Cette étude dirigée par A. Rodriguez Luno est fort intéressante non
seulement pour les intellectuels de Belgique, mais également pour
le discernement des difficultés liées à l'enseignement de la
doctrine de l'encyclique de Paul VI. La première partie présente
les commentaires argumentés des principaux moralistes belges de
l'époque: L. Janssens, Ph. Delhaye, A. Chapelle et T. Belmans. Ce
choix respecte autant les parités culturelles et linguistiques du
pays que les positions théologiques opposées et les modes variés de
réflexion de ces auteurs. Pour les générations qui n'ont pas connu
ce contexte, la lecture de cette section est décisive. Elle permet,
même si nous connaissons directement la position de l'A., de
mesurer les enjeux et la complexité des débats. Les circonstances
et le climat de ces années soixante dans l'Église et dans la
société civile éclairent une question délicate qui n'a plus
aujourd'hui la même portée.Les commentaires d'autres intervenants
(32) sont également offerts au lecteur et donnent une 'géographie'
plus diversifiée des réactions à la parution de l'encyclique. Ils
nous indiquent à la fois le grand désir de comprendre et la
complexité des arguments selon l'angle d'approche choisi. Une
présentation est faite aussi de la déclaration commune des évêques
de Belgique (texte en annexe). Cette dernière souligne la
perplexité des pasteurs à cette époque, et leur désir, comme pour
de nombreuses conférences épiscopales, de rendre raison de
l'encyclique tout en manifestant l'importance de la conscience et
en tenant compte de l'incompréhension exprimée par de nombreux
baptisés. Sans faire d'anachronisme, le lecteur est ainsi amené à
saisir au mieux les raisons objectives des diverses interventions.
Cet apport historique, conjugué avec le tableau des principaux
arguments théologiques, est éclairant. Il permet à chacun de
mesurer, en accord ou non avec l'A., l'aspect dramatique de
l'engagement de l'Église dans ce domaine. À la lumière du travail
de Jean-Paul II, de l'apport décisif de l'encyclique Veritatis
splendor et du recul des années, nous prenons conscience avec plus
d'acuité de la crise de la théologie morale dont l'énoncé de la
doctrine d'Humanae vitæ n'a pas pu faire abstraction. Tout en
indiquant les oppositions et la non-réception de l'encyclique, l'A.
atteste son accord avec la doctrine de celle-ci, mais fournit,
au-delà du jugement des théologiens, certaines causes objectives
des difficultés rencontrées. Au-delà des personnes et de leurs
qualités, - et ce fait devrait nous donner à penser à toute époque
-, la théologie morale et la culture dans laquelle elle se
développait se trouvaient fort démunies pour rencontrer
frontalement ce que R. Laurentin a appelé un signe de 'continuité
évolutive' en matière de moeurs.
La seconde partie explicite une étude plus personnelle de la
doctrine d'Humanae vitæ. L'A. souligne dès le départ trois
questions principales (la nature humaine, l'objet de l'acte, la loi
naturelle) et leur mise en perspective en Belgique (quelques
problèmes connexes: conflits des devoirs, autorité du document).
Une relecture des pages centrales d'Humanae vitæ est présentée:
elle nous indique que le noyau du débat réside dans le lien entre
nature et liberté. En surgissent ensuite les étapes du commentaire:
la nature corporelle et sexuée de l'être humain en dépendance de
Dieu, la recherche du bien par la raison pratique qui scrute la loi
naturelle qui est participation de la loi éternelle, la conformité
de l'acte conjugal avec celle-ci, le lien, dans l'horizon de
l'amour, entre l'acte conjugal et la vertu de justice. Ces données
classiques sont revisitées à la lumière des écrits de M.
Rhonheimer. La démarche est précise, parfois difficile parce que
liée à un langage particulier de la théologie morale fondamentale,
mais elle vise à unifier l'ordre des vertus et l'ordre de la
raison. Il s'agit, à chaque instant, de 'dire' ce qu'est l'objet
moral et l'ordinatio que la raison introduit dans l'exercice de
l'inclination. De fait, ce qui apparaît, c'est l'importance pour le
sujet (les conjoints) de réunir les 'conditions' d'un don de soi
tel que Jean-Paul II l'a déployé après Humanae vitæ: ces conditions
sont la 'possession de soi' qui jaillit de la liberté humaine.
Cette réflexion met en lumière la vérité de l'affirmation de
l'encyclique sur l'unité des deux significations de l'acte
conjugal. Celui-ci n'a qu'un objet moral unique dont le sens
plénier et indivisible se dit dans l'union et la procréation.
Ce travail a été retenu en janvier 2006 parmi les finalistes du
prix 'Henri de Lubac' qui récompense les 5 meilleures thèses en
français défendues aux universités pontificales dans l'année
écoulée. Cette indication nous invite à sa lecture et à son respect
quelques soient les positions théologiques et pastorales qui seront
celles des lecteurs. - A. Mattheeuws sj