur parle sa bouche»70. Le fruit qualifié est ici de l’ordre de la parole, conformément à la question précédente: «Comment peux-tu dire à ton frère: …?» (42), et à la suivante, qui ouvre en outre à l’ordre du faire: «Pourquoi m’appelez-vous: Seigneur, Seigneur! et ne faites-vous pas ce que je dis?» (46). Jésus dénonce l’interpellation aveuglée envers le frère et l’invocation sourde, en fait, à l’interpellation venue du Seigneur.

4 Mettre en pratique (v. 46-49)

Ce passage (depuis le v. 43) a son parallèle, moyennant des accents propres, en Mt 7,16-27, où il constitue pareillement l’épilogue exhortatif de tout le discours. Par rapport à ce qui précède, relevons le lien entre l’insistance sur le fruit «à faire»71 et l’invitation finale à «faire»72; et le rapport entre «l’homme bon, qui du bon trésor de son cœur…» (45) et l’homme qui bâtit une maison (48.49). L’adresse en «vous» (46.47) resitue l’ensemble de l’auditoire face à tout le discours impératif de Jésus («ce que je dis»). Luc termine en troisième personne via la comparaison imagée (48.49): «Il est semblable à…». Le «faire» ici requis n’est autre que la capacité de résister à une crue violente: l’épreuve rappelle la condition du disciple persécuté, qu’envisageait la quatrième béatitude. L’aptitude à tenir bon dépend du soubassement. Le v. 48 y insiste: pour bâtir, il s’agit de creuser, d’aller profond, pour enfin poser un fondement sur le roc; le tout est résumé dans le «bien bâtie». Cette préparation patiente contraste avec la carence énoncée lapidairement: «sur le sol, sans fondations» (49). Le discours s’ouvrait sur l’opposition béatitudes / lamentations. Il se clôt sur le binôme maison solide / maison caduque. Ce diptyque final visualise l’urgence du choix sans compromis devant lequel Jésus met ses auditeurs, et son enjeu face au risque d’une ruine irréversible: «et la destruction de cette maison a été totale», point final.

Conclusion

La comparaison synoptique nous a spécifié, dans la trame narrative lucanienne, le contexte précédant le discours dans la plaine, de loin puis de près. Il éclaire la portée des paroles de Jésus pour ses destinataires, notamment ses disciples, dont les Douze. La condensation du discours, comparé à celui de Mt 5-7, fait ressortir dans une expression très construite la pierre de touche des béatitudes et lamentations, puis l’exigence forte que Jésus pose sans ambages pour quiconque vient à lui, s’exposant dès lors à l’audacieuse béatitude du rejet «à cause du Fils de l’Homme». Exigence éthique et spirituelle, dans le lien entre notre rapport au prochain, même hostile, et notre relation à notre Père, à imiter comme «miséricordieux». Exigence «dé-mesurée» (38) — qui peut vraiment aimer ses ennemis? — si l’esprit filial ne nous en est donné. Il s’agit d’une grâce à recevoir du Père («quelle grâce est à vous?», 32-34), en se laissant conjoindre à son Fils. Jésus parle en effet de notre lien avec lui au début et à la fin du discours: «à cause du Fils de l’Homme» (22); «pourquoi m’appelez-vous: Seigneur, Seigneur! et ne faites-vous pas ce que je dis?» (46).

Dans la contradiction naissante face aux scribes et pharisiens, les disciples ont entendu Jésus revendiquer, comme Fils de l’Homme, autorité pour remettre les péchés (5,24) et seigneurie sur le sabbat (6,5). Il s’agit maintenant de venir à lui (47): non seulement pour «entendre ses paroles» (cf. 6,18.27) mais encore pour recevoir de lui la force de les mettre en pratique, surtout là où survient la souffrance à cause de ce même Fils de l’Homme. Recevoir de lui la conversion par sa «force/puissance» (19) qui guérit les corps malades, les esprits possédés (18) et, de tous, les cœurs toujours quelque peu mauvais (45). Cette «puissance du Seigneur» (5,17) donne de lui dire «Seigneur, Seigneur!» non pas à la légère mais d’un cœur renouvelé, pour aimer même ses ennemis, par grâce de filiation: «et vous serez les fils du Très-Haut» (35)73. Telle est la béatitude chrétienne selon l’Évangile de Luc: heureux rime avec miséricordieux. La règle d’or s’en trouve évangélisée.

Notes de bas de page

  • 1 Jn 6,26-59 et 13,31 à 16,33. Discours «dialogués»: Jésus rebondit sur les brèves interventions des auditeurs.

  • 2 Jean Radermakers, dès son commentaire Au fil de l’évangile selon saint Matthieu. Lecture continue (Bruxelles, IET Éditions, 2e éd., 1974), a bien montré comment chaque ensemble narratif s’adosse au discours qui le précède (cf. p. 20)… plutôt qu’à celui qui le suit, comme le voudraient encore et le plan de la bj (éd. 1998, p. 1669) et l’hypothèse que l’introduction de la tob s’obstine à mentionner, pour en critiquer de toute façon la faiblesse (éd. 2010, p. 2093).

  • 3 On pourrait reconnaître aussi un certain statut de discours à son chap. 23. Les discours en question couvrent respectivement 108 versets, 38, 50, 33, (39: ch. 23) et 94, le premier et le dernier étant de loin les plus longs.

  • 4 Les passages discursifs que Luc a en commun avec Mt, à l’exclusion de Mc, lui viendraient de leur usage à tous deux de la source Q, recueil de paroles postulé par la «théorie des deux sources» sous-jacentes à Mt et Lc: Mc pour des matériaux narratifs surtout et la source Q (Quelle = ‘source’ en allemand) pour des logia de Jésus.

  • 5 Dont bon nombre sont propres au 3e évangile. Luc présente un abondant bien propre (Sondergüt): près de la moitié de ses versets!

  • 6 Par ex., la parabole des deux débiteurs est enchâssée dans sa rencontre avec la pécheresse (Lc 7,36-50), pour éclairer les attitudes des protagonistes. Autre ex.: face aux murmures contre l’accueil réservé aux pécheurs (Lc 15,1.2), Jésus évoque successivement la brebis, la drachme puis le fils «perdus et retrouvés».

  • 7 Il est alternativement question d’un de ses disciples, de certains parmi la foule, d’une femme de la foule, des foules, d’un pharisien, d’un légiste (11,1.15.27.29.37.45) puis au ch. 12, de la foule, de ses disciples, de quelqu’un de la foule, de ses disciples, de Pierre, des foules (12,1.13.22.41.54).

  • 8 Lc 17,20-18,8 et 21,5-38: 37 versets en tout, contre 94 en Mt 24,4 –25,46.

  • 9 Avec les épisodes suivants: J.-Baptiste et sa prédication; le baptême de Jésus, la théophanie; les tentations; Jésus inaugure son ministère. Luc déroge à ce parallèle pour quelques passages significativement originaux: l’anticipation relative à l’emprisonnement de Jean, la généalogie, l’épisode inaugural à Nazareth, l’appel des premiers disciples dans le cadre d’une pêche miraculeuse. Soit en Lc 3,19.20; 3,23-38; 4,16-30; 5,1-11.

  • 10 Ce sont, successivement, chez les deux, les péricopes suivantes: Jésus enseignant avec autorité; expulsion d’un démon; guérison de la belle-mère de Simon; nombreuses guérisons le soir; Jésus quitte Capharnaüm; son ministère messianique; guérison d’un lépreux; le paralytique de Capharnaüm; vocation de Lévi; question sur le jeûne et figures de nouveauté; les épis arrachés; l’homme à la main desséchée; l’institution des douze, foules et guérison (ici, il y a inversion entre Mc et Lc). Épisodes présents chez Mt, mais ailleurs: dans ses chap. 8, 9, 12 et 10.

  • 11 Citons, pour mémoire: le second volet de l’épisode initial à Nazareth; la mise en cause de Jésus habilité à remettre les péchés; l’indignation à le voir manger et boire avec les publicains et pécheurs; les critiques relatives à la transgression du sabbat, qu’il s’agisse des épis égrenés ou de la guérison de l’homme à la main sèche.

  • 12 Interprétation que confirment les parallèles de Mt et Mc: on tient conseil contre lui pour voir comment «le faire périr» (Mt 12,14; Mc 3,6).

  • 13 Lc 5,17.21.30.33; 6,2.7. Luc ici plus proche de Marc que de Matthieu, avons-nous dit.

  • 14 Respectivement sept et huit mentions explicites jusqu’en Lc 6,9; cela ne vient que plus loin chez Matthieu.

  • 15 Ph. Bossuyt et J. Radermakers, Jésus, Parole de la Grâce selon saint Luc, 2e éd., Bruxelles, IET Éditions, 1984.

  • 16 Dans ses premiers chapitres, Luc a parlé neuf fois d’Israël: Lc 1,16.54.68.80; 2,25.32.34; 4,25.27. Soit trois fois plus qu’en Mt, avant la déclaration correspondante à celle de Lc 7,9 (//Mt 8,10).

  • 17 Pagano-chrétiens indifférents à l’observance du sabbat, par ex. (cf. Lc 6,1-11, juste avant notre passage).

  • 18 Quasi sûrement: sous réserve d’une variante douteuse en Mc 3,14, que ne retient aucune traduction courante — BJ, TOB, Osty,… —, et que le GNT signale entre crochets.

  • 19 hous kai apostolous ônomasen, dans le grec. Cf. d’ailleurs, au verset suivant, l’expression parallèle «Simon auquel il donna le nom de Pierre». Ce sont les deux seuls usages d’onomazein dans les évangiles. Peut-être ce verbe, en tant qu’il porte ici sur la qualité d’apôtre, trouvera-t-il un écho discret en 6,22, dans l’expression, propre à Luc de nouveau: «lorsque les hommes proscrivent votre nom (onoma)… à cause du Fils de l’Homme».

  • 20 Une seule fois, dans un usage accidentel: 1 Rois (III Rois, LXX) 14,6. Cf. le grec comparé au TM.

  • 21 Luc, auteur du 3e Évangile et des Actes, semble avoir été compagnon de Paul… Paul insiste sur son statut d’apôtre en lien avec son expérience personnelle du Christ ressuscité.

  • 22 En français, analogiquement, «apostolique» désigne à la fois la tradition enracinée dans les Douze, en amont, et la perspective d’un élan missionnaire, en aval.

  • 23 Cf. Lc 9,48: «qui m’accueille Celui qui m’a envoyé» puis 10,16: «qui me repousse, etc.», voire Lc 20,13: «Je vais envoyer mon fils bien-aimé». (Le verbe pempô utilisé dans ce dernier cas y est synonyme d’apostellô, d’ailleurs utilisé parallèlement en 20,10. Rappelons qu’en Jn Jésus utilise 25 fois pempô pour se dire envoyé par le Père.)

  • 24 Chez Paul, l’apostolos l’est toujours du Christ, et non du Père.

  • 25 Davantage que syn. Deux exemples antérieurs d’une telle connotation: «Le Seigneur (est) avec toi» (1,28), ou «la main du Seigneur était avec lui» (1,66). Cf. aussi 1,58.72; 2,36.51; 5,29.30.34; 6,3.4, soit quasi tous les usages de meta + gén. rencontrés jusqu’ici.

  • 26 On appelle «sommaire» un passage résumant brièvement l’activité de Jésus.

  • 27 «peuple» au singulier: cf. 1,10.17.21.68.77; 2,1.32; 3,15.18.21. Insistance de Lc, comparé à Mc ou même Mt.

  • 28 «Lever les yeux», epairô tous ophtalmous, expression qu’on retrouve en Lc 16,23 et 18,13.

  • 29 Mt 5,1.2 suggère une situation analogue.

  • 30 Nous rendons par «écouter» ce que la tob traduit variablement: écouter ou entendre.

  • 31 Les rares versets propres à Lc sont: 34.35a (le prêt), 37b (Ne condamnez pas…), 38ab (Donnez…).

  • 32 Voici la correspondance des versets: soit, en lisant Lc//Mt: Lc 6,27.28// Mt 5,44; 6,29.30//5,39-43; 6,31//7,12 (règle d’or); 6,32.33//5,46-47; (6,34.35a); 6,35b//5,45; 6,36//5,48; 6,37a//7,1; (6,37b); 6,37c//6,14; (38ab); 6,38c//7,2b; 6,39//15,14; 6,40//10,24-25; 6,41-42//7,3-5; 6,43//7,18; 6,44//7,16.20; 6,45// 12,35.34b.

  • 33 Mt 6,25-34, cf. Lc 12,22-31; Mt 7,7-11, cf. Lc 11,9-13.

  • 34 «Comparativement parlant» car, sans entrer dans la question des sources rédactionnelles de Luc, il n’est pas dit que ce dernier ait connu le discours matthéen dans son état achevé.

  • 35 Cf. le grec legein, aoriste eipon. Dans la concordance classique de Moulton-Geden, les occurrences du verbe legein sont répertoriées séparément sous les vocables legein, eipon et erô (futur).

  • 36 Sans préjuger d’autres divisions possibles, sur base d’autres critères. Cf. par ex. les insertions de sous-titres à des endroits différents dans la tob, la bj (// Osty) ou Sr J. d’Arc. Disputatur inter Doctores …

  • 37 5,36 aussi parlait d’«une parabole» pour introduire en fait deux images: le vêtement; le vin et les outres. De même, «il leur dit cette parabole», en 15,3, introduit trois paraboles liées.

  • 38 Ph. Bossuyt et J. Radermakers, Jésus, Parole de la Grâce … (cité supra n. 15), signalent, p. 195-196, un parallèle juif extra-biblique intéressant dans le «Testament de Juda», en fait de béatitudes-promesses. On y lit, du reste, l’évocation répétée de la pauvreté ou la mort «à cause du Seigneur»; cf. ici «à cause du Fils de l’Homme».

  • 39 Ce vocabulaire n’apparaît pas avant 6,28, et c’est dans un paradoxe: «Bénissez ceux qui vous maudissent».

  • 40 Plèn, cher à Luc (Luc-Actes totalisent deux tiers des 31 occurrences du NT); c’en est la première occurrence.

  • 41 «parce que»: hoti ou gar rendus par «:» dans la tob.

  • 42 Cf. la non-réception du vrai prophète dès l’épisode de Nazareth, Lc 4,16-30.

  • 43 Cf. surtout en Lc 11,42-52 (6 fois) et Mt 23,13-32 (7 fois).

  • 44 Un peu dans la ligne des «deux voies», cf. Dt 30,15-20, ou le Ps 1.

  • 45 Huit béatitudes encadrées par «parce qu’à eux est le Royaume des Cieux», Mt 5,3.10; puis la neuvième, plus développée et passant au «vous», au v.11: «Heureux êtes-vous quand on vous insultera…».

  • 46 au subjonctif aoriste à valeur de futur ou de futur antérieur.

  • 47 De manière analogue, Mt 5,1.10 disait «parce qu’à eux est le Royaume des cieux».

  • 48 On le verra plus loin consoler des pleurs (7,13; 8,52) et pleurer lui-même (19,41).

  • 49 «Heureux êtes-vous lorsque les hommes…».

  • 50 La tob traduit ces «faire» par «la manière dont ils traitaient», v. 23 et 26.

  • 51 kalôs poiein, v. 27; agathopoiein, v. 33 (2 fois) et 35; et poiein diversement rendu dans la TOB aux v. 31 (2 fois), 33, 43 (2 fois), 46, 47, 49.

  • 52 «comme…», littéralement: «selon que…». Idem au v. 36.

  • 53 plèn, cf. supra note 40.

  • 54 La bj et Osty par «quel gré vous en saura-t-on?».

  • 55 Cf. Mt 6,14.15, dans la foulée du Notre Père.

  • 56 Chez Mt, le «Vous donc, vous serez parfaits…» (5,48) conclut clairement non seulement une partie du discours, mais encore l’invitation à l’amour des ennemis qui vient juste avant, comme ici chez Luc.

  • 57 Le recours au verbe ginomai, devenir, n’est pas à survaloriser: il sert avant tout à exprimer l’impératif du verbe être, en parallèle avec «et vous serez fils du Très-Haut». Il y a parfois quasi équivalence des deux, interchangeables dans le grec: là où on lit, chez Luc: «et vous serez fils…», puis «devenez miséricordieux…», on rencontre, en Mt: «… en vue de devenir fils…» puis «vous serez, vous, parfaits comme votre Père céleste…».

  • 58 ‘miséricorde’, dans le Magnificat et le Benedictus, rendait un autre mot: éléos.

  • 59 polusplanchnos kai oiktirmôn.

  • 60 Ce mot grec rend le ra?um du TM (ra?amim, les entrailles), en lien avec hannoun (qui fait grâce) et ?esed, la pitié, ? lxx éléos (cfr Lc 1,78). Par ex. Ex 34,6, Dt 4,31, Ps 78,38… où la tob traduit bien «miséricordieux».

  • 61 Ex 34,6: «Yhwh, Yhwh, Dieu de miséricorde et de pitié (oiktirmôn kai éléèmôn), …».

  • 62 Cf. successivement Mt 15,14; 10,24-25b; 7,18.16.21 et 12,33.35.34b.

  • 63 Comme aux v. 32.33.34 (le triple «quelle grâce est à vous?»).

  • 64 Préposition hôs, dans laquelle résonne la conjonction kat-hôs (selon que) du v. 36.

  • 65 Cf. le gar (négligé par la tob) relayé trois fois aux v. 44a.b.45.

  • 66 «Hypocrite» est le terme grec rendu par «homme au jugement perverti» (tob). Cf. la note de la tob à ce sujet.

  • 67 Lc 1,17.51.66; 2,19.35.51; 3,15; 5,22. Le poids du terme dans l’évangile de l’enfance est significatif.

  • 68 Par ex. 2,51: «Sa mère gardait tous ces événements dans son cœur».

  • 69 Par ex. 1,51: «Il a dispersé les orgueilleux par la pensée de leur cœur», littéralement.

  • 70 La bouche: autre terme déjà rencontré, et d’un poids certain: 1,64.70; 4,22: «ils s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche».

  • 71 grec poiein, tob: ‘produire’, v. 43.

  • 72 grec poiein, tob: ‘mettre en pratique’, v. 46.47.49.

  • 73 Cf., dans le Sermon sur la Montagne, le rapport entre «Aimez vos ennemis … afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux» (Mt 5,44.45) et «Il ne suffit pas de me dire: ‘Seigneur, Seigneur!’, pour entrer dans le Royaume des cieux; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux» (Mt 7,21).

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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