Benoît xvi. Une vie. Tomes 1 et 2, trad. C. Imbert

Peter Seewald
Biografías - reviewer : Bernard Joassart s.j.

Rédiger une biographie est toujours un défi.  Le défi est encore plus grand quand il s’agit de celle d’un vivant (l’original allemand parut en 2020, soit avant le décès de Benoît xvi le 31 déc. 2022), pour laquelle bien des sources sont évidemment indisponibles et que manque bien souvent un minimum de recul dans le temps.

Précisons tout d’abord deux éléments qui ont manifestement influencé profondément la facture de cet ouvrage. Peeter Seewald est journaliste : une telle profession n’est pas exactement celle de l’historien, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des informations de première main, l’A. ayant notamment disposé de témoignages plus ou moins rapprochés dans le temps de personnes qui ont fréquenté le pape durant sa carrière. D’autre part, il a profité d’une grande proximité avec le pape Benoît xvi, pour lequel il éprouve une réelle admiration : il l’a rencontré à diverses reprises et le pape émérite a pu lui relater non seulement des faits bien précis et lui en donner sa propre interprétation.

C’est certainement ce qui concerne les années précédant l’arrivée de Joseph Ratzinger à Rome, en 1981, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi qui apporte le plus. On peut alors suivre, avec force détails, l’enfance de J. Ratzinger, marquée entre autres par le régime nazi auquel sa famille n’adhéra jamais, sa formation intellectuelle et spirituelle, sa carrière comme professeur de théologie dans différentes universités, et sa large contribution à Vatican ii. Enseignant et chercheur avant tout, il ne fut toutefois pas un théologien coupé de la réalité de son temps, même s’il n’eut pas beaucoup d’occasions d’exercer son sacerdoce dans des activités directement pastorales, et si ses auteurs de prédilection, tels Augustin et Bonaventure, étaient des auteurs anciens : d’emblée, il fut attentif à son époque et essaya toujours de tirer des enseignements de ses auteurs préférés pour le présent. À propos de la longue période romaine, l’A. suit essentiellement ce qui fut « public » : ses interventions dans la préservation du dogme, ses voyages, ses encycliques, ses écrits plus personnels, ses relations avec le judaïsme, avec les autres confessions chrétiennes et avec les autres religions, et les problèmes majeurs qu’il dut affronter, en particulier tout ce qui toucha aux arcanes de la Curie romaine et surtout les scandales de pédocriminalité dont il saisit assez vite tant la gravité, sans peut-être en soupçonner toute l’ampleur et sans pour autant être toujours soutenu par l’administration du Saint-Siège dans sa volonté de réprimer de tels agissements.

Un autre apport de l’ouvrage est sans doute de permettre de mieux cerner la personnalité de J. Ratzinger. Inutile d’insister longuement : le lecteur rencontre un personnage hors du commun. Que l’on soit ou non en accord avec ses prises de position, nul ne pourra décemment nier qu’il fut un intellectuel de grande envergure, et que manifestement, jusqu’à la fin de sa vie, il demeura un « chercheur », un enseignant pour qui l’exposé et la compréhension de la foi chrétienne, en lien avec la raison humaine, demeurèrent des priorités absolues. Certes, sa manière d’œuvrer fut marquée par son tempérament. Ce Bavarois, certes timide, mais toujours affable, loin de la raideur prussienne, était un amoureux de l’art, surtout baroque et classique (on connaît sa prédilection pour la musique de Mozart) et pour la culture en général. Et si, par devoir, il se montra inflexible sur les fondamentaux de la foi chrétienne au point d’être surnommé le « panzerkardinal », il ne refusa jamais la discussion – preuve d’une intelligence supérieure – avec ceux qui ne partageaient pas ses vues voire s’écartaient des points essentiels de la foi (on en a un indice à propos de ses relations avec un Hans Küng, qui ne se rompirent jamais définitivement, alors que celui-ci fut loin de toujours faire montre de beaucoup d’élégance à son égard).

Il faudra certes encore beaucoup de temps pour comprendre toute la portée de son action et la manière dont il exerça certaines des plus hautes fonctions au sein de l’Église. D’« avant-gardiste » à l’époque de Vatican ii, devint-il « pessimiste », effrayé par certaines de ses interprétations, au point presque d’en décourager certains ? L’A. formule son appréciation comme suit : était-ce Ratzinger qui avait changé ? Car, comme dans le cas d’un événement aussi marquant de l’histoire de l’Église, il ne faut pas être grand clerc pour imaginer que les interprétations pouvaient aisément diverger et que vu l’ampleur de la matière traitée – en réalité il s’agissait d’un moment où l’Église entendit revisiter toute sa foi et pas seulement traiter de points précis –, ce Concile risquait d’être compris de multiples manières et pouvait tout autant provoquer des raidissements ou des fantaisies de qualité plus que douteuse.

Pour les années où il exerça le ministère pétrinien, marqué entre autres par des encycliques remarquables, l’A. ne cache pas que le pape n’eut pas nécessairement la capacité de choisir les bonnes personnes pour des postes sensibles et que la maîtrise de la Curie romaine lui échappa finalement (mais il ne faut pas perdre de vue que maîtriser une telle administration est un défi titanesque ; quel pape n’y réussit-il d’ailleurs jamais parfaitement ?). Sans doute était-ce dû à la confiance qu’il accordait spontanément (un peu naïvement, diront certains ?) à ses interlocuteurs. Peut-être était-ce aussi cette confiance qui fit qu’il se trouva pris dans des situations délicates, que ce soit lors de certains discours ou encore d’interventions devant des journalistes qui ne s’embarrassent pas toujours de saisir les nuances ou tout simplement de considérer l’ensemble de ce qui est dit, étant entendu par ailleurs que Benoît xvi n’était pas spontanément rompu à l’exercice de la réaction en direct. Peut-être était aussi cette confiance qui motiva tous ses efforts pour rallier le schisme lefrebvriste et la « libéralisation » du missel dit de Jean xxiii. Enfin, on ne peut oublier son geste de renoncement à sa charge de pape, dans lequel on doit reconnaître un réel coup de génie et le fait d’un homme d’une honnêteté incomparable.

Indépendamment de quelques inexactitudes (p. ex. Benoît xvi n’était pas membre de l’Académie française, mais bien de l’Académie des sciences morales et politiques), même si la mémoire de nos contemporains est peu nourrie d’histoire, même récente, on peut regretter certaines longueurs qui présentent le contexte de certaines périodes de la vie de J.R. ou la pensée de certains auteurs.

En définitive, l’ouvrage donne un portrait fort sympathique de J.R./Benoît xvi. Il vaut la peine d’être lu, en ayant bien à l’esprit qu’il n’a évidemment rien de définitif. — B. Joassart s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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