Luca Bassetti prolonge les réflexions d’un précédent ouvrage, La lettera e lo spirito. Storia dell’ermeneutica cristiana delle Scritture (cf. NRT 142, p. 475), parcours complet de la Tradition de l’exégèse, jusqu’aux récentes déterminations du Magistère. Deux convictions en ressortaient : la polarité de la « lettre » et de l’« esprit » est constitutive de tout écrit, en particulier du texte biblique ; et le passage de l’un à l’autre réside dans la conversion du lecteur, acte libre de réponse au don de l’amour divin.

Le présent ouvrage s’attache dès lors à préciser les modalités et implications de cette herméneutique de la conversion. Il commence par un ample parcours historique, convoquant tour à tour : les théologiens catholiques (chap. ii : Loisy, Blondel, Rahner, Balthasar) ; les théologiens protestants (chap. iii : Harnack, Gunkel, Barth, Bultman, Ebeling, Pannenberg) ; les grands penseurs de la phénoménologie et de l’herméneutique philosophique (chap. iv : Schleiermacher et Dilthey, puis Heidegger, Gadamer, Betti, Levinas, Ricœur, Marion). Les exposés sont clairs et bien informés, offrant une analyse équilibrée des pensées en présence. Il résulte de ce parcours le constat d’une « polarité » irréductible entre « recherche subjective du sens et expérience objective de la vérité donnée » (p. 259), deux dimensions qu’il faudrait éviter de séparer. Ceci conduit l’A., au chap. v, à rencontrer des penseurs du paradoxe ou de la polarité : Lubac et Guardini, mais aussi Florenskij, Bonhoeffer et Mancini. L’A. privilégie alors la notion d’« oxymore » qui a le mérite d’indiquer le renvoi mutuel entre les deux pôles que sont, dans le cas de l’herméneutique biblique, l’effort de l’enquête littérale et le don gratuit de l’intelligence spirituelle.

L’apport propre de l’ouvrage commence réellement au chap. vi, qui expose l’épistémologie du jésuite canadien Bernard Lonergan : celui-ci a su désigner l’intériorité du sujet comme lieu de la rencontre des savoirs et, surtout, en intégrant la conversion dans son épistémologie, il est à même d’éclairer la spécificité d’une herméneutique croyante de l’Écriture. Il s’agit, en réalité, d’une triple conversion : religieuse, puis morale et, enfin, intellectuelle. Le chap. vii montre comment cette triple conversion reconfigure les catégories ontologiques, épistémologiques, herméneutiques et existentielles du sujet : plus le lecteur se convertit, plus les Écritures révèlent leur unité christologique et leur cohérence canonique (p. 420). Il s’agit ici de préciser le « renversement », que Ricœur signalait, par lequel « l’herméneutique théologique se subordonne finalement l’herméneutique philosophique comme son propre organon » (cité p. 260). Mais on pourrait peut-être mieux montrer comment la pensée biblique est, en réalité, fondatrice de toute herméneutique. Le chap. viii, enfin, grâce aux apports de Childs, Sanders et Beauchamp, situe le rôle de la théologie biblique, médiatrice entre l’étude scientifique de la lettre et l’interprétation théologale « selon l’Esprit » ; le rapport structurant des deux Testaments est souligné.

On le perçoit : l’ouvrage constitue un « manuel » original d’herméneutique biblique, recueillant l’héritage de l’exégèse ancienne en même temps que les exigences et interpellations de la rationalité moderne. Il s’attache à montrer la spécificité de l’herméneutique biblique, dont le fondement est l’Incarnation du Verbe et le don de l’Esprit à la Croix. Notons toutefois que l’Écriture sainte elle-même reste finalement peu citée : peut-être la relecture d’une péricope biblique, en conclusion, aurait-elle utilement éclairé le sujet. Pour poursuivre l’enquête, on pourra aussi faire dialoguer cette herméneutique, inspirée de Lonergan, avec la riche herméneutique augustinienne – non pas limitée au seul De doctrina christiana mais, comme l’a fait Isabelle Bochet, intégrant les enjeux « existentiels » de l’intériorité et de la conversion qui traversent d’autres œuvres de l’Hipponate. — M. Bernard